François Pervis : « Dans les virages, j'ai peur de déjanter »

Crédit photo Patrick Pichon

Crédit photo Patrick Pichon

Le week-end dernier, François Pervis a rajouté trois maillots de Champion de France à sa collection. Il participait pour la première fois au Championnat de France Handisport sur piste à Saint-Quentin-en-Yvelines. En pleine préparation paralympique avec Raphaël Beaugillet (4e du dernier Championnat du Monde), malvoyant, le tandem est devenu Champion de France de poursuite, de vitesse et du kilomètre, la grande spécialité du recordman du monde chez les valides en 56"303. Le duo a réussi les minima pour aller aux Jeux paralympiques de Tokyo cet été. Le Mayennais de 36 ans explique à DirectVelo toutes les adaptations nécessaires pour apprivoiser sa nouvelle discipline.

DirectVelo : Que représente votre performance de dimanche ?
François Pervis : Nous avons réalisé 1'01"2 au kilomètre, alors que les minimas étaient de 1'01"7. Au mois de décembre, à Saint-Quentin, nous avions fait 1'02"0, sous une température de 19°C, avec une hygrométrie et une pression atmosphérique élevées. Avec 10°C de plus, un air plus sec, on aurait largement fait mieux qu'1'02", ça valait déjà notre temps de dimanche.

Comment es-tu devenu le pilote de Raphaël Beaugillet ?
La FFC avait annoncé bien avant la sélection pour les JO qu'elle ne comptait pas sur moi, alors que je n'ai pas eu l'occasion de défendre mes chances. La Fédération française du handisport s'est montrée intéressée car ils ont eu vent que j'aimais bien les défis. Avant d'accepter, j'ai posé certaines conditions : je voulais le meilleur matériel pour nous deux, faire des stages et que mon équipier soit entouré de vrais entraîneurs spécialisés en vitesse, des gens en qui j'ai confiance. Comme mon dernier Championnat du Monde Elites remontait à 2018, j'étais dans les clous pour participer aux Jeux Paralympiques de 2020. Il ne fallait pas disputer le Championnat du Monde de Berlin auparavant. En revanche, on peut très bien imaginer participer au Championnat du Monde Elites 2021 après les Jeux Paralympiques.

« BEAUCOUP DE PROMESSES NON TENUES »

Tu n'es pas son premier pilote...
Il court depuis dix ans et il a souvent été déçu car on lui a fait beaucoup de promesses non tenues. Il est devenu très méfiant. Alors au début, il n'y croyait pas trop. On s'est vu, on a mis au point un plan d'entraînement et une équipe d'entraîneurs autour de lui. Chez lui, il roule sur un Wattbike et il va une fois par semaine à Saint-Quentin. Il fallait lui donner le temps de prendre confiance et on est parti à fond.

Etais-tu déjà monté sur un tandem ?
Une fois, à l'occasion du gala "Stars en piste" (en novembre 2019, NDLR), avec Florian Maître à l'arrière. C'était une exhibition, sur un cadre en acier, ça se tordait dans tous les sens.

Et votre machine actuelle, quelles sont ses caractéristiques ?
C'est un tandem en carbone fait sur mesure par Cyfac. Ils ont déjà de l'expérience sur les tandems de compétition. Ils équipent plusieurs sélections nationales et on voulait un vélo 100% français. Ils nous ont dit "On fait tout ce que vous voulez". Ils sont à fond dans le projet. Nous sommes partis d'une feuille blanche avec nos souhaits et leur expérience. On avait une idée de la forme des tubes et on voulait de la rigidité. Ce n'est pas évident de prendre les bonnes cotes. Ce projet leur permet aussi de développer leur savoir-faire.

