La Grande Interview : Michel Gros

Crédit photo Nicolas Gachet - DirectVelo

Crédit photo Nicolas Gachet - DirectVelo

Cycliste, entraîneur, directeur sportif, agent de coureurs et président de club depuis cette année, Michel Gros a tout connu dans le cyclisme. Mais jamais une période sans vélo. Alors, forcément, quand DirectVelo l'a appelé ce mercredi après-midi, le Rhodanien de 78 ans regardait une rediffusion de course à la télévision.
Pendant le confinement, des souvenirs de sa longue carrière dans le vélo remonteront certainement à la surface. De la période faste du VC Lyon-Vaulx-en-Velin à l'affaire Festina, en passant par sa relation avec les coureurs pendant sa période d'agent. Où il a été à plus de 60 ans un précurseur. “J’ai ouvert la porte. Modestement, c’est un peu grâce à moi que le métier a été plus reconnu, surtout en France”, sourit-il. Le nouveau président du VC Vaulx-en-Velin (lire ici), qui compte 63 licences à la Fédération Française de Cyclisme, avait forcément beaucoup de choses à raconter à DirectVelo. 

DirectVelo : Toi qui a toujours vécu en extérieur, comment vis-tu cette période de confinement ?
Michel Gros : En tant que président, j’ai averti tous les coureurs du club qu’il ne fallait plus s’entraîner à l’extérieur. Il faut respecter les consignes. La santé publique est plus importante que le vélo. Ils ont encore plus ou moins roulé jusqu’au dernier moment, mardi matin. La plupart des coureurs ont coupé. Ils vont remettre en route ensuite, comme après une coupure hivernale. Sauf que là, ça sera du home-trainer et de la PPG (Préparation Physique Générale), faite à la maison.

Comment imagines-tu ton quotidien ces prochaines semaines ?
Je vais pouvoir faire des choses que je n’ai pas encore faites jusque-là, comme  jardiner. Pour tondre la pelouse, je ne sais pas comment je vais faire car on ne peut pas aller à la déchèterie (sourires). Concernant le club, il y a des dossiers à remplir. On va se mettre à jour, et ce depuis la maison car on a fermé le club pendant cette période. On ne sait pas combien de temps ça va durer, sans doute plus de quinze jours. Ça me parait difficile de revoir des courses de vélo avant fin mai, début juin. 

Es-tu inquiet pour le vélo ?
Je n’ai jamais connu cette situation-là, mais oui on peut s'inquiéter. Tout le monde va tirer la langue, aussi bien les collectivités que les entreprises privées. Ce ne sera pas une bonne chose pour le cyclisme, ni pour personne d’autre évidemment. Ce n’est rien du tout par rapport aux malades, mais il faudra que le cyclisme digère tout ça. Aussi bien le cyclisme professionnel qu’amateur. Il sera difficile de joindre les deux bouts. 

« ÇA ME FAISAIT MAL AU VENTRE »

Cela arrive l’année où tu as pris la présidence du VC Vaulx-en-Velin… 
On ne peut pas dire que la gestion du club était catastrophique car en réalité, il n’y avait aucune gestion. On piochait dans les caisses sans savoir s’il restait de l’argent sur le compte. Il n’y avait pas beaucoup de candidats pour prendre la présidence. J’ai vécu de belles années avec ce club. C’est moi qui ai monté le haut-niveau à Vaulx-en-Velin en 1982. J’y suis resté jusqu’à fin 1994, et pendant toutes ces années, nous avons été dans les deux-trois meilleurs clubs français. Ça me faisait mal au ventre de voir le club un peu en perdition.

As-tu hésité avant de te lancer ?
Tout seul, je ne l’aurais pas fait. J’ai pris la présidence avec l’aide d’une bande de copains, avec qui nous avions monté l’équipe Juniors. Avec les parents Jarnet et Vercher, Régis Auclair… Quelqu'un nous a aussi rejoint pour rechercher des partenaires. Chacun se charge d’une partie du travail. Nous avons resserré les boulons, en arrêtant des dépenses qui n’étaient pas nécessaires, et ce pour mettre le budget en équilibre. 

