Hinault 74 : Saint Thomas n'avait jamais vu ça !

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Au départ de la 4e étape de la Route de France, Bernard Hinault est toujours 7e du général à 54" du maillot blanc, Henri Berthillot, le vainqueur du Puy-de-Dôme (lire la première partie). Au milieu de l'étape se dresse le col de Saint-Thomas.

Le gars d'Yffiniac se lance dans le boulot de bonne heure. Il se retrouve dans un groupe à l'avant. Ce jour-là, il ne sent pas les pédales, ses compagnons, si. Dans un long faux-plat, vent de côté, il en fait péter plus d'un. Et pourtant, il leur ouvre grand l'éventail en leur laissant toute la largeur de la route pour s'abriter. Robert Leroux, en 1979, rappelait qu'"il était tellement fort chez les Cadets que malgré les erreurs monumentales qu'il faisait, il gagnait. Je me disais, il verra après... il passe chez les séniors en toutes catégories, il faisait pareil et il gagnait toujours. Et même chez les pros, la première année, il paraît qu'il prenait la tête du peloton et que tout le monde riait derrière".

PLUS FORT QUE TOUT LE PELOTON

Dans le col de Saint-Thomas, long de dix kilomètres, c'est le coureur de 19 ans qui a envie de rigoler un peu. "Je m'ennuyais", dit-il après l'arrivée. Il oublie les cinq derniers rescapés délivrés de leur séance de torture. Hinault passe ses adversaires dans son grand moulin à chaque tour de pédale. Ils passent au broyeur, au convertisseur, au claqueur et à la sortie du tamis, il n'en reste que de la farine.

Le coureur des cycles Juaneda plonge dans la brume de la descente. Il reste 80 km avant de rejoindre l'arrivée à Vichy. En 1972, à Arras, il était devenu Champion de France Juniors après un raid de 60 bornes. Bernard Vallet, son dernier adversaire, avait sauté de sa roue dans la dernière bosse et il le retrouve dans cette Route de France. "Si les coureurs avaient le malheur de lui laisser prendre 30", c'était fini, on ne le revoyait plus", se souvenait Robert Leroux.

Casquette jaune et bleue enfoncée sur la tête, le Breton creuse l'écart. Mais son avance ne dépasse jamais les trois minutes. Dans les 15 derniers kilomètres il affronte le vent de face et les longues lignes droites qui l'offrent en point de mire, 30" devant le peloton. Si ça commence à s'énerver en tête de paquet, ça s'active aussi beaucoup derrière. Mickey Wiegant, le directeur sportif de l'ACBB, croit à la victoire finale de son coureur Michel Laurent, 3e du général à 26" de Henri Berthillot. L'ACBB est la réserve amateur de la grande maison Peugeot (lire ici). Un directeur sportif breton est témoin d'un drôle de manège : "Mickey" Wiegant fait le tour des équipes Peugeot, pas pour les embaucher mais pour les menacer de perdre le soutien de la marque aux damiers si leurs coureurs ne roulent pas derrière le fuyard. Mais Hinault est plus fort que tout le peloton et conserve une longueur d'avance sur la ligne. C'était "moins une", il n'a pas le temps de lever le bras, mais l'exploit est salué par tous.

« JE PENSAIS BIEN GAGNER QUAND MÊME ! »

Le lendemain, un samedi, le contre-la-montre clot cette Route de France. Comme au Circuit Franco-Belge, le Breton termine 2e de la "spéciale", à 39" de Michel Laurent. Le coureur de l'ACBB, le poulain de Paul Wiegant, fait coup double : étape et général. Le directeur sportif parisien donne beaucoup d'importance au contre-la-montre et le matériel de ses coureurs est à la hauteur. Plus que celui d'Hinault. En juillet, au Championnat de France sur piste à Caen, avant la finale de la poursuite qu'il va gagner, Daniel Morelon a pitié de ses roues "trop lourdes, trop vieilles" et lui prête une paire légère chaussée de fins boyaux. Maurice Le Guilloux, son voisin de Plédran, déjà chez les pros en 1974, se souvient de l'état de son cadre : "un vélo pourri".

A l'arrivée, le journaliste Jean-Luc Pincemin de la station régionale de l'ORTF demande à la révélation de la Route de France s'il pensait faire aussi bien que sa deuxième place au départ. "Je pensais bien gagner quand même !", repond-il du tac-au-tac. Du Hinault pur jus. Déjà sous Bonaparte, perçe Napoléon. "Ce qui fait la force de Bernard, c'est sa volonté de vaincre", résumait Robert Leroux.

Mais le futur Blaireau va connaître des échecs. Au Championnat de Bretagne, il perce, il casse sa roue-libre, il bâche et râte le Championnat de France. Après son titre de Champion de France de poursuite, il lance aux photographes : "gardez de la pellicule pour plus tard…quand j'aurai le maillot arc-en-ciel". Mais au mois d'août au Championnat du Monde à Montréal, il ne signe que le 23e temps en séries. Fin septembre, il termine 4e et déçu du Grand Prix de France contre-la-montre.

ABONNÉ AU DOSSARD 74

Au mois d'octobre, le coureur qui n'a pas encore 20 ans retrouve les organisations de Jean Leulliot avec l'Etoile des Espoirs courue autour de Fougères (Ille-et-Vilaine). Il porte pour la première fois le maillot de l'équipe de France sur route mais pour la deuxième fois, il épingle le dossard 74, comme à la Route de France. Pourtant, il aurait aimé débuter chez les pros à cette occasion mais il aurait fallu signer son contrat avant le 26 août. Le 16 septembre, Robert Leroux annonce qu'il sera néo-pro chez Gitane en marge du critérium de Saint-Brieuc gagné par... Cyrille Guimard.

Le même Cyrille Guimard est finalement au départ de l'Etoile des Espoirs après s'être décidé la veille du départ. C'est la première rencontre du duo. Le deuxième jour, le matin, Hinault, toujours chien fou, s'échappe au départ. Il est rejoint par Maurice Le Guilloux, équipier de Willy Teirlinck le leader, et qui ne le relaie pas. Hinault rate un virage, rentre dans une cour de ferme et finit dans la paille sous un hangar. L'après-midi, c'est le contre-la-montre. Seul Roy Schuiten va plus vite que lui. Le Hollandais est un des meilleurs rouleurs du moment : champion du monde de poursuite et vainqueur du Grand Prix des Nations le dimanche suivant. "Exploit hors du commun", écrit Ouest-France convaincu de tenir "un des grands espoirs du cyclisme breton". Mondial en fait.

Mots-clés