Jean-René Bernaudeau : « On est en droit de rêver »

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

Journée chargée en perspective pour Jean-René Bernaudeau. Ce dimanche, le manager général de l’équipe Total Direct Energie fera office de directeur sportif sur les routes de la Roue Tourangelle, troisième manche de la Coupe de France professionnelle. Dans le même temps, il se tiendra informé de ce qu’il se passera du côté du Tour des Flandres, où son leader Anthony Turgis, brillant depuis le début de saison, peut espérer de grandes choses sur une épreuve dont il a pris la 4e place l'an passé. Avant cette journée qui pourrait être riche en émotions, DirectVelo a pris le temps d’évoquer différents sujets avec le Vendéen, à commencer par la situation du Vendée U, le club réserve, qui marche très fort actuellement. Entretien. 

DirectVelo : Le Vendée U enchaîne les succès actuellement. On imagine que tu suis les résultats de près ?
Jean-René Bernaudeau : Oui, bien sûr. J’étais encore avec certains des jeunes ce vendredi, Emilien Jeannière et Antoine Devanne, pour les saluer au siège de l’équipe et leur dire de se battre ce week-end (au Tour du Pays de Lesneven, NDLR). J’aime leur rappeler que courir ici, être coureur cycliste dans cet environnement, est une chance unique.

« IL N’Y A RIEN D’ACQUIS ET ILS L’ONT TOUS COMPRIS »

Lors de l'intersaison, aucun coureur du Vendée U n’a fait la bascule au sein de l’équipe première, Total Direct Energie. Seul Valentin Ferron avait rejoint la structure professionnelle en août dernier. Comment faut-il interpréter cette situation ?
Nous avons anticipé la construction de l’équipe 2021 dès l’été dernier, et Valentin Ferron rentrait donc dans la boucle. Pour le reste, il faut dire que 2020 n’a pas été une grande année pour le Vendée U. Ne prendre personne de l’équipe réserve pour passer au-dessus, c’était aussi l’occasion d’une remise en question pour tout le monde. Dans l’esprit de certains, il était écrit que, mécaniquement, il y aurait toujours entre un et quatre coureurs du Vendée U qui doivent “monter” la saison suivante. Mais non, ça ne marche pas de cette façon-là. Un passage chez les pros, ça se mérite. Je suis le premier à parler à ces jeunes avec des mots durs, parfois, mais c’est pour leur bien. Le monde du sport professionnel est dur. Le haut niveau, c’est dur… Je pense que le fait de voir qu’aucun coureur n’est passé au-dessus entre 2020 et 2021 a été un électrochoc. On a besoin de garanties, il n’y a rien d’acquis et ils l’ont tous compris.

Depuis quelques semaines, le Vendée U ne porte plus son maillot historique rouge-et-blanc, mais une tunique quasi identique à celle des coureurs de Total Direct Energie. Pourquoi ?
Pour l’attractivité, c’est tout. C’est l’occasion de rappeler le lien entre les deux équipes. Il ne faut pas oublier que nous sommes la seule équipe professionnelle au Monde qui s’oblige à prendre la totalité de ses néo-pros dans sa propre réserve. On ne pioche qu’au Vendée U. En quelque sorte, on se pénalise car on s’oblige à ne prendre personne d’autre. Mais c’est aussi génial car c’est un formidable signe de confiance pour les jeunes qui viennent chez nous.

Cette situation “pénalisante” permet aussi d’attirer de nombreux talents très prometteurs tous les ans, notamment quelques-uns des meilleurs Juniors 2 pour leur passage chez les Espoirs !
On cherche les talents, forcément, mais j’accorde aussi une énorme importance à l’aspect humain. C’est d’ailleurs pour ça qu’avant de m’engager avec un gamin, j’aime m’entretenir avec les parents. Lorsqu’ils arrivent chez nous, les coureurs ne sont encore que de grands adolescents. Certains arrivent en se considérant comme les Champions du Monde de leur village ou de leur département. Mais le vélo, notre vélo, ne ressemble pas à ça. Derrière chaque coureur, il y a d’abord une famille et une histoire humaine. C’est ça qui m’intéresse. Je veux des gamins bien élevés, avec des valeurs. Quand tu vois un Paul Ourselin… Avoir un mec comme ça dans ton équipe, c’est précieux. Il est honnête, bien élevé, bienveillant… C’est le top pour nous.

