Jens Blatter : « La moitié de notre effectif va passer en WorldTour »

Crédit photo Michaël Gilson / DirectVelo

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La Conti Groupama-FDJ a réalisé une première partie de saison particulièrement satisfaisante. La structure franc-comtoise a déjà décroché neuf succès depuis le début de l'année et compte un grand nombre d’accessits. Surtout, nombreux sont les coureurs de l’équipe à s’être distingués à plusieurs reprises. Mais alors : comment choisir les athlètes qui seront promus dans la maison-mère en WorldTour, la saison prochaine ? Via quels critères prioritaires ? Voir plusieurs membres de la Conti filer vers d’autres horizons est-il un choix ou une fatalité ? Avec un turn-over qui s’annonce important pour l’année prochaine, à quoi va ressembler la Conti version 2022 ? Quelles modifications apporter, quels grands axes donner à la construction du groupe ? Pour répondre à toutes ces interrogations, DirectVelo a sollicité le manager de la formation tricolore, Jens Blatter. Entretien.

DirectVelo : Quel bilan sportif tires-tu de la première partie de cet exercice 2021 ?
Jens Blatter : On a fait une bonne saison jusque-là, avec un très bon départ sur la période mars/avril. On a obtenu beaucoup de bons résultats. Mais à ce moment-là, j’avais toujours en tête le fait que la seconde partie de saison allait être très différente de la première, en termes de programme et de parcours, avec beaucoup de courses montagneuses. En ce sens, ce n’est pas parce qu’on avait réussi une très bonne première partie de saison que la suite allait forcément être aussi bonne. Mais finalement, on a aussi gagné récemment le général du Tour du Val d’Aoste donc je suis très satisfait. Malgré tout, comme on dit toujours : les résultats, c’est une chose, mais ce n’est pas le but principal de la Conti. On veut d’abord faire progresser les jeunes. Or, on voit que pratiquement tout le monde a progressé depuis 2020, ce qui veut dire qu’on est sur le bon chemin. C’est d’ailleurs l’occasion de remercier toute l’équipe qui m’entoure, le staff, pour le joli travail effectué depuis la création de l’équipe. On partait d’une feuille blanche et on peut être satisfait d’en être là aujourd’hui.

Le niveau de l’équipe semble très homogène, avec de nombreux coureurs qui peuvent prétendre passer au-dessus à court ou moyen terme…
C’était déjà le cas quand j’étais le manager de la BMC Development Team. Donc j’ai l’habitude (sourire). Parfois, ça peut devenir difficile pour l’atmosphère dans un groupe car tu as des coureurs qui ont déjà gagné plusieurs courses et qui ont fait leurs preuves, et d’autres qui ont beaucoup travaillé pour le collectif et qui ont, ensuite, eux aussi envie de faire leurs propres résultats. Tout cela peut créer des tensions mais pour l’instant, ça marche très bien. Tout le monde joue le jeu et l’ambiance est très bonne.

On imagine qu’à ce stade de la saison, vous commencez à avoir une idée précise des coureurs de la réserve qui rejoindront la Groupama-FDJ l’an prochain ?
On a bien avancé, oui. C’est clair qu’avec les résultats que certains coureurs ont obtenu, ils ont le niveau pour passer en WorldTour l’an prochain. Mais d’un autre côté, la Groupama-FDJ ne peut pas non plus prendre cinq, six ou sept coureurs l’année prochaine. C’est dommage mais c’est le jeu. Dans ces conditions, on va certainement perdre des coureurs qui vont filer vers d’autres WorldTeam. Mais c’est comme ça… On est aussi fier de pouvoir leur permettre de rejoindre d’autres équipes. Bien sûr, le but principal est de garder les jeunes chez nous mais s’ils passent ailleurs, c’est bien pour eux aussi. Et puis, les portes ne sont jamais fermées. Peut-être que deux ans plus tard, ils reviendront chez nous, dans notre WorldTeam. En tout cas, ça risque de bouger. D’après tout ce que j’ai entendu et selon les calculs, la moitié de notre effectif va passer en WorldTour l’année prochaine, que ce soit chez nous ou dans d’autres formations. C’est beaucoup.

