David Lappartient : « Beaucoup plus de ciblage »

Crédit photo Cloé Colinet - DirectVelo

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Seul candidat en lice, David Lappartient va partir pour un deuxième mandat à la tête de l’Union Cycliste Internationale. Pour DirectVelo, le Breton fait le point sur les dossiers en cours, notamment au sujet de la lutte antidopage.

DirectVelo : Est-ce que vous regrettez d’être le seul candidat à la présidence de l’UCI ?
David Lappartient : Je ne le regrette pas, c’est plus simple, je ne vais pas vous mentir. Dans la démocratie, c’est toujours bien dans l’absolu s’il y a plusieurs candidats. Les élections à la fédération sportive sont un peu différentes. Souvent, il y a deux candidats dans deux cas. D’abord, lorsqu’il y a un désaccord sur la ligne politique. C’était le cas la dernière fois avec Brian Cookson. On n’a aucune inimitié personnelle, on continue à avoir de bonnes relations. Mais on avait des divergences sur la ligne de conduite de l’UCI. Sinon, il y a souvent deux candidats quand un président arrête. Il y a toujours deux manières de le voir : soit que ce n’est pas très bien pour la démocratie, soit que les fédérations nationales sont assez satisfaites du travail qu’on a fait pendant quatre ans. Je vais essayer de retenir la partie positive.

Y a-t-il des choses que vous n’avez pas eu le temps de faire pendant ces quatre ans ?
Oui, il y en a. On avait le programme électoral qu’on a traduit dans l’agenda 2022 qui est en ligne sur le site internet. L’agenda 2022 a été réalisé à plus de 90%. Il reste donc des choses qui n’ont pas été faites. On voulait réformer le modèle économique du WorldTour, notamment masculin. Car c’est presque plus simple chez les Femmes. Chez les Hommes, il y a tellement le poids de l’histoire et des droits acquis que c’est compliqué à réformer. Ça n’a pas été à la vitesse qu’on aurait voulue. Il y a eu plus de conflits que ce qu’on aurait souhaité. Depuis deux ans, on s’est plus concentré sur la gestion de crise, parfois au détriment d’autres actions qu’on voulait faire. Quand on regarde les engagements qu’on avait pris, on a fait 92-93% du programme. Il y a peut-être quelques petites choses qui n’étaient plus pertinentes, d’autres où on n’a pas eu le temps, et d’autres où on n’a pas réussi. D’une manière générale, c’est plutôt positif. 

Il y a des dossiers qui vont être traités, des nouveaux qui vont être lancés, ou le futur mandat sera dans la continuité du précédent ?
Ça va être un peu dans la continuité. Il y a des dossiers où on a été plus loin que ce qu’on avait imaginé. Par exemple, pour les Championnats du Monde, j’avais dit que j’aimerais bien qu’on regroupe une fois tous les quatre ans les disciplines olympiques. Au final, on va regrouper les treize Championnats du Monde en même temps, à Glasgow. C’est un truc énorme qu’on a réussi à faire. Ça va vraiment booster nos Championnats du Monde dans une audience nettement meilleure. On a l’arrivée du esport. Il y a quatre ans, on n’aurait pas imaginé que ça ait cette importance-là. Il y a parfois des choses où on a été plus loin que ce qu’on a imaginé. Ce n’était pas les sujets de l’époque, mais ils le sont devenus. Il y a quand même encore un sujet pour nous, c’est celui de la lutte antidopage. Ce n’est jamais un sujet terminé. Il ne faut vraiment jamais relâcher la pression. 

« IL FAUT OUVRIR UN ŒIL »

Il y a eu plusieurs contrôles positifs de grands noms dans d’autres sports mais pas en cyclisme. Est-ce que le nombre de contrôles est suffisant ?
Cette année, il y a plus de contrôles qu’en 2019. Il y a aussi beaucoup plus de ciblage, dans la compétition comme en dehors. Je n’ai plus tout à fait la proportion entre les deux. Mais il y a quand même pas mal de ciblage. Néanmoins, il faut quand même garder les yeux ouverts. Il y a quelques bruits qui remontent du peloton. Il y a eu beaucoup de rumeurs pendant le Tour. Il y a beaucoup de coureurs qui nous saisissent. On doit rester éveillé là-dessus. On est passé de la Fondation Antidopage du Cyclisme à l’Autorité de Contrôle Indépendante (ITA) pour renforcer l’indépendance mais faire aussi en sorte qu’on soit plus concentré sur les réseaux. Je pense qu’il y a encore des efforts à faire avec des ciblages qui doivent être encore plus forts sur un certain nombre de personnes. On a quand même eu des avancées. On a interdit le Tramadol. C’était un engagement de campagne, on l’a fait. Sur les corticoïdes, au 1er janvier 2022, ce sera une réalité. On a réussi à faire en sorte que l’AMA se saisisse du dossier. Ce n’était quand même pas gagné, ça faisait des années que l’UCI le demandait. On y est arrivé, c’est une belle avancée, je pense. 

