La Grande Interview : Arnaud Pfrimmer

Crédit photo Nicolas Gachet - DirectVelo

Crédit photo Nicolas Gachet - DirectVelo

Il n’avait connu que le seul club du CC Étupes depuis ses débuts sur un vélo, en Minimes. Mais après avoir déjà hésité à franchir le pas fin 2017, Arnaud Pfrimmer a finalement opté pour un changement d’équipe l’hiver dernier. Le Franc-Comtois avait en effet besoin de tourner la page. Pour sortir de sa routine, et par besoin de changement. “J’avais peur de m’enfermer dans un rôle et surtout, de m’endormir dans un club que je connaissais par coeur. Pour passer pro, il fallait que je change quelque chose”. Un choix qui semble d’ores-et-déjà s’avérer payant pour le garçon de 22 ans, qui réalise actuellement l’un des meilleurs débuts de saison de sa jeune carrière, sous son nouveau maillot du CC Nogent-sur-Oise (retrouvez ses résultats ici). Mais le changement n’a-t-il que du bon ? Quelle part de risque ou de doutes y trouve-t-on ? Le Belfortain en avait-il mesuré les effets et les éventuelles conséquences avant de sortir de ce qu’il décrivait lui-même comme sa “zone de confort” ? Analyse d’impact avec Arnaud Pfrimmer.

DirectVelo : Après avoir passé de longues années au CC Étupes, tu as rejoint le CC Nogent-sur-Oise cet hiver ! Comment as-tu vécu ce changement ?
Arnaud Pfrimmer : Ce changement de club était voulu depuis un bon moment. J’en avais besoin. Lorsque je suis arrivé à Nogent, je me suis dit qu’il fallait remettre les compteurs à zéro et montrer de grandes choses pour espérer passer pro. Surtout en n’étant plus un coureur Espoir. J’ai trouvé un staff qui m’a soutenu dès le début, ce qui a rendu les choses beaucoup plus faciles. J’ai choisi Nogent avec une idée en tête. Au début, j’avais quelques craintes. Je sortais de ma zone de confort, et je me demandais comment j’allais m’organiser, comment j’allais faire. En fait, tout se passe bien.

Qu’es-tu venu chercher en Picardie ?
Des découvertes. A Nogent, on participe par exemple à des courses à bordures. On est même parfois à l’origine de ces bordures, ce qui n’était pas du tout le cas à Étupes. Je n’aimais pas du tout ce type de courses par le passé mais j’apprends, et c’est ce que j’étais venu chercher ici, épaulé par de bonnes personnes. J’ai fait de belles performances sur Bordeaux-Saintes ou le Tour du Canton de l’Estuaire, mais si on m’avait dit ça lorsque j’étais à Étupes, j’aurais rigolé. Ça prouve que j’ai évolué, déjà.

T’étais-tu projeté avant de signer au CC Nogent-sur-Oise ? Avais-tu imaginé les difficultés que tu pouvais potentiellement rencontrer ?
J’étais surtout excité de changer d’équipe, après neuf ans au CC Étupes, depuis les Minimes. Au moment du premier rassemblement, on se demande si l’on va s’entendre avec tout le monde, si le staff est sympa… Il y a des craintes, mais elles se sont vite éteintes. Cette crainte s’est transformée en grosse motivation car je me suis rapidement bien senti dans mon équipe.

On imagine que tu dois régulièrement faire la navette entre la Picardie et la Franche-Comté : quelles sont les adaptations que tu as dû apporter à ton organisation, en terme de déplacements ?
Pendant mes quatre années Espoirs, j’ai connu le confort à Étupes. Je vis à Belfort, donc j’étais à quinze minutes du siège du club. Il m’était facile d’aller chercher du matériel. Pour l’organisation des déplacements, c’était très simple également. Le jour-même d’un déplacement sur une épreuve, je prenais ma voiture, j’allais au siège du club, et on partait en camion avec le reste du groupe. En rentrant le soir, je récupérais ma voiture et j’étais très vite chez moi. Tout était bouclé sur la journée. Maintenant que je suis coureur au CC Nogent, je dois prendre plus de temps pour m’organiser. Je voyage beaucoup en train. Généralement, je dois me déplacer la veille de la course. Je me rends directement sur le lieu de la course, ou je cherche une gare, sur la route, à laquelle le staff peut me récupérer. Si ce n’est pas très loin du siège du club, alors je me rends directement à Nogent-sur-Oise en train, puis on fait le reste de la route ensemble.

