Réserves : Un engagement à double tranchant

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

S’engager avec une équipe réserve n’a-t-il plus d'influence sur la suite d’une carrière ? La question peut se poser. Cet hiver, Donavan Grondin a rejoint Arkéa-Samsic après une saison chez Vendée U, réserve de Total Direct Energie. L’Américain Matteo Jorgenson est passé du Chambéry CF à la Movistar. Ilan Van Wilder, très en vue avec Lotto-Soudal U23, s'est engagé avec le Team Sunweb. Si ce n’est pas une nouveauté, la tendance semble se développer. 

“Quand tu signes au Chambéry CF, la logique est de vouloir passer chez AG2R La Mondiale”, reconnaît un ancien coureur du club savoyard. “À la base, évidemment, on va au Vendée U pour rejoindre Direct Energie”, assure de son côté un ex-pensionnaire de la maison vendéenne pour DirectVelo. Mais au fil des saisons, les coureurs s’interrogent. “Plus le temps passe, et plus tu commences à envisager autre chose. Disons que si tu n'as pas de nouvelles dans ta troisième année Espoirs, tu grattes un peu pour avoir des infos”, reconnaît un ancien membre de l’antichambre d’AG2R La Mondiale. 

« C’EST AUSSI À L'ÉQUIPE DE JOUER LE JEU »

Souvent, un coureur peine à avoir des informations. Et difficile pour un jeune, sans agent, de prendre son téléphone pour appeler le manager de l’équipe pro. “Au Chambéry CF, on essaie d’avoir des infos auprès de Loïc (Varnet, le manager du CCF, NDLR)”. Si certains brillent aujourd’hui chez AG2R La Mondiale, ils se sont posés des questions en attendant ce premier contrat pro pendant leurs années chambériennes. Et l’ont fait savoir à Loïc Varnet.

L’attente peut paraître parfois longue. Et difficile d’être patient quand un coureur n’a aucune nouvelle sur son avenir. “C’est aussi à l’équipe de jouer le jeu en tenant les coureurs informés, car ces derniers ont peur de se retrouver le bec dans l’eau et d’attendre un contrat qui ne viendra jamais, estime Christophe Le Mével, reconverti agent de coureurs. Quand tu es dans une équipe réserve, la priorité est forcément de passer au-dessus avec cette formation-là. Pour autant, on sait bien que les managers ne peuvent pas prendre tous les coureurs de la réserve dans la structure professionnelle. Dans ces conditions, il faut accepter que certains coureurs partent vers d’autres horizons”

« LES LOIS DE LA CONCURRENCE ET DE LA RIVALITÉ REFONT SURFACE  »

Un discours partagé par Philippe Raimbaud, autre agent de coureurs. “Le problème, c’est qu’il faut tout de même se permettre d’envisager d’autres possibilités de passer pro assez tôt dans la saison. Je m’explique : souvent, des coureurs m’appellent fin août pour me dire : « je ne vais pas être pris dans l’équipe, je me retrouve sans rien… ». Mais bon, fin août, c’est un peu tard. Tout miser sur une seule équipe est à double tranchant”. Selon Philippe Raimbaud, un coureur ne part jamais de gaieté de cœur. "On sait que les réserves s’investissent beaucoup et sont très utiles au développement des athlètes. Malgré tout, les lois de la concurrence et de la rivalité refont surface à un moment donné”, note-t-il. Pour lui, il ne faut pas faire de généralité. 

Certains coureurs ont, ces dernières années, signé un contrat sans prévenir leur équipe. “Si un coureur du Chambéry CF ou du Vendée U reçoit une proposition d’une autre équipe, il faudra laisser un laps de temps à AG2R La Mondiale ou à Total Direct Énergie pour faire une autre proposition, juge Christophe Le Mével. Bien sûr, le coureur doit toujours avoir les clefs en main. C’est lui qui décide. Mais aller directement annoncer à ses dirigeants que l’on a signé ailleurs, ce n’est pas l’idéal. Il faut discuter et essayer de garder une situation saine et sereine”

« IL NE FAUT PAS PENSER À COURT TERME »

Alors pourquoi changer de crémerie ? “Il faut comprendre un coureur de 20 ans qui reçoit un contrat d’une équipe pro alors qu’il n’a encore rien de concret du côté de la WorldTour ou ProTeam liée à sa réserve”, note un professionnel français passé par un club lié à une équipe pro. Tous les observateurs sont unanimes, ce n’est pas une question d’argent. “Du moins, pas au niveau du peloton français, estime Christophe Le Mével. Il faut dire que nous n’avons pas encore eu des phénomènes comme Remco Evenepoel en France, ces dernières années. Les coureurs regardent d’abord un projet sportif avant de regarder l’aspect financier. C’est de toute façon le discours que je tiens auprès des coureurs que je suis : il ne faut pas penser à court terme et voir ce que l’on va gagner sur les deux prochaines années lorsqu’on est néo-pro. Il faut raisonner en terme de plan de carrière et avoir une vision à long terme”.  

Il y a quelques années, un jeune français a refusé la proposition de la formation professionnelle de sa réserve. Ensuite, il n’a pas trouvé ce qu’il attendait dans son équipe, et sa carrière n’a pas duré. “C’est bien connu : on pense toujours que l’herbe est plus verte ailleurs ou dans le pré du voisin”, regrette Damien Pommereau. On fait quand même pas mal de choses”. Pour autant, le directeur sportif du Vendée U  s’interroge. “Peut-être que tout n’est pas dit assez clairement mais ça nous semble naturel, dit-il. C’était déjà arrivé avec Pierre-Henri (Lecuisinier) mais d’une manière différente que pour Donavan (Grondin). On ne comprend pas, à chaque fois. Mais il ne faut pas se dire que ça reste des cas isolés. Forcément, il s’est passé quelque chose dans les cas de Pierre-Henri et de Donavan. À nous de les corriger pour les prochaines fois. On a forcément une part de responsabilité. On serait cons de se contenter de dire que ce n’est pas juste et que ce n’est pas de notre faute”.

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