Corse : Le gros enjeu de l’attractivité

Crédit photo Fabien Boukla / ASO

Crédit photo Fabien Boukla / ASO

La Corse est-elle une terre de cyclisme ? Peut-on espérer y voir le nombre de licenciés augmenter sensiblement dans les années à venir, ou les dégâts subis durant la dernière décennie (lire notre premier numéro du dossier ici) auront-ils un aspect au moins partiellement irréversible ? Une chose est certaine : au cœur des instances du cyclisme corse, tous s’accordent pour considérer que l’arrivée de nouveaux jeunes licenciés est essentielle pour insuffler une dynamique positive. Alors, après avoir perdu près de la moitié de ses licenciés sur les dernières saisons, le Comité régional de Corse fait désormais tout pour inverser la tendance. “Chez les jeunes, si on part des plus petits, les Pupilles ou Benjamins, on peut rassembler 120 à 130 jeunes sur l’île lors d’un événement, c’est déjà bien”, explique le président du comité, Antoine Bartoli, en faisant le point sur la situation actuelle. Le tout en précisant que c’est actuellement le BMX qui “gonfle le plus le nombre de licenciés”.

Mais aujourd’hui, c’est bel et bien en VTT que le vivier est le plus important, et de loin. “C’est la discipline qui se porte le mieux, surtout le cross country”, confirme Ange Riu, le nouveau vice-président du Comité mais également responsable de la commission VTT sur l’île et créateur de Tenda VTT, l’un des clubs phares de Corse. “Toutes catégories confondues, je pense qu’on a 200/300 gamins. On ne part pas de zéro”, ajoute Cyrille Vincenti, ancien coureur et aujourd’hui responsable du club du SRC Bastia, et gérant de deux magasins de cycles dont le plus imposant de Corse. “On a un pilote de VTT professionnel, Francescu Maria Camoin, on a une piste de niveau national en BMX, on a des jeunes qui se mettent au vélo. Il y a du potentiel mais il faut donner envie aux gens de courir”, ajoute l’ancien membre de l’UC Nantes Atlantique. 

UN TROU GÉNÉRATIONNEL

Marc Labydoire est lui aussi président de club, au VC Ajaccio. Et il pointe du doigt un problème colossal : celui d’un trou générationnel important et inquiétant. “Il n’y a pratiquement pas de Juniors et d’Espoirs. Ce n’est guère mieux chez les Cadets. On a du monde chez les très jeunes, des pré-licenciés jusqu’aux Minimes. Puis on en perd beaucoup à l’adolescence. C’est à nous de les motiver pour qu’ils restent”, analyse celui qui ajoute que les féminines ne sont pas légion non plus. “Il y en a trois ou quatre par catégorie maximum, alors elles courent toujours avec les garçons”.

À l’instant-T, en Corse, beaucoup sont double-licenciés : sur la route et en triathlon. Par véritable choix, parfois, ou une solution par défaut, aussi, pour tenter de combler un calendrier relativement appauvri sur la route. “En triathlon, il y a 23 dates pour 2022. C’est beaucoup plus que pour la route ou le VTT. Les Benjamins/Minimes n’ont qu’une seule course à eux, sur une route fermée, tout au long de la saison. On se bat pour retrouver une certaine émulation. Il faut que l’on travaille tous ensemble en ce sens”, résume le même Marc Labydoire qui, comme beaucoup, assure que “tous les clubs travaillent main dans la main” et n’ont aucun mal à se rassembler lorsqu’une course est organisée à un bout ou l’autre de l’île. Il en est persuadé : le nombre de licenciés peut repartir à la hausse. “Il y a beaucoup de cyclistes dans la nature, qui ne sont pas licenciés alors qu’ils roulent régulièrement. C’est dommage. L’idée serait de chercher à les capter dans les années à venir. Ça passera par la création de compétitions attractives. Du bon travail se met en place avec des gens motivés. M. Bartoli est parfois pessimiste, il y a des hauts et des bas au sein de son club. Mais si on regarde tout ce qu’il se passe dans tous les clubs, j’ai le sentiment que c’est vraiment positif. Des clubs sont motivés pour organiser”

