Pierre Idjouadiene : « Je n’ai jamais dénaturé ma pratique du vélo »

Crédit photo Nicolas MABYLE / DirectVelo

Crédit photo Nicolas MABYLE / DirectVelo

Pierre Idjouadiene n’est pas du genre à se prendre la tête, ni à se prendre pour quelqu’un d’autre. Au départ de chaque course du calendrier, le Lorrain semblait toujours afficher la même décontraction, le même sourire et la même joie de vivre. Le sociétaire de l’équipe Natura4Ever-Roubaix Lille Métropole a constamment ressenti le besoin d’allier performance et plaisir et n’aurait envisagé pour rien au monde de changer ses habitudes pour évoluer, éventuellement un jour, au plus haut niveau mondial. Une philosophie qui l’a justement poussé à prendre la décision de mettre un terme à sa carrière professionnelle, après trois saisons au niveau Continental. L’athlète de 24 ans, qui ne devrait plus disputer la moindre compétition à moins qu’il ne remplace un autre coureur lors du prochain Paris-Tours, détaille ce choix et évoque ses projets futurs pour DirectVelo.  

DirectVelo : Pourquoi as-tu décidé de mettre un terme à ta carrière ?
Pierre Idjouadiene : Je suis arrivé à mes limites. Du moins, à celles que je peux atteindre en gardant le cap que je m’étais fixé. Dès le jour où j’ai signé pro, il y a trois ans, je m’étais promis de toujours garder le plaisir de rouler, d’éviter d’être blasé, que ce soit à l’entraînement comme en compétition, mais aussi dans ma vie de tous les jours, à la maison, dans ma façon de vivre et de concevoir mon métier. Une carrière cycliste, ce n’est pas que les moments passés sur le vélo, c’est aussi la façon dont on gère tous les à-côtés. C’est un ensemble. Je n’avais pas nécessairement fait le tour de la question d’un point de vue purement sportif. Je n’ai pas pu totalement évoluer, je n’ai pas tout découvert, je n’ai pas participé aux plus grosses courses du calendrier. Mais voilà…

« J’AI BESOIN DE M’AMUSER »

Tu évoques un cap à garder…
Pour progresser encore plus, j’aurais dû m’imposer d’autres contraintes, des sacrifices. Je ne pouvais pas espérer aller plus haut sans dénaturer ma façon de faire du vélo. Il aurait fallu que je change des choses dans ma vie personnelle, mais ça aurait influé sur ma façon de pratiquer ce sport, et ça m’aurait donc enlevé une part de plaisir. Je ne voulais pas tuer ma passion de ce sport, donc je préfère arrêter.

Quand as-tu pris conscience de tout ça ?
Cette année. Bien sûr, j’ai rêvé pendant un moment de pouvoir évoluer au niveau supérieur, de disputer le Tour de France un jour, et les autres plus grosses courses du Monde. Cet été, j’ai pu courir face à des équipes comme Ineos sur la Route d’Occitanie, par exemple. Et cette période-là a été un véritable déclic pour moi.

C’est-à-dire ?
C’est difficile à résumer en quelques mots. Je ne suis pas un champion et je ne l’aurais sûrement jamais été. Si j’avais voulu être plus compétitif, et ne plus subir sur les courses de très-haut niveau, il aurait fallu que je dénature ma pratique. J’aurais dû faire des exos qui ne me plaisent pas à l’entraînement, me faire des séances derrière scooter, etc. Ce n’est pas ma façon de faire. J’ai besoin de m’amuser, de me faire de belles sorties en montagne… Même en course, j’ai senti que cette année, j’avais moins le couteau entre les dents que les deux années précédentes. La période de confinement m’a bien fait réfléchir. Puis la reprise des compétitions m’a conforté dans ce choix.