C’est un nouveau challenge pour toi !
Dans un premier temps, j’ai pris le rôle du pompier de service. J’ai la passion du vélo. Mon idée est de repartir vers le haut-niveau. Nous avons fait un bon travail de formation ces deux dernières années chez les Juniors. Nous avons beaucoup de coureurs qui sortent de Juniors qui ont le niveau pour évoluer en 1ère catégorie. On l’a vu en ce début de saison. Pour nous, c’est un projet d’avenir. Pas à titre personnel, car c’est difficile d’avoir un projet d’avenir à 78 ans, mais pour l’équipe qui prendra le relais. 

Au final, tu ne t’es jamais éloigné du club…
Un petit peu quand même au moment où j’étais agent. On se détache du vélo amateur quand on est chez les pros. C’est difficile de suivre les choses de près car on est pris par son quotidien. J’ai tout de même toujours été en lien avec le club. Quand Julien Jurdie est rentré chez RAGT, ça avait été un peu compliqué derrière. J’avais relancé une première fois le club en 2005. J’avais fait venir des coureurs comme Rémi Cusin ou Jérôme Coppel. Il y avait ensuite eu Jean-Lou Paiani, puis plus tard Clément Venturini et Dorian Godon. Nous avons toujours été tournés vers la formation. Mais si j’avais pris du recul à un moment, Régis assurait la direction sportive et Jean Delphis, avec Vulco, a permis au club de garder un bon niveau pendant plusieurs années. 

« QUAND IL MANGE TROP DE FRITES, IL SE FAIT ENGUEULER... »

Tu es aussi revenu via ton petit-fils, Logan…
Je suis revenu comme je le disais car nous étions une bande de copains sur les courses, avec Bruno Vercher, Vincent Jarnet… Nos fils ou petits-fils étaient très copains même s’ils n’étaient pas dans le même club. Nous avons donc décidé de nous regrouper pour faire un team, qui a démarré en Cadets 2, en 2017. Les gamins ont vécu des belles années Juniors. Ils ont disputé des belles courses. Ils ont commencé à apprendre ce qu’était le métier de coureur. 

Comment as-tu vécu la deuxième place de Logan au Championnat de France Cadets 2017 ?
Je m’occupais de son entraînement de A à Z. Ça a été un moment d’émotion très fort. C’était différent des grandes victoires que j’ai pu avoir avec d’autres coureurs. Quand c’est ton petit-fils, c’est forcément un grand moment. 

Est-ce simple pour lui d’être le petit-fils de Michel Gros ?
J’ai arrêté de l’entraîner. Car c’est difficile d’associer le côté sportif à la vie de famille. Son père travaille comme assistant chez AG2R La Mondiale, il n’est donc pas très souvent là. Logan, je l’ai très souvent avec moi à la maison donc dans ces cas-là, on mélange un peu tout. Quand il mange trop de frites, il se fait engueuler. J’ai donc lâché la bride depuis un an. Vincent Terrier s’occupe désormais de son entraînement. 

« AGENT, C'ÉTAIT PASSIONNANT »

Ta vie d’agent te manque-t-elle ?
Il y avait beaucoup de déplacements, et c’est de plus en plus fatiguant quand on vieillit. À la fin, c’était de plus en plus prenant. J’ai quand même eu jusqu’à 60 coureurs. Quand, j’ai commencé à travailler avec Joona Laukka, en 2012, j’avais 25-30 coureurs. Puis avec lui, comme il a l’avantage de parler beaucoup de langues, nous avons eu beaucoup plus d’étrangers. Je m'occupais de toute la partie administrative, ça faisait beaucoup de soucis. Nous avions trouvé un bon accord : il me reprenait la boîte après cinq ans. Ça s’est très bien passé. J’ai fait l’agent de 2005 à 2017.

Comment t’es-tu retrouvé à être agent ?
Fin 2002, j’ai arrêté d’être directeur sportif avec Jean Delatour. J’ai été contacté par une société de management qui était dans plusieurs sports, et qui souhaitait se développer dans le cyclisme. J’ai commencé comme ça, pour donner un coup de main et m’amuser. J’ai été pendant deux ans apporteur d’affaires. En 2003, Cyril Dessel et Samuel Dumoulin ont été les deux premiers coureurs dont je me suis occupé comme agent. 