Et entre les compétitions ?
Cela dépend du calendrier et du lieu des courses. Lorsque deux courses se succèdent assez rapidement dans le coin, je ne vais pas me cramer à retourner en Franche-Comté pour faire deux fois l’aller-retour. Il m’est impératif de rester sur place de temps en temps, pour optimiser la récupération.

Où résides-tu lorsque tu restes sur Nogent ?
Le club a un siège avec des bureaux, et un grand atelier de mécanique. A côté, il y a un petit dortoir. Les deux irlandais (Conn McDunphy et Darragh O’Mahony, NDLR) de l’équipe y vivent toute l’année. C’est correct et sympa. On peut y vivre convenablement. C’est dans le même état d’esprit que dans la plupart des clubs de DN1, j’imagine.

« J’AI BESOIN DE CET ÉQUILIBRE LÀ »

Sur l’ensemble d’une saison, penses-tu dépenser plus d’énergie - physiquement comme psychologiquement - dans cette configuration-là, que lorsque tu étais au sein de la formation doubiste, à “domicile” ?
Je me suis forcément posé la question au début. J’ai essayé de réfléchir à tout ça. J’ai imaginé le nombre de voyages que j’allais faire dans la saison. Avant la course, après la course… Au lieu de penser à la récupération, tu bouffes de l’énergie à te demander si tu ne vas pas rater ton train. Ça peut sembler tout bête, mais il faut l’organiser. Mais finalement, jusqu’à présent, je trouve que ça se passe très bien. A vrai dire, c’est même plus confortable que lorsque j’étais à Étupes !

Pourquoi ?
Parce que je voyage régulièrement en train. Ça met moins de temps, et c’est plus tranquille. Je suis plus serein car je trouve que ça fatigue moins que les gros déplacements en camion. Je perds de l’énergie en organisation, mais sur les déplacements en eux-mêmes, j’y gagne. Il y a donc du pour et du contre, mais pour l’instant, je ne me sens pas plus fatigué que par le passé. Mentalement comme physiquement, ça ne m’a pas usé. Mais peut-être que ça pèsera en fin de saison. Je ne sais pas…



Prendre le train pour se déplacer sur chaque épreuve du calendrier est plus onéreux qu’un déplacement en camionnette avec l’ensemble de l’équipe. Dans le cas contraire, tous les coureurs pourraient prendre des transports depuis leur domicile. Dois-tu donc sortir de l’argent de tes propres poches, ou tes déplacements annuels sont-ils entièrement pris en charge par le club ?
Lorsque j’étais à Étupes, j’ai déjà envisagé de prendre le train de mon côté. C’était mieux pour la récupération et le confort, mais si je le faisais, c’était de ma poche, alors je prenais toujours l’option du déplacement en camionnette avec l’ensemble du groupe. A Nogent, j’ai réfléchi à cette organisation annuelle avec eux, dès le début de saison. On a trouvé un accord qui soit favorable à tout le monde. J’ai pris un abonnement à la SNCF. Ça leur coûte une certaine somme par mois, car c’est effectivement le club qui prend tout en charge. J’ai cette grande chance-là.

T’es-tu tout de même interdit d’aller courir pour certains clubs, car ils étaient trop éloignés de ta Franche-Comté ?
C’est sûr que si j’avais été courir en Bretagne, ça aurait marqué un changement de vie radical. Je pense que si tu cours dans un club breton, il faut vraiment vivre en Bretagne. Tu ne peux pas vivre en Franche-Comté et faire la navette tous les week-ends. Mais par exemple, j’aurais pu courir à l’AVC Aix-en-Provence. C’est un club avec un état d’esprit qui me plaît, et un calendrier intéressant. Je ne serais pas forcément descendu en Provence si souvent que ça. Je pense donc que dans certaines circonstances, ça peut se faire. Mais forcément, il faut quand même y réfléchir à deux fois. En signant à Nogent, je ne suis quand même pas si loin que ça de chez moi. Avec les trains en transit depuis Paris, ça se fait. L’aspect géographique a compté dans mon choix d’aller à Nogent.