« DES EVENEPOEL, IL Y EN A TRÈS PEU, ET NOS COUREURS NE PEUVENT PAS SE COMPARER À LUI »

La difficulté doit être de ne pas se faire “piquer” les coureurs que la Groupama-FDJ compte prendre dans son équipe pour 2022 !
C’est évident. Après la victoire de Reuben Thompson sur le Tour du Val d’Aoste, la moitié des équipes du WorldTour se sont renseignées sur lui. Mais le point positif, c’est que nous avons cette passerelle directe entre notre Conti et la WorldTeam. Alors on discute régulièrement avec les coureurs et on essaie de voir ce qui est le mieux pour eux en étudiant les différentes possibilités. On ne force personne à rester. Mais surtout, on veut le meilleur pour eux et on ne souhaite pas qu’ils passent trop tôt. On préfère les garder une année de plus dans la Conti si on juge qu’ils ont encore besoin d’un peu de temps pour rejoindre la WorldTeam.

Mais aujourd’hui, de plus en plus de jeunes coureurs semblent impatients et préféreront signer directement, pour 2022, dans une autre formation, plutôt que de s’engager éventuellement pour 2023 avec la Groupama-FDJ…
C’est vrai, ça devient chaque année plus compliqué. Ce ne sont même pas toujours les coureurs qui mettent la pression, mais ce sont plutôt les agents qui poussent derrière les coureurs. Je sais bien qu’il y a deux/trois exemples de coureurs comme Remco Evenepoel qui ont su marcher très fort au niveau WorldTour dès leur arrivée chez les pros. Mais il faut être honnête avec les coureurs : des Evenepoel, il y en a très peu, et nos coureurs ne peuvent pas se comparer à lui. Ce n’est pas parce que ça marche avec Evenepoel, Bernal ou Pogacar que tous les jeunes vont gagner de grosses courses chez les pros à 20 ou 21 ans. Parfois, il vaut mieux être patient. Même financièrement : comme je le dis toujours aux jeunes : peut-être que tu vas signer l’année prochaine dans une WorldTeam, au salaire minimum… Mais peut-être que tu pourrais signer pour le double l’année suivante si tu es patient et que tu fais une grosse saison avec la Conti derrière (sourire).

Et certains coureurs risqueraient de vous répondre qu’ils pourraient aussi refuser certaines offres, puis finalement se casser le bassin ou le fémur en mars prochain et se retrouver sans rien fin 2022…
On me le dit (sourire) ! Ce n’est pas faux non plus… Disons qu’il faut faire du cas par cas. Et surtout, il faut savoir rassurer les coureurs, notamment en cas de blessure, justement. On peut très bien dire à un coureur qu’on s’engage à le faire monter dans la WorldTeam en 2023, même s’il se blesse et qu’il fait une saison blanche en 2022. Ensuite, c’est aux coureurs de voir si c’est un argument suffisant ou s’ils préfèrent quand même passer au-dessus dès 2022, et donc changer de structure.

« JE SUIS RÉGULIÈREMENT AU TÉLÉPHONE AVEC LES DIFFÉRENTS AGENTS »

Craignez-vous que des coureurs puissent s’engager avec une autre équipe sans même vous prévenir en amont ?
Pour l’instant, ça ne m’est jamais arrivé. Alors je touche du bois (rire). J’accorde beaucoup de confiance à mes coureurs. Je leur dis toujours que mon but, notre but, c’est qu’ils passent dans le WorldTour, que ce soit chez nous ou ailleurs. Si je sens, en discutant avec les dirigeants de la WorldTeam, que le jeune ne va pas passer au-dessus chez nous, alors je serai toujours le premier à l’aider à trouver autre chose. C’est donc, il me semble, également dans leur intérêt de discuter de tout ça avec nous aussi. Mais nous avons aussi de bonnes relations avec les agents. Ils me tiennent toujours informés pour me dire que tel coureur a eu telle proposition avec telle équipe… Jusqu’à maintenant, j’ai toujours été au courant de tout… Je suis régulièrement au téléphone avec les différents agents.