Ça a très vite fonctionné…
J’ai passé l'examen d’agent, et je me suis dit pourquoi pas monter mon affaire. J’avais l’avantage d’être proche des managers d’équipes. J’ai été leur collègue pendant plusieurs années. Ça facilitait les relations. J’étais également proche des coureurs. J’ai rapidement eu une trentaine de coureurs. C’était passionnant. C’était un métier différent de celui de directeur sportif, il y avait moins de stress. Il n’y a pas seulement le côté financier qui compte pour le coureur. Il doit aussi trouver une équipe où il va bien se sentir. Il fallait penser à la suite de la carrière du coureur. L’idée a toujours été de gérer dans la durée. 

Aujourd’hui, suis-tu la carrière de certains avec un oeil particulier ?
Avec Joona, on se téléphone de temps en temps. Je suis l'évolution des coureurs. Les derniers contrats que j’ai fait signer en 2017 se terminent cette année. Petit à petit, on perd le contact même si je me rends encore sur quelques courses pas très loin de la maison. J’ai toujours un lien particulier avec Dorian Godon ou Clément Venturini. Clément, je le suis depuis toujours. J’ai été à l’origine de son passage chez les pros. Il y a un côté affectif, j’étais avec lui sur des cyclo-cross à l’autre bout de la France. 

Quelle est la signature qui t’a le plus marqué ?
Il y a notamment eu le premier contrat signé avec Romain Bardet, mais je crois que la plus marquante, ça a été Jean-Christophe Péraud. C’était particulier. Il a signé chez les pros alors qu’il allait sur ses 33 ans. On discutait depuis un an. On s’était rencontré, autour d’un verre, à Villeurbanne, après sa 2e place aux JO de Pékin en 2008. Il avait été Champion de France Amateur cette année-là, à Semur-en-Auxois. On avait signé un contrat pour que je m’occupe de lui. En juin 2009, il gagne devant les pros le Championnat de France du contre-la-montre. Et en descendant du podium, il me dit : “on tente le coup”. Je m’y suis mis activement mais ça n’a pas été simple. Les managers voulaient lui donner le salaire minimum alors qu’il avait un bon contrat en VTT. J’ai trouvé la meilleure écoute auprès de Marc Sergeant, chez Lotto. Il avait de bonnes conditions chez eux, il gagnait bien sa vie. Il a de suite été dans le coup, avec une 9e place au général de Paris-Nice. Il était meilleur que son leader, Jurgen Van den Broeck, ce qui a posé problème. Dès le mois de mai, il m’a dit qu’il n’allait pas pouvoir rester dans l’équipe. Je suis retourné voir Sergent pour trouver un terrain d’entente, et derrière, Vincent Lavenu a fait l’effort. Ça a été un grand moment de le voir terminer 2e du Tour de France en 2014. 

L’AFFAIRE FESTINA, UN MAL NÉCESSAIRE

Quand tu étais agent, le quotidien d’une équipe ne te manquait-il pas ?
Non. Quand j’ai arrêté d’être DS, c’était vraiment le moment d’arrêter. J’avais déjà 52 ans quand j’ai commencé avec Roussel, chez Festina, en 1994. J’y ai passé cinq ans. Il y a eu des moments de plaisir, et d’autres de déplaisir (sourires). Mais néanmoins, l’affaire Festina a été un “mal” nécessaire. Le cyclisme était parti sur une mauvaise voie. On cherchait plus, à l’époque, l’embauche du meilleur médecin que celle du meilleur coureur. Nous étions dans une grave dérive. Ça faisait même peur… 

Repenses-tu à ces moments-là ?
J’ai été en garde à vue avec les coureurs. Heureusement pour moi, je n’ai jamais été impliqué de près dans le système (de dopage, NDLR). Nous étions évidemment au courant de tout ce qu’il se passait dans le vélo. Je crois qu’à l’époque, tout le monde en parlait à haute-voix. On ne se rendait pas compte de ce qui pouvait arriver. 

On sort forcément marqué d’une garde à vue….
Oui, ça marque. En 1998, j’avais déjà des contacts avec Jean-Pierre Frety, le fondateur de Jean Delatour, via Serge Barle qui était un de ses amis. Nous avions commencé à parler de budget. Et dans ma tête, c’était plus jamais ça. J’ai vécu les choses chez Delatour comme avec Vaulx-en-Velin. Il y avait un ancrage rhodanien, avec beaucoup de jeunes de la région. Delatour, ça a été passionnant. Mais je ne crache pas sur Festina car ça a été une belle aventure. Il y a eu des grands moments comme le Championnat du Monde à Saint-Sébastien (remporté par Laurent Brochard, NDLR) ou le Tour 97. Aujourd’hui, ça me fait un peu peur parfois de lire les réseaux sociaux. C’était un problème général, pas celui de Festina. La grande majorité des coureurs était à l’EPO. Certains dirigeants avaient un bandeau devant les yeux, même après l’affaire.