« LE BÉNÉVOLAT SAUVE LE VÉLO ET IL FAUT INSISTER LÀ-DESSUS »

Revenons à l’actualité récente : mercredi dernier, Emmanuel Macron s’est exprimé pour annoncer une nouvelle série de mesures. Es-tu confiant quant aux semaines à venir et à la bonne tenue du calendrier cycliste ?
Je suis avant tout confiant sur la vaccination. Quand je vois ce qu’il se passe dans certains pays, ça me donne de l’espoir. J’espère que l’on va vite maîtriser ce Covid et si c’est le cas, il n’y aura plus de problème d’annulations. Pour le moment, comme l’an passé, la vieille Europe maintient le cyclisme à bout de bras et il faut lui en être reconnaissant. Le bénévolat sauve le vélo et il faut insister là-dessus. J’espère surtout que l’on aura de la mémoire quand tout ça sera derrière nous. Ce dimanche, je serai présent sur la Roue Tourangelle avec l’équipe et je saluerai avec plaisir le comité d’organisation. Que ce soit avec l’équipe pro ou la réserve, nous avons la chance de courir. Il faut le dire, c’est une chance.

En début de saison, il a été question de privilégier certains coureurs dans la répartition du nombre de jours de course, afin que les leaders puissent enchaîner au maximum pour se présenter sur les gros rendez-vous du printemps à 100% de leurs moyens physiques. Cette option s’est-elle avérée payante selon toi ?
On a privilégié le club des Flandriens et je dois dire que ça marche bien autour d’Anthony Turgis. Nous avons un joli groupe avec Edvald Boasson Hagen, Niki Terpstra en capitaine de route et Adrien Petit, notre grand amoureux de ces Classiques, qui est primordial pour le groupe. En parallèle, un autre groupe se construit pour les courses par étapes, autour de Pierre Latour. Nous avons un effectif très riche et nous avons fait le choix de donner la priorité à ces deux groupes. D’autres coureurs sont pénalisés, mais il a fallu faire des choix.

Quel discours tiens-tu auprès des “sacrifiés” de cette première partie de saison, qui courent très peu ?
On leur explique ce qu’est la situation actuelle et nos contraintes. On leur rappelle qu’il y a des sponsors qui nous soutiennent et qu’à terme, ils y trouveront leur compte. On a remis l’entraînement au cœur du métier de coureur cycliste en ces temps de pandémie.

« QUAND JE VOIS DES MECS COMME MARCEL KITTEL OU TOM DUMOULIN QUI FONT DES BURN OUT... »

Certains coureurs peuvent avoir le sentiment de rentrer dans un cercle vicieux avec la peur de ne jamais pouvoir performer en compétition car ils n’enchaînent pas assez…
La condition physique, elle se prépare à l’entraînement, avec les outils que l’on a mis en place. S’ils travaillent dur à l’entraînement, ils finiront par récolter les dividendes en compétition. Ces dernières années, de plus en plus de coureurs se servaient de certaines courses comme d’une simple préparation. “L’avantage” avec la situation actuelle, c’est qu’il n’y a plus de courses de préparation. Tu dois t’impliquer à 100% sur chaque course pour montrer des choses. Pour le reste, on essaie de rassurer les coureurs, de trouver les mots, mais aussi de les faire relativiser. C’est une situation difficile, c’est vrai. Certains sont allés à la guerre pendant des années… On parle simplement de devoir s’entraîner plutôt que d’aller courir.

Es-tu satisfait de l’actuel rendement de vos nombreuses recrues de l’intersaison ?
Je suis hyper content de l’état d’esprit des nouveaux. Des garçons comme Fabien Doubey, Alexis Vuillermoz ou Edvald Boasson Hagen sont enchantés de faire partie de notre projet et ça me rassure sur le côté humain de nos choix. Ils se sentent bien avec nous et c’est de cette façon que l’on travaille le mieux. Quand je vois des mecs comme Marcel Kittel ou Tom Dumoulin qui font des burn out… Il faut analyser tout ça et comprendre ces situations. Ces deux coureurs ont les moyens financiers de dire stop. Mais combien de coureurs, dans le peloton actuel, ont la même fragilité mentale mais ne peuvent pas se permettre de dire stop ? Je veux m’assurer que mes coureurs se sentent bien. C’est pour ça que je priorise toujours l’humain, l’humain et encore l’humain. Je parlais tout à l’heure de Paul Ourselin mais c’est la même chose avec un Adrien Petit. Ce mec là donne de l’amour et transmet plein d’ondes positives. C’est aussi ça la clé du succès. Il faut une équipe avec une âme. Si nos recrues intègrent ça, on a déjà fait une bonne partie du chemin. Pour le sportif, la saison est encore longue… Mais je suis déjà très fier de mes recrues.

