Corse : Comme un besoin de « secouer le cocotier »

Crédit photo Alex Broadway / ASO

Crédit photo Alex Broadway / ASO

Le comité corse de cyclisme tente de relancer la machine mais se heurte à différentes difficultés (lire les premiers numéros de notre dossier ici). Certaines de ces problématiques sont partagées par la totalité des comités régionaux. D’autres, en revanche, sont propres à ce comité. Et pour cause, comme pour l’outre-mer, le cyclisme corse doit composer avec une caractéristique bien spécifique : celle d’être une île, ce qui complique les déplacements réguliers des coureurs vers le “Continent”, comme on dit sur ce territoire de quelque 340.000 habitants. Dans ces conditions, rares sont les occasions pour les jeunes corses d’affronter les autres cyclistes tricolores. “C’est compliqué. Des jeunes partent faire des manches de Coupe de France mais il faut prendre le bateau ou l’avion à chaque fois, sans compter l’aspect financier qui va avec. Il faut beaucoup de temps. On perd une nuit supplémentaire de transport etc. Je l’ai fait moi-même pour emmener mon fils sur des courses, mais ça prend énormément de temps et d’énergie”, constate et regrette pour DirectVelo Antoine Bartoli, le nouveau président du comité.

L'INSULARITÉ, UN FREIN AU DÉVELOPPEMENT


”Le bateau, le logement… C’est de suite des budgets de fou pour partir courir hors de Corse. Heureusement que les clubs ont des finances et des amis qui font du mécénat et qui peuvent nous aider”, précise Marc Labydoire, président du VC Ajaccio, qui ajoute tout de même que des solutions tentent d’être apportées pour remédier à cette triste situation. “On essaie de faire partir les Cadets sur les manches de Coupe de France VTT. On compte aussi les mettre sur des épreuves en région PACA en 2022. On se bat pour avoir l’argent suffisant, via des partenariats, pour aider les jeunes”, précise celui qui aimerait même organiser une manche de Coupe de France à terme. “Je me sens capable de l’organiser. Mais il faut une volonté politique pour faire venir toutes les équipes hexagonales, avec des bateaux affrétés”. Antoine Bartoli se réjouit de ce type d’initiatives. “Il y a quand même une volonté de maintenir l’activité autour du monde du vélo”. Le président précise d’ailleurs que le comité a l’habitude de prendre en charge le déplacement des meilleurs jeunes corses lors des Championnats de France route et VTT. “Le comité organise également un stage en marge de ces deux événements majeurs”.  

Outre cet handicap insulaire, les Corses doivent aussi composer avec un terrain aussi magnifique que difficile à dompter. Il est en effet rare, sur l’île de beauté, de pouvoir enchaîner les kilomètres sur le plat. Pas un problème pour les coureurs aguerris, mais pas une mince affaire pour les plus petits. “Une fois qu’on a quitté les principales villes, il y a vite beaucoup de dénivelé et ça pose forcément problème pour les sorties de nos Benjamins ou Minimes”, note Marc Labydoire. Autre aspect à prendre en compte : le tourisme de masse durant la période estivale. Entre juin et septembre, la population présente en Corse se démultiplie, avec par moments jusqu’à près de 350.000 touristes réunis en même temps. Une période durant laquelle il devient totalement envisageable d’organiser un quelconque événement, et où la simple pratique du cyclisme devient beaucoup moins réjouissante et plus dangereuse, du moins dans les villes. “En Corse, pendant la saison touristique, il n’est pas possible d’organiser. Tout se tient au printemps, de mars à juin, et à l’automne, en septembre, octobre, voire novembre”, synthétise Antoine Bartoli, tandis que l’ancien coureur Cyrille Vincenti, aujourd’hui à la tête du SRC Bastia, préfère voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. “On a des endroits magnifiques pour rouler. Alors bien sûr, tu ne vas pas rouler à Porto Vecchio au mois d’août, avec une population qui est multipliée par 60 dans la ville. Mais sinon, c’est l’Eldorado. Tu peux partir rouler quatre heures et croiser trois voitures... On a ce qu’il faut. On est une terre de vélo”.

FORMER DES ENCADRANTS, UNE NÉCESSITÉ ABSOLUE

Il y a donc, tout de même, de quoi faire pour les jeunes passionnés. Encore faut-il trouver des personnes impliquées et motivées pour leur permettre d’exercer leur passion. Et clairement, il manque du monde. “On n’est pas nombreux, c’est la réalité… J’ai pris le poste depuis peu et quand j’essaie d’appeler à droite à gauche ceux qui avaient délaissé la fédération pour rassembler tout ce - et tous ceux - qui restent, on sent que c’est léger”, regrette le président, Antoine Bartoli. Cyrille Vincenti dresse en partie le même constat mais ne veut pas baisser les bras. Et y met du sien. “La vie associative des clubs sportifs, beaucoup s’en foutent. Mais il y a des gamins et c’est ce qui est motivant. Pendant les vacances scolaires, comme on est fermé (ses magasins, NDLR) le lundi, j’essaie d’accompagner les jeunes”.

