Denis Clément : « Prends ma roue n’a pas d’ennemis »

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Depuis le 1er septembre, une association fait parler d’elle dans le Landerneau du vélo. « Prends ma roue » se donne pour premier objet “l'élaboration et la mise en œuvre d'un projet de développement pour un cyclisme moderne ouvert sur l'avenir et adapté à l'évolution de la société”. Depuis sa naissance, l’association s’oppose à l’actuelle équipe fédérale et veut présenter son candidat à l’élection du président de la FFC en février. Denis Clément, organisateur et ancien président du ROCC Amateur, est le président de Prends ma roue. A la veille de l’assemblée générale du comité de Bretagne où une liste avec l’étiquette de l’association se présente contre l’équipe en place, il répond aux questions de DirectVelo.

DirectVelo : Comment t’es-tu retrouvé à la tête de l’association Prends ma roue ?
Denis Clément : Grâce à la rencontre de personnes évidemment issues du vélo. Je suis dans le vélo depuis 30 ans. J’ai eu la chance d’avoir été coureur, dirigeant et organisateur. Je ne suis pas tombé du ciel. J’ai rencontré du monde, avec le point commun d’être tous des passionnés. La personne qui m’a sensibilisé et avec qui j’ai discuté des problèmes de fond du cyclisme en général, et que je connais très bien depuis trois ans, c’est Claude Louis, ancien CTR du Limousin. J’ai eu une conversation très enrichissante avec lui lors de la manche de la Coupe de France de cyclo-cross au lac de Saint-Pardoux, en 2018. Je suis toujours organisateur mais ça ne m’empêche pas d’avoir une réflexion sur le vélo en général. Ceux qui me connaissent savent que je suis un vrai passionné. On a discuté avec d’autres sur notre manière de voir l’avenir du cyclisme. L’association Prends ma roue est née de cette manière, début septembre. 

Avec quelles ambitions ?
Redynamiser le cyclisme. On avait bien sûr des conversations de très longue date mais on n’avait pas su mettre en place un collectif. On savait qu’on se retrouverait et l’initiative s’est présentée. On s’est demandé s’il fallait y aller, et on a choisi de se lancer. 

Est-ce toi qui est allé chercher Cyrille Guimard, l’une des figures de Prends ma roue ?
Non, pas du tout. Cyrille Guimard était déjà dans les réflexions auprès de Claude Louis et d’autres personnes. Au départ, chacun avait ses réflexions individuelles sur des thèmes bien précis. Cyrille Guimard connaît le haut-niveau, Jeannie Longo le cyclisme féminin, Claude Louis les structures…. D’autres connaissent le VTT ou le BMX. Il y a chez Prends ma roue d’anciens cyclistes, des organisateurs… Tout le monde s’est mis ensemble dans le but de créer un collectif. 

C’est un réservoir d'idées…
Complètement, comme on le voit dans d’autres domaines, comme l’économie ou la politique. Je me réjouis de connaître des gens qui sont experts du VTT. On a eu une réunion il y a quelques jours et il y a plein de choses que je ne savais pas. Je trouve ça très enrichissant. Ça permet de connaître toutes les disciplines du vélo. Moi, je peux faire connaître les organisations. L’idée est de réunir des experts. 

Comment as-tu été élu président de l’association ?
Je ne voulais pas trop y aller au départ, quand on m’a proposé ce rôle, mais je suis un homme d’engagement. J’y suis allé car c’est un collectif sur une réflexion liée à notre passion. Il n’y a pas que l’étiquette de président. Une association doit être structurée avec un bureau, des experts et surtout un travail d’équipe… 

« UNE CHUTE ABYSSALE DES COURSES DE PROXIMITÉ »

Quelles sont les causes qui expliquent selon toi le déclin du cyclisme sur route ?
On a regardé les chiffres. Depuis 1996, il y a de moins en moins de compétiteurs. Claude Louis a été témoin de la chute abyssale des courses de proximité. Ça date de deux bonnes décennies. Cela fait qu’on arrive au bout d’un système. Les jeunes compétiteurs, de haut niveau ou en loisirs, sont obligés de faire beaucoup de kilomètres pour faire une compétition par rapport à d’autres sports. Il y a quand même une inquiétude… Dans le foot, le rugby ou le tennis, tu fais moins de kilomètres au niveau local. 

Mais dans le football, il suffit d’avoir 14 ou 22 compétiteurs pour organiser un match…
On voit des courses à 22 coureurs aujourd’hui. Dans ma région, un gamin de Châteauroux pouvait avant courir à 80% dans son département, soit un rayon de 80 à 100 kilomètres... Ce n’est plus le cas. C’est un sport qui demande beaucoup d’investissements, aussi bien matériel que financier, et en temps. 

