Jason Tesson, le sprinteur qui pense d’abord aux autres

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

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Jason Tesson a marqué l’exercice 2020 de son empreinte. Son titre de Champion de France acquis au sprint massif sur le circuit morbihannais de Grand-Champ pourrait suffire à lui seul pour en faire l’un des hommes forts de l'année dans les rangs amateurs. Mais ce serait en réalité bien trop réducteur. Malgré un calendrier tronqué, le sociétaire de la Sojasun espoir-ACNC a répondu présent de bout en bout cette saison, en témoignent ses succès en février sur le Circuit des Plages Vendéennes (Élite Nationale) puis en octobre à l’occasion de Nantes-Segré (CDF N1). Entre les deux, il a collectionné les places d’honneur : 4e de Paris-Tours Espoirs ou encore 6e lors du Championnat d’Europe. Une régularité qui lui a d’ailleurs permis de remporter le Challenge BBB-DirectVelo Espoirs (3e du scratch).

Grâce à ces performances, le natif d’Angers, qui a grandi à Saint-Laurent-des-Autels et qui réside désormais dans la commune voisine de Saint-Sauveur-de-Landemont (Maine-et-Loire), va découvrir le monde professionnel en 2021 sous les couleurs de St-Michel-Auber 93. “On avait déjà pris contact l’an passé à la Haie-Fouassière, lors du Championnat national. Mais Stéphane Javalet m’avait dit qu’il voulait voir si j’allais confirmer en 2020. La proposition de contrat est finalement tombée cet été après mon titre de Champion de France”. Le sprinteur a aimé le bon feeling qui est passé entre lui et le manager de l’équipe francilienne. “J’ai eu confiance en Stéphane, j’ai aimé la teneur de nos échanges”. La présence du capitaine de route Tony Hurel dans l’équipe a également pesé dans la balance. “Je le connais très bien et l’apprécie beaucoup. Sa présence m’a donné envie de venir”.

LA CONTI POUR ASSURER, ET RASSURER

Ravi de s’engager avec l’équipe de troisième division mondiale, l’athlète de 22 ans avait préalablement tenté de se vendre auprès de certaines des plus grosses armadas du peloton français. Sans succès. “La plupart des WorldTour ou ProTeams ont leur propre réserve et vont se servir dedans. Le problème, c’est qu’on a l’impression qu’ils n’ont presque plus le droit de piocher ailleurs. Enfin… Ils prennent des coureurs dans les équipes étrangères, oui, mais pas dans les autres structures amateurs françaises, comme si c’était une question de crédibilité”, analyse celui qui a été stagiaire chez Rally Cycling l’été dernier. “Je l’ai constaté à mes dépends car après avoir contacté plusieurs de ces équipes, je n’ai eu aucun appel, zéro retour… J’ai eu l’impression de ne même pas pouvoir me vendre. J’aurais aimé qu’on me réponde, qu’il y ait au moins un échange avec des Conti Pro, même si ça ne devait pas aboutir. Mais non, rien. On ferme directement les portes à certains coureurs. C’est vraiment dommage et le principe me gêne. J’étais chez Sojasun, et alors ? C’est comme si une entreprise refusait d’embaucher un salarié parce qu’il a préalablement étudié dans telle école et pas dans telle autre”.

Pour autant, Jason Tesson tient à préciser que s’il aurait aimé échanger avec plus de managers, il aurait peut-être quand même fini par signer à Aubervilliers. Et pour cause : il est la parfaite représentation du coureur qui progresse étape par étape, à son rythme et en prenant bien soin de ne pas sauter la moindre marche. Dans ce contexte, rejoindre le milieu Continental était presque une évidence. “Jason n’a pas été un garçon précoce. Certains sont repérés par les plus grandes équipes dès les Juniors mais lui fait partie de ceux qui ont besoin de plus de temps. Il a toujours progressé à son allure et je suis persuadée qu’il a encore une grosse marge de progression, notamment physiquement. Le faire passer une grosse marche d’un seul coup n’aurait pas forcément été la bonne solution. Il a besoin de franchir les étapes une par une, encore aujourd’hui”, détaille son entraîneuse Marina Babonneau-Jaunâtre, pour DirectVelo. L’ancienne Championne de France Espoirs parle ainsi de “sagesse”, tandis que Stéphane Javalet évoque “un choix intelligent”. Le principal intéressé confirme. Faire preuve de patience et se montrer raisonnable fait partie de ses habitudes depuis qu’il est tout jeune. “Commencer en Conti est quelque chose qui me rassure. Je ne veux pas brûler les étapes. C’est vrai sur le vélo comme dans la vie de tous les jours. C’est maintenant à moi de prouver que j’ai le niveau pour aller encore au-dessus à l’avenir”.