Est-ce que ça te gêne de devoir reparler de l’affaire Festina ?
Non, je n’ai rien à cacher par rapport à tout ça. 

Pourrais-tu parler facilement de l’affaire Festina à un jeune du club ou à ton petit-fils ?
Les jeunes d’aujourd’hui sont à 10 000 lieux de tout ça. Ce n’est pas un sujet de conversation. Heureusement, ils arrivent dans un cyclisme différent. Honnêtement, je ne sais pas si j’aurais contribué à faire faire du vélo à Logan si c’était comme avant.

« J’AVAIS DEUX MÉTIERS »

Quelle partie de ta vie dans le vélo as-tu préféré ?
J’ai commencé par être coureur ! (rires) J’étais jeune, j’avais de l’ambition… C’était de bons moments. Je m’étais laissé jusqu’à 24 ans pour réussir, sinon je rentrais dans la vie active. J’ai ensuite continué de courir, mais je suis rentré en parallèle chez Peugeot pour vendre des voitures, et j’en ai vendu pendant près de 25 ans. Je m'occupais des flottes. Pendant mes neuf dernières années chez Peugeot, en parallèle, je m’occupais de Vaulx-en-Velin. J’avais deux métiers de 1982 à 1990. 

Ce devait être particulier...
J’étais toujours à bloc. Je ne prenais jamais un jour de vacances. Je faisais beaucoup de déplacements pour le boulot. J’allais à Lille, à Toulon… Le peu de temps libre que j’avais chez Peugeot, je le passais pour le club. En 1982, le seul vélo de rechange qu’on avait, c’était le mien. Pendant neuf ans, j’ai eu une vie de fou. J’y ai laissé des plumes. J’ai fait des pontages coronariens en 93. C’était la suite de tout ça… J’ai eu jusqu’à 24 coureurs et je faisais le programme des 24. Aujourd’hui, il n’y a plus un directeur sportif de DN qui entraîne tous les coureurs. 

Puis tu es passé à 100 % dans le vélo...
Je faisais deux métiers, et il y en avait un de trop. Michel Conchon, le président de Sodime, partenaire du club, m’a assuré mon salaire de Peugeot pendant trois ans. C’est pour ça que j’étais le DS amateur le mieux payé de France (rires). J’ai pris le risque de le faire… Sans Michel Conchon, je ne serais jamais parti chez les professionnels. Nous avions fait une grande année 94 avec Vaulx-en-Velin. En 1993, Bruno (Roussel) m’avait proposé de rejoindre Festina mais ça a été repoussé avec mes pontages. Ça s’est fait fin 94. C’était le moment de partir. On avait fait une grande saison, je n’aurais jamais pu faire la même chose !

A l’époque de Vaulx-en-Velin, tu faisais déjà l’agent !
À cette période-là, le directeur sportif “vendait” ses coureurs. J’ai eu Eric Pichon et Jean-Luc Jonrond qui sont passés pros fin 89. En 90, (Jean-Philippe) Dojwa a signé chez RMO. En 92, j’ai eu (Francisque) Teyssier, qui avait gagné seize fois en Elite, (Bruno) Thibout et (Gilles) Talmant. Cette année-là, sept coureurs sont passés pros dont trois de Vaulx-en-Velin. Puis il y en a eu, en 93, (Stéphane) Goubert et (Gilles) Bouvard. Puis (Christophe) Moreau et (Sébastien) Médan en 94.

Tu te souviens de tout !
Je n’ai pas de papier devant moi (rires). J’ai la chance d’avoir encore de la mémoire. Mais parfois, je ne me souviens pas de l’endroit où j’ai posé mes lunettes, ou je cherche souvent mon téléphone !

Tu as finalement su t’adapter à chaque époque...
J’ai pris cette année ma 63e licence. Je reste dans le coup en étant avec les jeunes. Même si je pense que quand je ne suis pas là, ils disent “le vieux con, il nous emmerde” (rires).

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