« QUAND JE VOIS CE QU’IL SE PASSE AVEC L’HISTOIRE DES CÉTONES... »

On sent qu’au-delà de ta situation personnelle, il y a des choses qui ne te plaisent pas dans le cyclisme actuel…
C’est vrai. Certaines facettes du cyclisme ne me plaisent pas. Il y a des coups bas, il y a de l’hypocrisie, des gars qui trichent, des pratiques douteuses… Quand je vois ce qu’il se passe avec l’histoire des cétones, par exemple, ça m’horripile. Personne ne maîtrise vraiment le sujet, mais certains coureurs prennent ça en fermant les yeux. Honnêtement, ça me dégoûte un peu. Plus généralement, certains rentrent dans des sortes de protocoles qui ne me font pas du tout envie. Et puis, voilà, quand ta passion devient ton métier, c’est différent… Il y a une pression de résultat, un besoin de rentabilité vis-à-vis des sponsors, une responsabilité en matière d’image… Il faut être rentable, en quelque sorte. Il suffit d’un petit grain de sable pour que tout s'enraye.

Mi-septembre, tu as réalisé une sortie de 363 kilomètres avec plus de 10.000 mètres de dénivelé (lire ici). C’est ce genre de défis là que tu aimes dans ta pratique du cyclisme, plus qu’une recherche de résultats sur une épreuve de Classe 1 par exemple ?
Je n’ai jamais dénaturé ma pratique du vélo et je ne voulais pas que ça change. Oui, c’est ça, le vélo que j’aime. Les défis, les aventures, le plaisir… Je ne veux pas être privé de faire une randonnée de trois heures avec ma copine ou me retenir d’aller boire un coup avec des amis un soir au risque de ne pas être compétitif le week-end suivant. Certains le font et y arrivent, tant mieux pour eux. Mais ce n’est pas pour moi.

Et maintenant, comment imagines-tu ton avenir ?
Je veux rester dans le monde du vélo. Je veux transmettre mes valeurs et ma façon de pratiquer ce sport au plus grand monde. Si tout va bien, je devrais passer le DEJEPS à Besançon pour devenir entraîneur ou encadrant. J’espère pouvoir ensuite trouver un poste, voire monter ma propre structure.

« UN CHALLENGE PERSONNEL PEUT AVOIR BIEN DES FACETTES »

Tu évoquais à l’instant des valeurs à transmettre : lesquelles ?
Des valeurs simples mais essentielles. Je pense à l’humanité, le partage, le plaisir, le dépassement de soi, le respect de l’environnement. Je veux prôner un cyclisme plus propre, avec de belles valeurs. Je veux un “cyclisme vert”. C’est super important. Combien de fois je me suis pris la tête dans le peloton avec des mecs qui jettent des bidons n’importe où, dans les rivières ou au-dessus des ponts. Je vois ça tous les week-ends et franchement, ça m’agace. Et pas qu’un peu !

Tu t’imagines entraîner et encadrer des cyclos ou à un haut niveau ?
Mon truc, c’est quand même la performance. Je veux garder une notion de progression. Le but, c’est de faire grandir des gens qui ont des objectifs. Mais progresser, ça ne veut pas forcément dire vouloir gagner des courses ou passer pro. Un challenge personnel peut avoir bien des facettes. Par exemple, ça peut être l’envie de réussir à faire une sortie de 200 bornes, où une randonnée spécifique, gravir des cols… Ou simplement pouvoir suivre des amis sur de belles sorties.

Que retiendras-tu de tes années sur le vélo, en compétition ?
J’ai pu atteindre mon rêve de gosse en étant pro. Le tout en gardant ma façon de faire, mes valeurs, et en conservant ma passion. J’en suis fier. C’était une superbe aventure. J’ai beaucoup appris sur le vélo. Je n’ai pas vu tout ce que j’aurais peut-être pu voir mais j’en ai vu beaucoup quand même (sourire). C’est intéressant d’avoir ce regard-là pour l’avenir. Sportivement parlant aussi, j’ai vécu de beaux moments, notamment cette année en participant à la victoire de Jordan (Levasseur) au Gabon. Je n’oublie pas non plus mon maillot de meilleur grimpeur sur les 4 jours de Dunkerque. Ce sont de très bons souvenirs.

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