Malgré ton choix et ton besoin de changement, tu n’étais donc tout de même pas prêt à totalement quitter ton nid familial belfortain ?
C’est ça. Je ne me voyais pas m’installer en Bretagne à l’année. Je suis quelqu’un de très famille… Je n’aurais pas pu faire ce sacrifice-là. Je vis toujours chez mes parents à Belfort et je vais régulièrement chez ma petite-amie à Strasbourg. J’ai besoin de cet équilibre-là, entre les deux.

Et sportivement parlant : pourquoi Nogent ?
J’aurais très bien pu courir pour un club rhônalpin, près de la maison : Bourg-en-Bresse ou Villefranche, par exemple, mais j’étais aussi intéressé par le calendrier de Nogent, et l’accumulation de courses dans le Nord. C’est un type de courses que j’aime beaucoup et que je voulais découvrir. Dans certaines autres clubs, j’aurais eu sensiblement le même calendrier qu’à Étupes. Ce n’était pas le but.

« J’ÉTAIS SANS DOUTE TROP TOMBÉ DANS UNE CERTAINE ROUTINE »

Tu as récemment expliqué avoir hésité à procéder à ce changement de club dès l’intersaison 2017-2018 (lire ici). Étant donné que tout a l’air de bien fonctionner en ce début de saison, regrettes-tu de ne pas avoir franchi le pas plus tôt ?
C’est vrai que j’avais déjà une envie de changer… Peut-être que j’aurais pu partir plus tôt, en effet, mais je me suis laissé tenter par une dernière saison là-bas. La seule chose qui est dommage, c’est d’avoir fait mes quatre années Espoirs dans le même club. J’aurais peut-être pu découvrir des choses différentes ailleurs. Mais si je ne suis pas parti dès la fin de saison 2017, c’est sans doute parce que je n’étais pas encore prêt à le faire. Je ne regrette pas du tout ma saison 2018 à Étupes.

Tu avais besoin d’un électrochoc, de t’imposer une sorte de pression positive ?
Oui, certainement. À Étupes, j’arrivais sur les courses dans un certain confort, en sachant ce que j’avais à faire. À Nogent, j’ai eu un électrochoc, c’est clair, surtout que les directeurs sportifs sont assez cash. Ils disent les choses quand ça ne va pas. Ça met la pression, mais c’est bien. J’ai un rôle établi bien précis et différent sur chaque course. Il faut rendre des comptes, vis-à-vis du collectif. Il ne faut pas décevoir.

As-tu le sentiment de t’être enfermé dans un certain rôle au CC Étupes ? Bien que tu sois encore très jeune, on imagine que tu commençais à y avoir un statut de grand frère pour les petits nouveaux, alors que tu étais toi-même en quête d’un passage chez les professionnels... Ne s’agit-il pas d’un piège dans lequel il faut éviter de tomber ?
C’est totalement ça ! Je ne sais pas quoi dire de plus… (rires). C’est ça, une sorte de piège. Comme on dit parfois dans le jargon du sport de haut-niveau, “on s’endort”. Et peut-être qu’effectivement, je m’endormais un peu au sein du club. Je ne remercierai jamais assez le club d’Étupes, et tout ce qui a été fait pour moi. Mais j’étais sans doute trop tombé dans une certaine routine.

Tu trouves donc à Nogent des choses que tu n’avais pas à Étupes ?
Les clubs ne se ressemblent pas tous, et heureusement. Étupes est un très grand club, qui a formé de très grands coureurs. Je le dis et je le répète : je les remercie énormément pour tout ce qu’ils m’ont apporté. Mais ils ont leur style d’organisation, et je préfère l’organisation que je retrouve actuellement à Nogent. J’ai le sentiment qu’ils mettent vraiment tout en oeuvre, au sein du club, pour que l’on performe au plus haut-niveau. Tout est pensé et imaginé pour un maximum de confort, et pour avoir des résultats. C’est un cercle vertueux.



