Mathilde Gros : « Je suis marquée à vie »

Crédit photo Patrick Pichon - FFC

Crédit photo Patrick Pichon - FFC

Eliminée en quarts de finale du Keirin puis dès les huitièmes de finale de la vitesse individuelle, Mathilde Gros est passée à côté de ses jeux olympiques, à Tokyo. Très marquée par cette double contre-performance, elle a ressenti le besoin de totalement « débrancher », pendant deux semaines, avant de pouvoir commencer à faire une première analyse de cet échec japonais, à froid. Complètement assommée par ce qu’elle décrit comme “une claque” qu’elle “n’oubliera jamais”, la Provençale - Nordiste de naissance mais qui a grandi à Cornillon-Confoux (Bouches-du-Rhône) - se dit encore très meurtrie mais veut se promettre de “faire de cette immense déception une force”, notamment en vue des prochains JO de Paris, en 2024. L’athlète de 22 ans fait le point, en toute transparence, avec DirectVelo, au moment de revenir de vacances en Espagne où elle assure avoir pensé à tout, sauf aux Jeux. 

DirectVelo : Comment vas-tu ?
Mathilde Gros : On fait aller. Ça ne fait que deux semaines que les Jeux sont passés (entretien réalisé dimanche dernier, NDLR). Je suis partie en vacances pour me mettre en OFF. On va bientôt débriefer de tout ça avec mon staff. Mais jusqu’à présent, je n’ai pas du tout ressenti le besoin d’en parler, y compris avec mes proches. Et ils l’ont bien compris. Je suis partie en vacances en Espagne pour faire le vide et j’ai essayé de penser à tout sauf aux Jeux. On n’en a pas du tout parlé. Ma famille et mes amis savent que c’est un sujet douloureux. J'avais besoin de couper, mais je sais qu'il va falloir regarder la réalité en face à un moment ou un autre, et on va dire que cet échange est une première occasion de le faire.

De quoi pourraient-être faites les semaines à venir ?
Pour l'instant, c'est dur de savoir quel va être le programme. Il pourrait y avoir la manche de Coupe des Nations à Cali, le Championnat d’Europe ou encore le Championnat du Monde qui, en plus, aura lieu en France (il a récemment été attribué à Roubaix, NDLR). Mais c'est compliqué de le savoir dès maintenant car il me faut prendre le temps de digérer tout ça avant de repartir à fond sur de nouveaux objectifs. Si j'y retourne, c'est à 100%. Si c’est pour repartir à 80% sur un objectif, ce n’est pas la peine. Il va donc falloir bien réfléchir au calendrier à venir. Qu’est-ce qu’on fait ? Avec quelles ambitions ? Je ne le sais pas encore.

« LE DEBRIEF SERA L’OCCASION DE ME LIBÉRER DE CE POIDS QUE JE TRAINE SUR LES ÉPAULES DEPUIS LES JEUX »

Pourrais-tu envisager de complètement couper pendant encore une certaine période ?
Non, ce n’est pas envisageable. Je veux participer à la Ligue des Champions, à l’automne. La question du Mondial à Roubaix va aussi se poser, donc. Le problème, c’est que ça risquerait de faire court au niveau de la préparation, mais ce serait aussi l’occasion de profiter d’une grande compétition avec mes proches dans le vélodrome. Il va falloir peser le pour et le contre mais pour l’instant, je dois déjà me remettre de tout ça.

On te sent encore très marquée par cette expérience japonaise…
Oui… Pour l’instant, le poids de la déception est plus fort que le reste. Dans quelques semaines ou dans quelques mois, je passerai vraiment à autre chose, j’imagine. Et je repenserai alors aux bons souvenirs. Car il y en a eu quand même. Notamment en amont, dans toute la préparation. Puis lorsque j’ai été chercher le quatrième temps le premier jour. Je n’avais pas fait un Top 4 depuis deux ans… (elle a même battu le record olympique en 10’400”’, en qualifications de la vitesse individuelle, avant que ce temps ne soit abaissé par trois autres athlètes dans les minutes suivantes, NDLR). Mais c’est surtout tout ce qu’il s’est passé après que je retiens… J’ai pris une claque, une claque qui fait mal. Le debrief sera l’occasion de me libérer de ce poids que je traîne sur les épaules depuis les Jeux.