DIRE HOP AU BON MOMENT

Quelles sont les différences de sensations avec un vélo classique ?
Même si le tandem est bien, forcément, il est moins rigide qu'un vélo traditionnel. A nous deux avec le tandem, nous pesons 200 kg, alors que moi tout seul avec mon vélo, je reste sous les 100 kg. Il y a des contraintes biomécaniques et physiques. Par exemple, on ne peut pas balancer le vélo pour se mettre en danseuse. Il faut être gainé. On a déjà pété des vis de plateau, au départ, mais le vélo ne bouge pas. Avec la force centrifuge et l'inertie, on se fait peur dans les virages. On a du mal à garder la corde. J'ai peur de déjanter, de péter le pivot de fourche. Je me penche à gauche alors qu'il est encore poussé à l'extérieur par la force centrifuge. Je tiens mon guidon super fort mais on pédale moins bien dans ces cas-là. C'est surtout vrai pour le 200 mètres lancé. Sur un kilomètre, on va moins vite et à Saint-Quentin, le rayon des virages est plus grand. En revanche, à Tokyo, le rayon sera plus petit et ce sera donc plus dur de garder la corde. Nous irons en stage à Roubaix, qui a le même type de virages, pour travailler cet aspect.

Comment arrivez-vous à être synchro tous les deux ?
Si tu n'es pas coordonné pour n'importe quel effort, tu n'avances pas. C'est une partie très importante de notre binôme. A chaque fois qu'on monte sur le vélo, on la travaille. Il faut que je lui dise "Hop" quand on va se lancer, toujours sur notre pédale gauche. Mais quand on tourne à 160 tours/minute, c'est plus compliqué de trouver le bon moment pour dire "Hop" car il faut que je tienne compte du délai entre le moment où je dis "Hop" et celui où son cerveau enregistre l'information. Raphaël est mal-voyant et il arrive à percevoir les couleurs des panneaux publicitaires. On peut s'en servir comme repères. C'est la même chose pour lui dire le moment où on se lève. Il ne faut pas que je me mette debout en même temps que je dis "Hop". C'est difficile de se synchroniser mais il est très important de se lever en même temps de la selle.

As-tu déjà vu des compétitions de haut-niveau ?
J'ai regardé la vidéo du dernier Championnat du Monde à Milton au Canada. L'équipe Championne du Monde (des Anglais, NDLR) a fait tout son kilomètre au-dessus du couloir des sprinters. Parfois, ils sont à un mètre de la corde, ça coûte cher au niveau du temps. Les matchs de vitesse sont très spectaculaires quand deux tandems sont côte à côte.

« JAMAIS FINI AUSSI VITE UN KILOMÈTRE »

Est-ce que tu peux te servir de ta façon de courir chez les valides ?
Il faut que j'accepte de ne plus prendre en référence ce que je faisais avant, seul sur mon vélo. Déjà, le braquet n'est pas du tout pareil. Ce qui est bien avec le tandem, c'est que je n'ai jamais fini aussi vite un kilomètre, grâce à l'inertie de la machine. La gestion de l'effort est différente. J'étais habitué à partir vite et finir comme je pouvais. Là, on démarre plus lentement mais on tient l'allure, c'est plus linéaire.

Quel est votre programme d'ici Tokyo ?
Nous allons en stage à Roubaix et à Hyères. On espère que le Championnat du Monde va avoir lieu pour se confronter aux étrangers. Pour l'instant nos temps sont ceux de la 3e marche du podium. On espère aussi que pour la manche de Coupe du Monde Elite à Newton, il y ait des épreuves handisport. S'il n'y a rien d'organisé, on pourra mettre sur pied une confrontation officieuse. Nous arriverons à Tokyo 20 jours avant la compétition. Nous nous entraînerons sur une piste de keirin en plein air sur du ciment. Quand j'allais faire la tournée au Japon, je rentrais toujours avec beaucoup de force après avoir roulé sur le ciment.

Est-ce un handicap si les Jeux sont votre seule compétition ?
Nous pouvons jouer sur l'effet de surprise. Nous pensons pouvoir descendre sous la minute au kilomètre (les derniers Champions du Monde ont réussi 59"724 à Milton, NDLR). Si on le réussit le jour des Jeux, les adversaires vont tiquer, ça peut en déstabiliser certains. En tout cas, nous ne sommes pas les favoris.

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