Jusqu’à présent, sa progression semble parfaitement linéaire, en témoigne ses résultats des quatre dernières saisons. En 2017, alors qu’il débarque chez les Espoirs, Jason Tesson décroche un premier succès en Toutes Catégories, au Grand Prix du Carnaval de Cholet. L’année suivante, il claque sa première Élite Nationale lors du Circuit des Plages Vendéennes. Puis il se met à gagner plus souvent en 2019 et remporte deux Classiques bretonnes, à Locminé et Guégon, jusqu’à décrocher le Graal du calendrier amateur l’été dernier : le maillot bleu-blanc-rouge. Tout au long de son parcours chez les Espoirs, un mot est revenu souvent dans sa bouche : le collectif. Jason Tesson est un sprinteur qui pense d’abord aux autres. En février 2018, par exemple, alors qu’il vient de débarquer dans le collectif de la Sojasun espoir-ACNC, il claque immédiatement une manche du Circuit des Plages Vendéennes. Au lieu d’évoquer le début d’une potentielle série de victoires, il déclare espérer “que tout le monde goûtera à la victoire dans l’équipe” les mois suivants. Et lorsqu’il gagne encore à Guégon, c’est avant-tout “le meilleur moyen de récompenser la grosse course collective de tout le monde”. Son esprit collectif demeure inlassablement le même jusqu’en équipe de France. Lorsqu’au printemps 2019, il s’apprête à porter le maillot des Bleus pour la première fois sur l’Étoile d’Or, il déclare : Je ferai tout pour aider. Quand on porte ce maillot, on ne peut pas se dire : « aujourd’hui c’est pour moi, je vais gagner ». Je ferai le boulot qu’on me demandera.

UN PROFIL À LA BRYAN COQUARD ?

“Il a besoin de se retrouver dans un vrai collectif où règne un esprit familial. Il a tout de même gagné en maturité. Ce n’est plus le Jason des rangs Juniors qui ne voulait pas quitter son ancien club de Vallet, rigole Marina Babonneau-Jaunâtre. Les pros, ce n’est plus la même chose. C’est beaucoup moins familial : tout le monde veut gagner, c’est un monde de requins comme on le dit souvent. Mais je pense qu’il est prêt pour ça”. Jason Tesson est, de son côté, fier de revendiquer ses valeurs collectives. Et il compte bien continuer d’en faire un atout. “Le cyclisme a complètement changé, le collectif prime plus que jamais. Si tu as les meilleurs coureurs du monde dans ton équipe, mais qu’ils ne courent pas ensemble, ça ne le fait pas. On l’a déjà vu plein de fois… C’est vrai dans le cyclisme comme dans la vie en règle générale. J’ai été éduqué comme ça par mes parents. Si je veux être dans les meilleures conditions possibles pour un sprint, je dois pouvoir compter sur un collectif soudé car ça se joue parfois à des micro-détails”. Mais est-il possible de faire preuve d’altruisme et de mettre toujours le collectif au premier plan dans le monde des sprinteurs où l'égocentrisme fait figure de qualité ? Est-il prêt à avoir toute une équipe à son service sur les courses promises aux routiers-sprinteurs ? “Je n’ai pas peur. Je commence à prendre l’habitude d’avoir une équipe qui travaille pour moi. Je sais ce que c’est d’avoir la pression de se dire qu’il ne faut pas se manquer après le gros travail des coéquipiers, ce qui ne m’empêche pas d’être altruiste. J’aime les autres. Quand on me donne, j’aime bien rendre la pareille. Tout ça me semble normal, c’est même la clé de la réussite. Si un sprinteur n’est pas reconnaissant du travail de ses coéquipiers, qu’il ne remercie pas des gars qui se crament pour lui… Alors je ne vois pas comment ça pourrait marcher sur la durée”.

Sélectionneur de l’équipe de France Espoirs, Pierre-Yves Chatelon a convoqué Jason Tesson plusieurs fois. Il dit avoir apprécié le comportement de son coureur. “C’est un garçon attachant et charmant, on peut louer ses qualités humaines. C’est une petite boule de nerfs qui parvient à canaliser cette énergie pour la restituer complètement au moment de l’emballage final. Pour un sprinteur, ce n’est pas un « bad boy » mais il sait le devenir dans un sprint. Il a une grosse vista pour frotter. Techniquement, il est très bon et sait passer par des trous de souris. Disons qu’il a un profil à la Bryan Coquard ou à la Mark Cavendish, toute proportion gardée bien sûr. Mais il a aussi démontré à Grand-Champ qu’il est capable d’emmener des sprints de très loin et de tenir”.