Le staff de la WorldTeam vous oriente-t-il rapidement, dans la saison, quant à ses besoins pour 2022 ?
Oui, ça fonctionne de cette façon-là. Ils nous disent s’ils ont besoin d’un garçon en plus pour le train d’Arnaud (Démare), d’un grimpeur ou autre… Et ensuite, nous leur faisons des suggestions par rapport à ces demandes. C’est à eux que revient la décision finale à chaque fois, bien sûr.

Parlons maintenant non plus des futurs départs mais des prochaines arrivées. L’équipe a déjà annoncé les futures venues des prometteurs Juniors français Eddy Le Huitouze et Lenny Martinez. Un autre Junior français portera sans doute lui aussi le maillot de la Conti Groupama-FDJ en 2022. Est-ce à dire que vous allez cibler en priorité les talents tricolores désormais ?
C’est sans doute le point où nous n’avons pas été très bons lors des deux dernières saisons. On a eu du mal à prendre les meilleurs français, les plus gros talents. Alors on a réfléchi aux choses à mettre en place pour que cela change, et c’est en train de changer. On voulait vraiment cibler certains Juniors français, les meilleurs d’entre eux, et faire en sorte qu’ils viennent chez nous, quitte à les faire signer très en amont. On l’a bien fait ! C’est une satisfaction. Mais le pourcentage de coureurs français dans l’effectif ne va pas beaucoup varier, non. Il est important pour nous d’avoir un effectif international, même si l’on doit garder un bon nombre de français, bien sûr, en tant qu’équipe française. Mais les Britanniques, les Australiens ou Néo-Zélandais apportent beaucoup de professionnalisme au groupe. Je trouve que c’est un point sur lequel les coureurs français ou suisses peuvent encore apprendre beaucoup. C’est donc un mélange intéressant et nécessaire, également pour s’ouvrir à un maximum de jeunes talents, bien sûr.

« IL NE FAUT SURTOUT PAS LEUR FERMER LA PORTE »

Peut-être également qu’après deux années et demi d’existence et de réussites, il est désormais plus facile d’attirer les meilleurs coureurs ?
Oui, ils voient qu’on tourne bien et qu’on fait de super résultats. Surtout, ils voient bien le nombre de coureurs qui passent en WorldTour après être venus chez nous. Or, ils n’ont qu’une chose en tête : passer dans le WorldTour. Alors, forcément, ça aide à recruter.

Comptez-vous axer votre recrutement sur les actuels J2 ?
Je pense qu’il faut un bon mixte. On a un vrai focus sur les J2, oui, parce que c’est à ce moment-là que tu récupères les potentielles futures pépites. Quand tu es Espoir 3 ou Espoir 4 et que tu es toujours chez les amateurs, c’est qu’en principe tu n’es pas une pépite. Mais attention : des jeunes progressent plus lentement et peuvent éclore après même leurs années Espoirs, à 22 ou 23 ans, donc il ne faut surtout pas leur fermer la porte et ne rien s’interdire. Et puis, en termes d’équilibre dans l’équipe, on ne peut pas avoir que des Espoirs 1ère année. Il est important d’avoir des coureurs un peu plus expérimentés tous les ans. Pour l’an prochain, il est d’ailleurs bien possible que l’on recrute un ou deux coureurs qui sont déjà Espoirs cette saison.

On a le sentiment que la quasi-totalité de l’effectif 2022 est d’ores-et-déjà bouclé !
C’est pratiquement le cas, oui. À un ou deux coureurs près, en fait. On a encore un doute sur deux coureurs de l’effectif actuel, dont on ne sait pas avec certitude s’ils iront dans une WorldTeam l’an prochain, ce qui libérerait deux places, ou s’ils resteront chez nous. Pour le reste, tout est assez clair.

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