Comment as-tu vécu les heures qui ont suivi la fin de tes Jeux Olympiques ?
Franchement, c’était très compliqué... J’ai échangé avec Greg Baugé, au téléphone. Rayan Helal, qui était sur place, m’a beaucoup aidée, Florian Grengbo aussi. Je suis passée par plein d’émotions très fortes en peu de temps. Tout s’est mélangé dans ma tête. Mais on va vite partir sur la construction de Paris 2024. Il le faut.

« TOUTES CES ÉMOTIONS QUE JE N’AVAIS JAMAIS RESSENTIES DE FAÇON AUSSI FORTE ET BRUTALE M’ONT FAIT TELLEMENT MAL QUE JE NE VEUX PAS REVIVRE ÇA »

Qu’est-ce que cette expérience sur “Tokyo 2020” peut ou doit changer pour la suite de ta carrière ?
Ça va changer beaucoup de choses. J’ai déjà pas mal d’idées en tête. Clairement, à Tokyo, ça a été une claque, on ne va pas se le cacher. Je le répète car c’est vraiment le mot et le ressenti que j’ai eu… On va voir avec le staff ce qui a été bon, et ce qui a été beaucoup moins bon. Mais cette déception, cette tristesse… Toutes ces émotions que je n’avais jamais ressenties de façon aussi forte et brutale m’ont fait tellement mal que je ne veux pas revivre ça. Surtout pas. Je m’étais déjà ratée aux Mondiaux de Berlin mais c’était différent. Disons que ça m’avait fait mal quelques jours, puis j’avais vite pu repartir sur l’objectif des Jeux, justement. Cette fois-ci, c’est tellement douloureux que je ne l’oublierai jamais. Je suis marquée à vie. Mais ça va m’aider pour Paris 2024. La douleur est tellement grande que je dois me promettre de ne pas revivre la même chose dans trois ans. Il ne faudra jamais oublier Tokyo, pour ne pas vivre une situation similaire à Paris.

Il y a eu énormément d’attentes autour de tes performances sur ces Jeux. Avec le recul, dirais-tu que tu as mal vécu cette pression ?
Quand on me comparait à Clarisse Agbégnénou ou à Kévin Mayer (la judokate et le décathlonien, NDLR) au niveau des chances de médaille, je me disais que ce n’était pas possible… Je n’ai jamais eu le moindre titre de Championne du Monde, j’ai simplement une médaille au Mondial et deux titres européens. Je ne me considérais pas comme favorite pour ces Jeux. Mais d’un autre côté, c’est normal de la part des médias ou même du public d’avoir parlé de moi : ils veulent nous voir briller et ramener une médaille. C’est à moi de faire le travail pour ne pas me cramer les ailes ou me mettre trop de pression indépendamment de la presse.

La pression, tu l’auras sans doute encore dans trois ans, pour des Jeux Olympiques à domicile, en France...
Oui, c’est sûr. J’ai bien conscience qu’il y aura forcément de la pression, encore, voire plus. Car ce sera à Paris. Je vais travailler avec mon préparateur mental sur cet aspect-là, pour ne pas me bloquer. Je veux me focaliser sur moi-même. De toute façon, j’ai bien vu après Tokyo qu’au final, au-delà des attentes de chacune et chacun, la plus déçue, c’est moi. Si la presse me monte encore tout en haut avant Paris 2024, je ferai avec. Si, au contraire, on écrit que je n’ai aucune chance ou que ce n’est pas pour moi, même chose. Il faut faire abstraction. La presse fait son métier, je fais le mien. Le but, c’est de faire ma course et de ne pas avoir de regrets. De ne plus avoir de regrets. Car ça fait trop mal.

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