En parlant de chiffres, en août dernier, Cyrille Guimard a annoncé que la Fédération Française de Cyclisme avait perdu 20 000 licenciés. Mais le chiffre n’est pas exact… (Entre 2018 et 2019, la FFC a perdu 2970 licenciés, 4179 entre 2017 et 2019, ou 7409 entre 2014 et 2019, NDLR). 
Il ne faut pas polémiquer. Il y a de tout chez les licenciés : des dirigeants, des éducateurs et compétiteurs. La chute a commencé à partir de 96 (la baisse du nombre de licences coureur n’est pas linéaire depuis 25 ans. Il y a eu un regain entre 2008 et 2015, NDLR). On est là pour parler de compétitions. Je ne tire pas à boulet rouge sur les instances car malheureusement, les chiffres de la Covid ont accéléré les choses. Il y a une réelle incertitude pour 2021. Il y a de moins en moins de courses, et de moins en moins de compétiteurs. La base est restreinte, et c’est évident que ça va donner des difficultés à avoir du haut-niveau. 

Pour avoir plus de coureurs, il faut plus d’organisations ?
Oui, et vice-versa. Il faut passer par des plans de relance dans tous les domaines pour relancer une machine… Il faut réinjecter de l’argent dans le système pour que ça fonctionne. Sous toutes les formes : les droits d’organisation, les engagements… Les clubs ou les coureurs paient leurs engagements. C’est encore un sacrifice financier de leur part. Il y a aussi les droits d’organisations qui sont assez élevés avec les assurances, les reversions, les droits de formation que les clubs engagent... Il y a un moment où il faut faire un choix politique avec un plan de relance. C’est le cas avec l’Etat qui doit bien aider les personnes « sinistrées » actuellement. 

« JE N’AI PAS ENTENDU PARLER DE LONG TERME »

La FFC a présenté son plan de relance. Qu’en as-tu pensé ?
Il y a la réversion des assurances sur 2021 car il n’y a pas eu de courses cette année (La FFC a pu renégocier à la baisse sa prime d’assurance liée aux organisations, NDLR). Mais on n’est pas sûr que la saison 2021 reparte... On veut une pérennisation, que ça dure. Si on veut avoir la confiance des organisateurs et des licenciés, un système doit se mettre en place rapidement mais sur du long terme. Et je n’ai pas entendu parler de long terme… 

Seras-tu le candidat de Prends ma roue pour devenir président de la FFC ?
Vous le saurez très prochainement. Je ne peux pas vous le dire, nous sommes en campagne électorale. Mais il y aura un candidat, c’est sûr. Il a été déterminé.

Le candidat de Prends ma roue va-t-il s’engager à baisser les timbres d’engagements et les droits d’organisation ?
On affirme qu’on va mettre en place un projet. Vous le verrez dans notre communiqué. Si on y va, c’est avec une équipe autour de notre candidat. Il y a une équipe dynamique d’hommes et de femmes qui seront là pour changer les choses, avec un système plus proche des clubs. C’est le plus important. On doit redonner de l’envie à tous nos bénévoles qui sont souvent oubliés. Ce sont les éléments moteurs de notre vélo.

Dans le prix des engagements, il y a la part FFC, celle du comité régional et celle des organisateurs pour les Juniors et Séniors. Quelle part entends-tu diminuer ?
Ce sera dans notre projet mais je pense que chacun devra faire des efforts. La politique fédérale se doit de travailler avec les partenaires. On ne peut pas travailler tout seul dans le vélo. La FFC travaille avec les comités régionaux, départementaux et les clubs qui sont nos véritables énergies. Il faudra des accords pour faire un plan de relance. Il faut qu’à la tête, à Paris, il y ait une volonté politique. 

« LE DÉBAT D'IDÉES FAIT AVANCER LA DÉMOCRATIE »

Avec donc toujours un système pyramidal…
Et transversal aussi ! Je pense qu’il faut laisser de la liberté aux comités départementaux et régionaux. Il faut avoir des échanges réfléchis entre tous les acteurs de terrain. L'intérêt unique doit être de développer le cyclisme. On n’est pas là pour se présenter contre untel. On n’a pas d’ennemi ! Il y aura des élections, avec forcément des concurrents, des adversaires… Il faut du projet contre projet. Le débat d’idées fait avancer la démocratie. 

