Look

Philippe Ermenault et la mante religieuse

Crédit photo DirectVelo

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En 1984, LOOK débarque dans le monde du cyclisme sur la pointe des pédales. 35 ans plus tard, la marque est devenue une référence dans le monde des cadres carbone et même des roues depuis son association avec CORIMA, une autre marque française. À elles deux, elles comptent 18 médailles d'or aux Jeux Olympiques depuis 1992. En dix articles, DirectVelo revient sur l'histoire de l'entreprise de Nevers qui a des idées et de la suite dans les idées au point d'être le plus ancien partenaire technique d'une fédération olympique.

Il y a 20 ans, Philippe Ermenault participait aux Jeux olympiques de Sydney. C'était sa troisième et dernière participation. Après Barcelone et Atlanta, le Picard mettait un terme à sa carrière en Australie. A chaque fois, il montait un cadre Look et en trois olympiades, il en a connu des évolutions.

En 1989, à 20 ans, il participe au tournoi de poursuite individuelle du Championnat du Monde à Lyon, sur un cadre plongeant en acier. Trois ans plus tard, il passe à l'âge du carbone. LOOK transforme le KG196, un vélo de route - qui gagne la médaille de bronze au 100 km par équipes avec l'équipe de France - en vélo de piste avec une roue avant de 650. "En passant au carbone, j'avais la sensation de rigidité. Avec le pignon fixe, il n'y a pas de point mort, on sentait que toute l'énergie était transmise. Quand on appuyait sur la pédale, le vélo avançait". Et Philippe Ermenault appuie fort.

« JE FAISAIS UN AVEC LE VÉLO A PARTIR DE JUILLET 1993 »

Mais la monture du 5e de la poursuite individuelle à Barcelone est encore un peu sauvage. Il va devoir la dompter. "A partir de 1993, j'ai réussi à exploiter le vélo. J'ai changé mes exercices à l'entraînement. Avant, j'avais un vélo, mais je n'arrivais pas à l'exploiter. Avec ce vélo, quand on roule doucement, il n'y a aucun bénéfice. C'est une F1 faite pour aller vite. J'ai ressenti que je faisais UN avec le vélo à partir de juillet 1993". Le chrono sent tout de suite la différence.

Le 30 juillet 1993, le Picard bat une première fois le record du monde des 4 km en 4'23"562, une seconde de mieux de celui de Chris Boardman. Vingt jour plus tard, au Championnat du Monde à Hamar en Norvège il va encore plus vite en 4'23"283. Mais Graeme Obree le dépossède de son record et le bat en finale de ce Championnat du Monde.

En 1993, Graeme Obree révolutionne la position en avançant sa selle et en reculant ce qui lui sert de guidon de manière à poser le torse dessus. L'UCI interdit la position. Du côté de LOOK, on travaille sur l'aérodynamisme. "Nous avons reçu l'aide du Pr Maurice Ménard, de Saint-Cyr l'Ecole", rappelle Claude Saintagne de la FFC. Le Pr Ménard avait déjà travaillé sur le vélo "Profil" utilisé en premier par Bernard Hinault en 1979.

« JE SENTAIS LES COURANTS D'AIR DANS LES MOLLETS »

De ces travaux va naître une drôle de machine, avec la fourche avant coudée et inversée. Le cadre est réduit à une poutre avec une fourche arrière mais pas de haubans. De loin, le cadre gris peut faire penser à une mante religieuse avec ses pattes antérieures pliées. "Ce n'était pas assez rigide pour le sprint, mais très aéro", précise Claude Saintagne.

Philippe Ermenault ressent sur le vélo les effets du travail des ingénieurs de LOOK. "J'ai eu la chance de piloter ce vélo. Quand je roulais sur piste, je sentais les courants d'air dans les mollets, selon l'angle de la roue avant dans le virage. On sentait un niveau aéro formidable. Mais il était plus lourd et inconduisible en poursuite par équipes pour s'écarter dans les virages. Mais avec la Mante religieuse, j'étais sous les 4'25" sur les 4 km sans problème", apprécie encore aujourd'hui le poursuiteur.

Avec cet insecte en carbone, Philippe Ermenault fend l'air comme une hirondelle et croque un titre de Champion de France. Mais un nouveau règlement de l'UCI veut limiter la métamorphose des vélos et la Mante religieuse rejoint les collections de vélo interdits. Mais LOOK continue son travail qui va déboucher sur le vélo d'Atlanta, le tube de l'été 96 (lire ici).

PAS FAN DE SUPERMAN

Sur le vélo jaune, le coureur de 27 ans à l'époque gagne la médaille d'or avec l'équipe de France de poursuite. En finale de la poursuite individuelle, il doit s'incliner devant Andrea Colinelli, transformé en superman sur son vélo. Après l'interdiction de sa position en 1994, Graeme Obree continue d'être anti-conformiste. Il doit reculer sa selle et n'a pas le droit de rouler avec les coudes sur la table ? C'est pas grave, il déplie complètement les bras et court les bras tendus vers l'avant. Les Italiens exploitent eux aussi le règlement aux Jeux de 1996 et utilisent la position "superman". "Après Atlanta, on a adopté cette position. Mais je n'en étais pas fan", reconnaît Philippe Ermenault.

Avec le KG296, il va enfin devenir Champion du Monde de poursuite en 1997 à Perth en Australie et en 1998, en France, à Bordeaux, après une finale picardo-picarde face à Francis Moreau.

Pour ses derniers Jeux et la fin de sa carrière, le pistard doit encore s'adapter à une nouveauté. L'UCI adopte un nouveau règlement : les roues doivent être de diamètre égal. Plus de cadre plongeant ni de roue de 600 ou 650 à l'avant. "LOOK a dû s'adapter. Tous les appendices (comme les ailerons à la boîte de pédalier) ont été interdits par l'UCI. Le vélo avait moins le profil aile d'avion". Nouveau vélo dit nouvelle position. "J'ai eu du mal à me réadapter. Avec une roue de 650 à l'avant, j'étais plus en appui sur la roue avant. Avec les roues égales, j'étais plus relevé, j'avais moins d'appui sur les bras et donc je bloquais moins le bassin. Je ne donnais pas toute ma puissance et j'emmenais moins bien le braquet. Mais l'avantage, c'est qu'il était plus confortable et se conduisait mieux". En Australie, avec l'équipe de France, Philippe Ermenault échoue au pied du podium et le quatuor termine 4e.

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