Faut-il être inquiet des micro-doses ?
Est-ce qu’on a encore des micro-doses d’EPO ? La période de contrôle est hyper courte. Certains coureurs, non pas qu’on les cible mais car ce sont les meilleurs, ont eu trois contrôles en une journée. On fait les contrôles dans la limite de ce que la science sait détecter. Là ce n’est plus du ressort de l’UCI, mais des laboratoires et de l’Agence Mondiale Antidopage. On fait beaucoup de contrôles. Mais je pense quand même qu’il faut ouvrir un œil. 

Les plus grands cas de dopage ont été détectés par l’intervention de la police. Les liens avec cette dernière sont-ils toujours aussi étroits ? Les derniers exemples en date n’ont débouché sur rien, sous réserve d’en savoir plus…
Il y a de la collaboration de la part d’ITA ou de l’UCI avec l'OCLAESP, s’agissant de la France. Comme nous remontons des informations, quand ça passe dans les mains de la justice, ça suit son cours sans qu’on soit forcément informé de l’avancée du dossier. L’échange d’informations utiles est fait de notre côté vers les autorités publiques dans quel pays que ce soit, même si on fait attention avec qui on partage l’information. Il n’empêche que pour des pays comme la France, toutes les informations qu’on peut avoir sont partagées pour être encore plus efficace dans la lutte contre le dopage. C’est absolument clair. 

Avez-vous beaucoup de retours de coureurs ?
On en a quelques-uns. Sur ce qu’ils entendent ou ce qu’ils voient. Il peut y avoir des rumeurs sur des nouvelles techniques. Ils ne savent pas vraiment. Des coureurs ont l’impression qu’il y a un écart. Ils se posent des questions. On en est plus à la phase de questions aujourd’hui. En matière de dopage, rien n’est définitivement gagné parce que la triche est dans la nature humaine. Il faut ouvrir l’œil. C’est pour ça que l’ITA renforce le ciblage, l’intelligence. Il y a des choses qui se font avec tout un tas de logiciels, en plus de l’intelligence humaine. Il faut être connecté à ce qu’il se passe. C’est un sujet toujours majeur pour nous. On a avancé sur les corticoïdes, le Tramadol, la réforme de la CADF (la Fondation Antidopage du Cyclisme, NDLR). Pour autant, je reste très vigilant sur ce dossier.

« IL NE FAUT PAS QU’ON SE RETROUVE DANS LA SITUATION DE 1998 »

Où en est-on sur la question du dopage technologique ?
On cherche toujours. On ne lâchera pas sur le principe. On a aussi développé une nouvelle technologie. On avait notre grosse machine à rayons mais c’est compliqué, c’est une remorque, il faut la trimballer. Maintenant, on a un système de rayons X qui est portatif. On l’a utilisé pour la première fois aux Jeux Olympiques. On peut l’emmener quasiment en bagage à main. C’est beaucoup plus facile à transporter. On va pouvoir cibler encore plus de choses. Les systèmes marchent. J’ai demandé à ce qu’on aille jusqu’au démontage physique des vélos, parfois. On a démonté de manière physique des vélos comme sur le Tour de France 2020 à deux reprises, au contre-la-montre de la Planche des Belles Filles et à la montée de la Loze. On en a fait cette année. On ne se l’interdit pas. Pour l’instant, on n’a rien trouvé. 

Pourquoi ce type de contrôles est-il aussi compliqué ?
Souvent ils ont des systèmes d’Input. On pourrait très bien imaginer que certains systèmes soient déclenchés à distance, sans que ce soit sur le vélo. Aujourd’hui, il n’y a pas spécialement de moteurs qui n’émettent pas de champs magnétiques. On est essentiellement dans la découverte de ces champs. Il faut toujours rester éveillé sur ces sujets-là. Par nature, l’homme est sans limites dans l’imagination pour tricher. C’est la même chose pour frauder au FISC, d’une manière générale. C’est toujours un point de vigilance. Il ne faut pas qu’on se retrouve dans la situation de 1998.

C’est une inquiétude que vous pourriez avoir ?
Je ne voudrais pas qu’on y retourne. Je fais attention dans la limite des moyens qui sont les miens. On fait le maximum. Vous avez vu l’argent qu’on met dedans. Il faut qu’il y ait une pleine collaboration avec les autorités publiques. Ce ne sont pas nous qui pouvons faire les écoutes téléphoniques. S’il y en a à faire, ce ne sont que les autorités publiques. La collaboration avec elles est nécessaire, comme avec Interpol.

Finalement, en comparaison avec d’autres sports, est-ce que ça arrange l’UCI qu’il n’y ait pas de grands noms qui tombent ?
Je ne vais pas dire que je ne suis pas mécontent qu’il n’y ait pas de contrôles positifs... mais je préfère ne pas en avoir, qu’en avoir. J’ose croire que c’est parce que les gens ne se dopent pas. On a quand même eu des grands cas chez nous. On a aussi fait des contrôles hyper ciblés, rapprochés... Tadej Pogacar a parfois eu trois contrôles le même jour sur le Tour de France. Ça peut être à six heures du matin, avant le départ, à l’arrivée... On ne peut quand même pas non plus contrôler en course. On fait le maximum. Mais si les laboratoires n’ont rien…

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