Tu dis que Prends ma roue n’a pas d’ennemis mais ça n’a pas forcément été ressenti comme ça…
Moi, je n’ai pas eu de coups de téléphone de gens qui m’ont dit que j’avais des ennemis. On s’aperçoit que quand des gens ont d’autres idées, ça semble déranger certaines personnes. L’heure est venue à la réflexion pour l’avenir du cyclisme. Il faut rappeler qu’aux dernières élections fédérales, il n’y avait qu’un seul candidat (Michel Callot, et trois à celles de 2013, NDLR). Cette année, on sait qu'il y en aura au moins deux. C’est ce qui fait avancer les choses. Quand des gens proposent d’autres choses, on est bien obligé de discuter. Je ne suis pas à la place de ceux qui ne comprennent pas notre démarche ou nos idées.

Est-ce que les membres de Prends ma roue ont essayé de discuter avec les personnes en place ? Vous êtes plusieurs à avoir fait partie de la FFC, de certaines commissions notamment…
J’ai terminé mon mandat à la commission route. Je n’en fais plus partie car je ne suis plus président du ROCC Amateur. Il y a un débat qui se fait quand on est dans une commission. Il y a des sujets sur lesquels on est d’accord, et parfois il y a des divergences. Une commission propose, une fédération dispose. C’est elle qui dirige.

Quand tu étais à la commission route, des choses que tu as proposées ont-elles été acceptées ou inversement ?
J’ai fait deux mandats. J’ai connu deux systèmes. Parfois, on a été à l'écoute des organisateurs, parfois un peu moins… La dernière mandature a été plus axée sur les clubs de DN. C’est comme ça… Mais des choses ont été retenues envers les organisateurs. Il y a des élus qui décident au-dessus, en bureau exécutif. 

« LES DOSSIERS NE DOIVENT PAS ÊTRE DES USINES À GAZ »

Quelle vision as-tu pour les DN ?
Il faut alléger l’administratif et le financier. Après la crise Covid, on craint la crise financière. Je pense que pour l’ensemble des DN, qui sont gérées par des bénévoles, il faut leur éviter d’avoir des charges supplémentaires, aussi bien administratives que financières. C’est important de leur donner plus de libertés et leur laisser la possibilité de prendre plus d’initiatives. Ces gens-là doivent aussi nous faire remonter des informations. Les dossiers ne doivent pas être des usines à gaz. 

Que verrais-tu à changer dans le cahier des charges ?
La dématérialisation qui a été mise en place est importante. Il y a huit ans, chaque dossier était fait sur support papier. Et aujourd’hui, c’est déjà mieux. La dématérialisation peut encore être accélérée. Il faut que ce soit clair et efficace. On devrait fournir les statuts d’un club uniquement quand ça change si on les a déjà donnés. C’est du temps pour les bénévoles de faire des dossiers… Les clubs vont avoir besoin de s’occuper de leurs coureurs, de leurs partenaires et de leur staff. Ils doivent avoir plus de liberté d’action sur le terrain. Il faut s’adapter dans le monde dans lequel on vit, au fil du temps. La conjoncture a évolué. Si on évolue, il faut aussi que les clubs nous amènent leurs initiatives et leurs idées. Être à l’écoute des clubs et des organisateurs, ça doit être la richesse de la commission route.  

Souhaites-tu voir évoluer le système de labellisation en DN ?
L’an passé, les clubs ont obtenu leur label pour trois ans. La nouvelle équipe en place ne peut pas changer le système de montées/descentes, la réglementation des courses pour 2021, les manches de la Coupe de France… Tout a été signé. Mais il y a une réflexion à avoir pour les années à venir sur ces thèmes-là. 2021 doit être une année de transition, de réflexion et de débats.  

« IL Y AURA DES LIGNES BUDGÉTAIRES À REVOIR »

Pour revenir aux finances, sur quoi la FFC doit faire des économies si elle baisse les engagements et les droits d’organisation ? Cela veut dire qu’il y aurait moins de rentrées…
Le fonctionnement. Je pense qu’il y a des choses à revoir mais je n’en parlerai pas aujourd’hui. Ce sera dans notre projet. Comme dans une entreprise ou une association, il y aura des lignes budgétaires à revoir. C’est évident.

Est-ce que ça peut toucher des salariés de la FFC ?
Non. Avec la crise de la Covid, je pense que c’est difficile à l’heure actuelle pour les salariés de la FFC. Il faut quand même garder une part d’humanité !