As-tu un exemple précis ?
Le club m’a mis deux vélos à disposition : un pour chez moi et un pour la compétition. Ça me facilite les transports, et ça permet de mieux récupérer, et donc d’être performant. Autre exemple : lors du récent Tour de Saône-et-Loire, le chrono par équipes inaugural avait lieu en fin d’après-midi. On aurait très bien pu partir le matin même, mais le staff a tenu à ce que l’on arrive sur place la veille, pour que l’on puisse tranquillement repérer le parcours. Et ça s’est avéré payant puisque nous avons remporté ce chrono. Il y a peut-être un peu plus de professionnalisme à Nogent. Tout est fait de façon carrée. Il y a plus de moyens apportés au côté logistique du côté de Nogent.

Ne penses-tu pas qu’au CC Étupes, il n’y a simplement plus les moyens financiers pour permettre ce genre de confort ?
Bien sûr. Mais ça ne dit pas tout. J’imagine que tous les clubs amateurs français sont de plus en plus dans le dur. Il ne faut pas se le cacher. Peut-être que Nogent a un budget plus important qu’Étupes. Je sais qu’à Étupes, c’était en baisse chaque année… Je connais un peu moins bien les finances nogentaises. Mais malgré tout, on peut choisir ses priorités. En tout cas, ça aide d’avoir ces moyens-là. Dans mon nouveau club, on est régulièrement sur deux fronts, et ça permet de choisir plus facilement des courses dont les profils nous conviennent bien.

« JE N’AI PAS CHANGÉ »

Est-il difficile de s’intégrer à un nouveau groupe, toi qui n’avais jamais connu cette situation ?
Sur le coup, c’est une petite crainte, mais c’est quelque chose à vivre, c’est très intéressant. Flavien (Dassonville) donne un bon élan au collectif. Il a vite mis tout le monde à l’aise, dans son nouveau rôle de directeur sportif. Quand tu fréquentes des garçons de grande expérience comme Romain Bacon ou Steven Tronet, tu apprends forcément beaucoup de choses, et c’est aussi ce que j’étais venu chercher.

En arrivant dans un nouveau club, peut-il y avoir une rivalité - y compris une rivalité saine et vertueuse - entre les différents coureurs qui espèrent passer professionnels ? As-tu pensé à cet aspect-là en regardant l’effectif du “CCNO”, en début de saison ?
J’avoue qu’à Étupes, j’ai connu certaines saisons avec une grosse équipe, dans laquelle beaucoup de coureurs espéraient passer pro. Parfois, c’était “la guerre” entre certains coureurs, pour savoir qui allait faire la meilleure place. Ici, comme il y a pas mal de coureurs d’expérience qui veulent simplement se faire plaisir sans espérer passer ou repasser pro, c’est différent. Pour répondre plus directement à la question, je ne réfléchis pas vraiment à tout ça. Je suis simplement concentré sur mes propres performances.

Le coureur que tu es aujourd’hui à Nogent est-il le même que celui qui portait les couleurs du CC Étupes ?
Je n’ai pas changé. Physiquement, j’ai pris un poil plus de force. J’évolue, forcément. Mais je suis le même coureur : offensif, qui aime les échappées au long court.

Quels te semblent être tes principaux axes de travail pour passer un gros cap supplémentaire à l’avenir, et envisager faire carrière dans le cyclisme ?
Je vais faire une réponse qui va faire sourire l’un de mes directeurs sportifs : je vais travailler mes virages (sourires).

C’est-à-dire ?
Au chrono par équipes, ils m’ont perdu au bout d’un tour. Il faut dire que je n’étais qu’avec des spécialistes de critériums ! De mon côté, je ne suis pas très à l’aise dans les virages et les descentes… Je vais bosser ça ! Pour être un peu plus sérieux, je veux garder mes acquis et les travailler encore plus : mon côté grimpeur-puncheur, notamment. Je veux aussi m’améliorer en chrono. Ça peut toujours apporter sur un vélo. Il faut encore passer un cap physiquement et mentalement, sans me prendre la tête. Pour l’instant, ça se passe bien, alors je vais essayer de rester sur le même chemin.

Plus qu’un “changement”, c’est donc une évolution ?
Une progression (sourires). En attendant la suite…   

 

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Arnaud PFRIMMER