Parmi les priorités affichées par beaucoup, figure souvent en tête de liste la nécessité de former des encadrants. Car sans eux, il est impossible de proposer une quelconque activité aux plus jeunes. Malheureusement, le cyclisme corse en manque. “Il y a beaucoup de travail à faire au niveau régional, notamment dans la formation d’éducateurs, dans la création d’écoles de VTT et de route. Il y a très peu de diplômés d'État qui peuvent intervenir dans les clubs, et très peu de brevets fédéraux. C’est le gros objectif des années à venir : former pour avoir un encadrement de qualité”, assure Ange Riu. Le président de Tenda VTT et vice-président du comité de Corse sait qu’il s’agit d’un sujet essentiel. “C’est de cette façon-là que l’on pourra se développer de façon pérenne. On veut vraiment travailler là-dessus et à partir de là, on pourra retrouver un nombre important de licenciés et des compétitions plus attractives”. Car les deux objectifs sont étroitement liés, pour ne pas dire indissociables. “En augmentant les encadrants, on aimerait créer de nouveaux clubs et avoir de nouveaux licenciés”, synthétise le président du comité, Antoine Bartoli.

UN BESOIN DE L’APPUI DU MONDE POLITIQUE

Le comité a des idées, mais il demande aussi l’appui des politiques de la région. “Politiquement, les clubs corses ne sont pas aidés. Ils aident le football, la pétanque, le tennis, le rallye… On n’a pas une seule piste cyclable à Ajaccio… On n’a pas le moindre vélodrome… Enfin, il y en a un petit de 600 mètres, avec deux virages relevés, et c’est le seul en Corse. Ici, pardonnez-moi l’expression, mais « c’est avec la bite et le couteau ». Il faut vraiment être motivé, regrette Marc Labydoire. Avant d’ajouter : “on va se battre pour avoir de vraies courses pour les jeunes, qui représentent l’avenir du vélo, pour retrouver de la formation. Je reste confiant pour l’avenir, très confiant même. Sinon, je ne me serais pas lancé là-dedans. Mais il va falloir secouer le cocotier. Le problème, c’est les autorisations. Les riverains, les maires… Tout est politique. C’est pour ça qu’organiser des courses de VTT est beaucoup moins difficile que l’organisation d’une compétition sur route. Les dossiers sont très durs à monter. En plus, ça coûte de plus en plus cher. Pour les finances de clubs comme les nôtres, ça va vite… Si on n’a pas de partenaires, on est cuit”.

Président du comité pendant sept années, Stéphane Ruspini connaît bien l’enjeu politique et celui des licenciés. Actuellement, de nombreux pratiquants se tournent vers des fédérations affinitaires. Et il promet avoir tout fait pour que cette situation évolue. “Rejoindre la FFC est le seul et unique but : la Fédération a plusieurs leviers et c’est à nous de faire en sorte que ces leviers soient actionnés. Le comité est un passage entre les clubs et la FFC. Mais pour ça, il faut une envie des clubs, et le comité doit être à l’écoute et faire le lien. C’est le devoir du comité d’écouter les présidents de club, et c’est le devoir de la Fédé d’écouter les présidents des comités régionaux et départementaux”. Avec l’espoir de retrouver un maximum de liens privilégiés entre l’ensemble des clubs et le comité corse. “S’il n’y a pas de demandes des clubs, ça doit vouloir dire que les clubs se portent bien et qu’il n’y a pas besoin du comité… À partir de là, que peut faire le comité ? Il ne va pas harceler les clubs. Et pourtant, c’est ce que je faisais quand même. Je relançais les clubs parce que je voyais qu’ils n’arrivaient pas à grandir car il leur manquait des éducateurs. C’est la base. J’ai mis toute ma santé dans ces projets. J’ai fait des visios, mais il n’y avait pas d’écoute…”.

DES MOTIFS D’ESPOIR

Stéphane Ruspini l’assure et l’assume pleinement : il n’est pas du tout satisfait du nombre de clubs affiliés à la FFC en Corse. “On peut faire beaucoup mieux. On a perdu des clubs, récemment… On en avait une vingtaine, il n’y en a plus qu’une quinzaine. On est en décroissance et je le regrette. Les clubs se cachent derrière la Covid. Pour certains, c’est une réalité et c’est malheureux. Pour d’autres, j’ai le sentiment que la crise sanitaire sert d’excuse. Attention, je suis vacciné et je conçois que la Covid amène à bien des complications. Mais je veux que l’on soit franc et honnête et on ne l’a pas toujours été”.

Tout n’est pas négatif pour autant, comme le précise Marc Labydoire. “Ça a tiraillé un peu ces dernières années mais apparemment, des regroupements sont en train de se mettre en place. C’est plutôt positif. De nouveaux clubs rejoignent la fédération pour participer aux courses FFC. C’est encourageant. D’ici peu, on pourrait se retrouver aussi nombreux qu’il y a quelques années sur les compétitions”. Stéphane Ruspini trouve, lui aussi, des motifs d’espoir. Il prend en exemple le club de Tenda VTT. “En trois ans, ce club-là a augmenté considérablement son nombre de licenciés. La manche de Coupe de France d’enduro organisée sur le territoire, c’est un travail conséquent également”. Pour l’ancien président, il faut être ambitieux, et investir intelligemment pour franchir des paliers. Au risque de stagner indéfiniment. “J’ai créé ce comité… Et un comité, je l’associe à une entreprise plus qu’à un club. Or, une entreprise est viable si elle génère de l’argent. Si vous avez 50.000 euros sur le compte en banque en début d’année, et que ces 50.000 euros sont toujours sur le compte en banque en fin d’année, pour moi, ce n’est pas viable. La somme doit être utilisée pour y mettre de l’action et de l’ambition. Dans une entreprise, tous les jours, il faut venir au travail avec des idées nouvelles, et essayer de tout mettre en place pour que ces idées se réalisent. Si vous êtes toute la journée dans le canapé devant la télé, ou que vous passez votre temps à dire qu’on va trop loin, qu’on n’est pas prêt, on ne pourra rien faire”

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