Lors de son succès sur la Flèche de Locminé, en mars 2019, Jason Tesson racontait : “J’aime moins les sprints tout plats, quand il n’y a que les jambes qui parlent. En faux-plat comme ça, où il faut un bon rapport poids-puissance, c’est mieux pour moi”. Mais est-il un adepte des parcours vallonnés pour autant ? Chez les pros, sera-t-il présent dans le premier peloton lorsqu’il ne restera plus que 40 ou 60 coureurs devant ? “Je n’en suis pas sûr. Je l’espère mais ça va être compliqué dans un premier temps, répond Stéphane Javalet. Il y a un très haut niveau sur les courses de février par exemple, et il faudra déjà réussir à être encore là pour le sprint. Il va devoir apprendre à encaisser l’enchaînement des efforts, la distance et le rythme sur les phases de course très soutenues. Il ne faudra pas trop attendre de lui en début de saison, il aura sûrement besoin d’une phase d’apprentissage”. Son futur manager compte laisser du temps à son futur poulain. Même point de vue pour Pierre-Yves Chatelon, qui imagine un bel avenir à l’ancien Bleu, mais à terme. “Je trouve qu’il a bien progressé. Il aura la faculté de s’adapter, mais pas vite. C’est d’ailleurs en ce sens qu’Auber peut être un bon choix et représenter un contexte favorable pour lui. On sent qu’il a une très bonne pointe de vitesse, bien sûr, mais il a encore des lacunes, qu’il est en train de gommer petit à petit”. Marina Babonneau-Jaunâtre est plus optimiste, même si son coureur n’est pas parvenu à rester dans le premier peloton sur le dernier Grand Prix d’Isbergues. “Il n’était pas à 100% de ses capacités physiques ce jour-là. Selon moi, il est capable de jouer les premiers rôles dès 2021. Ce ne sera pas simple, mais je sais qu’il a hâte de se frotter aux meilleurs, et il n’a pas peur”. Isbergues, justement, a servi de belle expérience à Jason Tesson. “J’ai bien compris ce qu’il me manquait encore lors de cette course. De la puissance, surtout, mais aussi la lecture de la course. Je dois essayer de prendre encore un peu de masse, au niveau du haut du corps et des cuisses”.

PNL : LE DÉCLENCHEUR

Sous ses airs de garçon posé et réfléchi, Jason Tesson cache aussi un tempérament très remuant. Et contrairement aux apparences, être « speed » n’est pas nécessairement une bonne chose lorsque l’on est sprinteur. “Il doit canaliser toute cette énergie, assure son entraîneuse, qui livre une anecdote révélatrice. Le matin de Paris-Roubaix Espoirs, il s’est levé à 5h30 puis est parti marcher pendant une heure. Par la suite, une fois en course, il est tombé au bout de 30 minutes… Ce jour-là, Stéphane Heulot s’était fâché. Depuis, on se sert notamment de cet exemple-là pour essayer de canaliser son énergie car c’est une faille à combler. Comme tous les sprinteurs, c’est un gagneur et un nerveux. Mais il doit arriver à mieux gérer son énergie”. C’est dans ce sens que Marina Babonneau-Jaunâtre travaille avec son coureur sur l’aspect mental. Pour se canaliser, mais aussi pour prendre plus encore confiance en ses capacités. “C’est un sprinteur : il a soif de victoires. J’espère qu’il arrivera à jouer un rôle d’entrée, ce serait important pour son moral”.

Pour acquérir plus encore de confiance, le duo s’active sur la technique dite du « Switch », utilisée dans la Programmation Neuro-Linguistique (PNL). Le but ? Éviter de trop cogiter ou ruminer, et minimiser les moments de doute en course en transformant les pensées négatives, ou les sautes de concentration, en ondes positives. “C’est très important lorsqu’on est au bord de la rupture dans une ascension, ou à l’approche d’un sprint”, précise Marina Babonneau-Jaunâtre. Car un doute infime au départ, qui peut d’abord sembler anodin, va vite prendre de l’ampleur, jusqu’à faire flancher un athlète. Le but est donc d’immédiatement couper cette pensée parasite, ou l’erreur qui vient d’être commise, par l’envie de ne rien lâcher. Ce switch se fait notamment par un mot, tel que « Stop ». Un véritable élément déclencheur, totalement psychologique. À ce moment-là, Jason doit normalement faire la bascule dans sa tête. Le but est de rester sûr de ses forces et de ne pas rentrer dans un cercle vicieux”. Un travail mental particulièrement intéressant et parfois redoutablement efficace, dans lequel excellent notamment certains des meilleurs joueurs de tennis mondiaux, dont le flegme semble parfois sans limites y compris dans les situations les plus tendues. Il s’agit en réalité de ce travail de PNL. “Ce peut être particulièrement utile sur la durée”, poursuit la coach du futur néo-pro.

Ne reste plus désormais à Jason Tesson qu’à se révéler chez les pros, après un parcours rondement mené chez les Espoirs. Encore inconnu du grand public, le garçon compte bien se faire un nom à l’avenir. “Il est peut-être un peu sous-côté mais on connaît sa valeur dans les sprints massifs, on l’a vu à l'œuvre lors du Championnat de France. J’espère pour lui qu’Auber ne sera qu’une étape, un tremplin pour prendre encore de la caisse sur les Classe 1 françaises, avant de passer au-dessus”, ajoute Pierre-Yves Chatelon, qui lui souhaite ainsi “un parcours à la Damien Touzé”, lui aussi passé par Aubervilliers et désormais nouvelle recrue d’AG2R Citroën après deux ans chez Cofidis. Pour sa part, Jason Tesson imagine l’autre recrue de St-Michel-Auber 93, Romain Cardis, dans la peau du sprinteur N°1, au moins en début de saison. Avant de devenir, plus tard peut-être, un homme fort du groupe. “Il faudra laisser le temps au temps. Si ça doit venir, ça viendra. Les résultats personnels viendront au moment voulu. Je vais d’abord travailler pour le collectif”. Il ne pouvait pas refermer sa pensée autrement.



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