Au-delà de l’aspect humain, aussi important soit-il, un manager d’équipe comme toi attend nécessairement des résultats. Est-il encore plus difficile de gagner cette saison, de par le niveau extrêmement relevé sur la moindre compétition qui n’est pas repoussée ou annulée ?
Pas plus cette année qu’avant. Mais c’est vrai que ça roule sur chaque course comme si la saison allait s’arrêter dans quinze jours. On sent une très grosse tension, c’est impressionnant. Tous les mecs se disent qu’ils doivent vite marcher, au cas où… C’est violent, je n’ai jamais connu ça sur le vélo, à mon époque. Il y a une tension extrême, et un très gros plateau sur chaque course avec des équipes qui alignent toujours de beaux fronts. Aucune course n’est facile à aller gagner, mais ça a toujours été le cas.

« ON EST BIEN CONTRAINT DE PARLER DE POINTS... »

Dans ce contexte, les épreuves de Classe 1, à l’image de la Roue Tourangelle ce dimanche, deviennent-elles des occasions encore plus précieuses d’enrichir le palmarès de l’équipe ?
Chaque course est belle à gagner. Toutes les équipes raisonnent ainsi et plus encore cette saison. Quand on voit qu’Elia Viviani est venu gagner Cholet dimanche dernier, où que la Groupama-FDJ vient à la Roue Tourangelle avec Arnaud Démare… Certains n’hésitent pas à mettre leur équipe N°1 sur le front N°2 ou N°3. De notre côté, on essaie également de trouver un bon compromis. On a notre front de Flandriens, très solide, en Belgique, mais on met aussi des leaders sur les autres fronts. C’est pour ça que Niccolo Bonifazio est présent en Coupe de France ce dimanche. Il faut mettre la grosse artillerie un peu partout quand c’est possible. 

Total Direct Energie est actuellement 16e du classement par équipes UCI, devant la Cofidis et devant les trois autres ProTeam françaises. Accordes-tu une grande importance à ce classement cette saison ?
On est obligé de regarder et d’y accorder une importance. 2020 a été une année moyenne pour nous, sans être catastrophique. 2021 doit être une bonne année, y compris au niveau des points, car on est bien contraint de parler de points… Même si le WorldTour me donne des boutons, avec son histoire des 19 équipes, il y a une hiérarchie mondiale que l’on regarde et on doit faire en sorte d’être entre la 23e et la 25e place maximum. Pour autant, l’avenir de l’équipe ne dépend pas de ce classement. On n’est pas en danger de mort.

Ce dimanche, pendant que tu seras sur la Roue Tourangelle, un autre front de l’équipe sera présent sur le Tour des Flandres. Ambitionnes-tu la victoire sur ce Monument du cyclisme pour Anthony Turgis ?
Je compte envoyer un message aux garçons pour leur dire de ne pas avoir de complexes. Bien sûr, il faudra que toutes les planètes soient alignées mais on y va pour gagner. Anthony (Turgis) n’a pas à faire de complexes. Je sais que Niki Terpstra, Edvald Boasson Hagen et tous les gars vont “se coucher” pour lui jusque dans la dernière heure de course. Puis ce sera à Anthony de jouer. Il a une maturité et une lecture de la course tellement précise qu’il peut le faire. Il connaît chaque recoin de la course, chaque couleur de maison, chaque virage, chaque faux-plat… C’est un vrai Flandrien maintenant. Il est totalement imprégné de ces courses-là. Et en même temps il est très calme, avec l’appui de son garde du corps Adrien Petit. On est en droit de rêver. Encore une fois, il ne faudra faire aucun complexe.

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