LE PRÉSIDENT REGRETTE UN DÉFAUT DE MOTIVATION

Si Marc Labydoire évoque le “pessimisme” de son nouveau président, c’est parce que ce dernier ne tient en effet pas le même discours que lui lorsqu’il s’agit d’évoquer la situation actuelle sur le plan de l'organisation de compétitions. “Plus personne ne veut organiser, c’est un truc de malade. On se met une pression pas possible, tout est compliqué… Ce n’est même pas financier, c’est l’envie de faire qui manque”, souffle-t-il auprès de DirectVelo. “Quand on a moyennement envie, on n’y va pas, et c’est le cas de beaucoup de clubs. Il y a quinze clubs affiliés au comité corse et il y en a tout juste la moitié qui organise des événements. Les autres expliquent ne pas avoir le temps ou le nombre de bénévoles adéquats. On pourrait pourtant se contenter de choses simples, sur des petits circuits, sans avoir la folie des grandeurs. Ce serait mieux que rien”. Le président avance tout de même quelques ambitions pour la saison à venir. “On va essayer d’avoir un calendrier plus fourni car ces dernières années, on était très limité : on a quatre courses sur route et une dizaine de courses en VTT. On aimerait en ajouter quelques-unes dès 2022, et c’est prévu”.

Actuellement, seuls quatre clubs organisent au moins deux événements annuels en Corse : l’Alpana, Bonifacio Cyclo, Tenda VTT et le VC Ajaccio. Président du dernier club cité, Marc Labydoire est l’un des visages de cette Corse cycliste qui souhaite se redresser fièrement. “L’an passé, avec des amis, on a récupéré un club en sommeil, qui n’avait plus que six licenciés. En 2021, on en a eu 30 et on espère en avoir une bonne quarantaine cette saison. On a réussi à organiser une belle course cette année, avec 120 engagés. Ce qui me gêne, c’est de ne pas avoir d’école de vélo pour le moment, mais c’est notre volonté à court terme”. Les écoles de vélo, voilà encore un champ de ruine sur lequel il va vite falloir rebâtir. “Pour le moment, il n’ y a que deux écoles de vélo, dont une en FSGT, et une autre qui est en train de se monter à Porto Vecchio”.

UN MANQUE DE TEMPS… ET DE MOYENS

Créateur de Tenda VTT, autre club qui parvient à organiser plusieurs compétitions dans la saison, Ange Riu est également ambitieux. Le responsable du VTT en Corse veut remplumer la bête et voir le nombre de dates au calendrier augmenter. Et vite. “On a une dizaine de rendez-vous qui s’étalent d’octobre à juin pour le moment, puis il y a la coupure estivale. Le but serait d’avoir un plus grand nombre de compétitions, notamment en VTT marathon et en Enduro. On a des terrains qui s’y prêtent alors autant les exploiter”. En octobre 2022, une manche de Coupe de France d’Enduro sera d’ailleurs organisée sur l’île, pour son plus grand bonheur.

Cyrille Vincenti, pour sa part, fait au mieux avec son club du SRC Bastia mais à l’image de beaucoup sur l’île, il explique manquer de temps et de moyens. “Pour s’occuper de l’associatif, il faut du temps. On est très peu nombreux au club. On a des licences et des maillots mais les mecs sont libres de faire ce qu’ils veulent, on n’organise pas d’événements, c’est trop compliqué. Il faut des personnes sur les routes, des signaleurs, des autorisations, batailler…”. Le gérant de magasins de cycles considère ne pas être suffisamment aidé, comme ses compagnons de route. “En Corse, le vélo n’est pas une institution. Si tu dois rencontrer les politiques, ça peut être compliqué. Si tu vas dans une mairie en Bretagne ou en Loire-Atlantique, ce n’est pas le même historique. En Corse, si tu as l’argent pour organiser un tournoi de pétanque, un rallye automobile et une course cycliste, la course cycliste passera en troisième… C’est aussi pour ça que l’on n’a pratiquement plus de courses”. Avec le risque de perdre du monde en route. “On est resté trop longtemps sans rien pour qu’il y ait suffisamment de gens le dimanche. Les gens passent à autre chose : ils vont en montagne, ils font du trail”. Pas question d’être trop négatif pour autant. “Bon, ça va quand même, ça se passe bien sur le peu d’organisations que l’on a. Il faut reconstruire, tout simplement. La priorité, c’est de redonner envie aux gens de faire du vélo et de la compétition. Il faut peut-être d’abord passer par des formules type cyclos, des événements qui donnent envie de s’y mettre. C’est possible !”.

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