Prends ma roue parle d’un équilibre entre toutes les disciplines.
Je pense que tout doit être équitable. Aussi bien le VTT, la piste, le BMX, le cyclo-cross, le polo-vélo, que la route…. Comme je le disais, nous avons mis en place des groupes de travail. Toutes les disciplines ont des qualités qu’on peut développer. Certaines disciplines méritent qu’on s’y attarde. Notre idée est que tout le monde soit écouté. Pour prendre l’exemple de la route, on écoutera les jeunes, les Femmes, les Hommes, le vélo-loisir, les structures amateurs, les DN… Tout le monde a des problématiques, et il faut trouver des solutions pour faire avancer toutes les disciplines et tous les niveaux. C’est ça le plus important et qui fait la force d’une fédération.

Pour parler du haut-niveau. Il est financé par l’Agence National du Sport qui a l’air de vouloir définir des priorités budgétaires. Quelle relation vois-tu avec l’ANS pour financer les activités de haut niveau ?
Il y a des relations étroites à avoir. Le haut-niveau va être impacté avec la Covid. Il y a les JO qui arrivent dans trois ans à Paris. Il y a une concertation à mettre en place, et pas qu’avec l’ANS, afin de voir quel est l’axe qu'il faut prendre pour le développement du haut niveau, avec l’objectif de Paris 2024. Il faut que des avancées soient rapides, avec certainement des bases qui ont déjà été travaillées. L’échéancier va s'accélérer, c’est évident.

Avec cet axe Paris 2024, faut-il forcément faire des choix pour favoriser les disciplines olympiques ?
Il y a des disciplines qui ne sont malheureusement pas aux JO, on en est vraiment désolé mais il ne faut pas les mettre de côté pour autant. Elles amènent quand même des licenciés à notre fédération. Ce sont des négociations à avoir pour que chacun retrouve sa place dans notre fédération. Il y a des priorités globales mais on ne doit pas laisser des gens sur le bord de la route. Quand quelqu’un prend une licence, c’est pour s’engager dans son sport. Le modèle fédéral doit, comme l’indique le mot « fédérer », emmener tout le monde.

Est-ce vraiment possible ?
Ce sera aux gens élus de voir. Quand il y a un engagement dans un projet, il faut prendre ses responsabilités.

« LE CONTEXTE SANITAIRE N’ARRANGE PAS LES PRISES DE DÉCISIONS »

Pourquoi Prends ma roue n’a pas fait de listes dans tous les comités régionaux ?
C’était très difficile à mettre en place en peu de temps. Je sens que les clubs, avec la crise Covid, ont mis le couvert dessus. Les élections, dans tous les domaines, ça n’accroche pas à l’heure actuelle. Les clubs ont actuellement le souci de repartir en 2021 et de faire une activité. Je les invite à venir voir notre projet. Autant qu’ils repartent avec des gens qui veulent les soutenir et les aider. Tout le monde est dans l’incertitude. On ne sait pas où on va. Le contexte sanitaire n’arrange pas les prises de décisions.

Outre la Bretagne, dans quels autres comités votre association va-t-elle chercher à prendre la présidence ? Pays de la Loire ? Nouvelle-Aquitaine ?
Vous verrez. Je ne m’en occupe pas pour les Pays de la Loire. La liste pour la Nouvelle-Aquitaine a été déposée ce vendredi. Je ne suis pas du genre à dire ça va être là et là, alors que les gens sont responsables pour faire les dossiers. Notre collectif est structuré. Il y a des référents par secteur, par discipline… Je suis le président mais je n’ai pas à m'immiscer dans les travaux et démarches administratives des gens qui s’occupent de la Bretagne ou de la Nouvelle-Aquitaine. J’ai les infos mais chacun doit être à sa place.

L’association Prends ma roue va-t-elle perdurer en cas de défaite à l’élection fédérale ?
Oui. Il y a de plus en plus d'adhérents et de gens qui nous font remonter des informations qu’on n’avait pas forcément. Ça enrichit l’action. Mais bien sûr, on pense aujourd’hui à 2021.

Il y a un mois, DirectVelo t’avait sollicité pour une interview à propos de Prends ma roue, et tu n’avais pas souhaité t’exprimer à ce moment-là. Pourquoi répondre aujourd’hui ?
Il a fallu tout d’abord se structurer. Puis j’ai été très pris au travail. Je suis bénévole pour Prends ma roue et les épreuves que j’organise. C’était costaud au travail… Et je dois aussi préparer mes organisations. Il y a plein de choses à faire alors je suis obligé de faire des timings. Nous n’avons pas de salariés à Prends ma roue, et cela demande du temps. Il y a une chronologie à respecter. Vous en saurez plus au fil du temps sur notre programme et les gens avec qui on travaille.

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