On a retrouvé : Jelle Lugten

Crédit photo AVC Aix-en-Provence

Crédit photo AVC Aix-en-Provence

Jelle Lugten a réussi à se relever. Il y a neuf ans, en février 2010, le Néerlandais débutait tout juste son aventure française, à l’AVC Aix-en-Provence, lorsqu’il a été victime d’une très lourde chute sur les routes du Grand Prix Vietto-Gianello, à Rocheville, dans les Alpes-Maritimes. Placé dans un coma artificiel au CHU de Nice pendant près de deux semaines, le jeune homme avait ensuite été transféré dans un hôpital à Utrecht, où s’en sont suivies de longues semaines de rééducation. De retour à la compétition l’année suivante, au prix de gros efforts, Jelle Lugten aura finalement jeté l’éponge en fin d’année 2011, conscient qu’il ne pourrait jamais retrouver toutes ses capacités physiques. Mais depuis, l’ancien grimpeur a retrouvé le plaisir de pratiquer le sport, et à très haute intensité. En effet, Jelle Lugten se prépare actuellement à disputer… l’Ironman d’Hawaï. DirectVelo a retrouvé la trace de l’ancien vainqueur du Tour du Valromey, chez les Juniors.

DirectVelo : On t’avait quitté durant l’été 2011, alors que tu venais de mettre un terme à ta dernière saison avec l’AVC Aix-en-Provence et que tu étais sur le point de te faire opérer (lire ici). Qu’es-tu devenu depuis ?
Jelle Lugten : Je me suis mis au triathlon récemment, il y a environ six mois, en m’inscrivant dans un club à Utrecht. J’ai découvert la pratique de la natation. C’est très technique au niveau de la respiration notamment, mais c’est intéressant. J’ai disputé le Championnat national de duathlon et j’y ai pris la 5e place, donc je suis plutôt content de moi. Pour la suite, j’ai prévu de disputer un Ironman en Grande-Bretagne cette année, et l’idée est de me qualifier pour le fameux Ironman d’Hawaï en 2020. J’ai donc toujours cette flamme en moi et l’envie de me surpasser physiquement. De toute façon, j’avais déjà cette idée derrière la tête quand j’étais coureur cycliste. Je m’étais promis d’essayer à la fin de ma carrière… Et cette fin de carrière est arrivée bien plus tôt que prévu.

« J’AI APPRIS À EN FAIRE UNE FORCE »

De quoi vis-tu ?
Après ma chute, j’ai essayé de revenir à un bon niveau, mais ça ne marchait pas très bien. Alors j’ai repris mes études, en communication, multimédia et design. Ça s’est bien passé, puis je me suis mis à travailler dans un magasin de cycles, et enfin dans un magasin de running, où je travaille d’ailleurs toujours actuellement. Comme le triathlon me prend aussi beaucoup de temps, je travaille à mi-temps, trois jours par semaine.

Cela fait maintenant neuf ans que tu as frôlé le pire suite à cette chute à Rocheville. Que te reste-t-il aujourd’hui de cet épisode ?
C’est du passé, mais je n’ai pas de mal à en parler ou à me le remémorer. Il est évident que cet événement restera en moi pour le reste de mes jours, et j’ai appris à en faire une force. Je ne le vois plus comme quelque chose de mal ou de traumatisant. En fait, j’ai simplement appris à apprécier tous les petits bonheurs simples du quotidien, car je réalise la chance que j’ai d’être ici, et de vivre.

N’as-tu plus la moindre angoisse ?
Je ne me rappelle pas du tout de l’accident et du moment où j’ai percuté de plein fouet cette voiture. Du coup, je n’ai pas vraiment peur de quoi que ce soit. Par contre, j’ai quelques petites séquelles physiques, que je garderai sûrement toute ma vie. Lorsque je suis fatigué, j’ai quelques petits soucis de mémoire. Et puis, au niveau de ma vision également, j’ai un léger handicap, pour voir sur la côté, au niveau de l’extrémité de l’œil droit, en bas à droite. Quand je roule en peloton, ce n’est pas l’idéal, car je ne vois pas parfaitement le coureur à côté de moi, mais je fais avec.

« CE N'ÉTAIT PAS VRAIMENT MOI »

Disputer des épreuves aussi difficiles que des Ironman, n’est-ce pas là le moyen de prendre une revanche après ce qu’il t’es arrivé ?
Peut-être bien, oui. C’est une bonne remarque, en fait. Je n’ai jamais fait le lien entre les deux, mais c’est vrai que l’on voit souvent des gens qui ont connu de grosses difficultés, revenir avec l’ambition de se surpasser encore plus. J’ai toujours ça en moi, cette envie de me faire mal, de me prouver des choses… Sur le vélo, je courais pour faire des résultats. C’est ce qui me motivait. En triathlon, aujourd’hui, mon but n’est plus de courir après la victoire, mais plutôt de ressentir des choses, de me dépasser physiquement… Paradoxalement, il y a un côté relaxant, et c’est un sentiment très agréable de pousser son corps à la limite, et de sentir que l’on est en contrôle malgré tout. J’aime ces sensations et je compte bien continuer un moment, pour le plaisir.

Tu avais été victime de cette lourde chute dès tes premiers jours de compétition à l’AVC Aix-en-Provence. Finalement, tu n’as jamais eu véritablement le temps de rêver à une carrière de cycliste professionnel !
Lorsque je me suis réveillé à l'hôpital, j’étais déterminé à l’idée de revenir à mon meilleur niveau. J’étais frustré d’être bloqué dans ce lit, à ne pas pouvoir m’entraîner. Je crois que je ne réalisais pas vraiment quelle était la situation. Dans ma tête, j’étais sûr à 100% de retrouver mon meilleur niveau par la suite. Et je crois que le fait d’être dans cet état d’esprit m’a aidé à récupérer plus vite que prévu. Mais avec le recul, je réalise que j’ai déjà de la chance d’être en vie.

Lorsque l’on t’avait contacté à l’hôpital, tu avais expliqué vouloir gagner une course dès la saison suivante (lire ici), et tu l’avais fait en t’imposant à Montauroux (voir ici)…
Oui, mais c’était une petite course et en réalité, je n’ai jamais retrouvé mes sensations. J’avais dû mal à me l’avouer, mais ce n’était pas vraiment moi sur le vélo. Je n’ai jamais retrouvé 100% de mes capacités, comme je pouvais l’espérer lorsque j’étais encore dans mon lit d’hôpital. Après quelques mois, j’ai compris qu’il y avait une sorte de fatalité là-dedans, et que je n’allais jamais pouvoir viser plus haut, et espérer avoir de meilleures sensations.

« J’AI RÉALISÉ QUE JE ME MENTAIS À MOI-MÊME »

Y’a-t-il eu un moment en particulier où tu as compris que ton rêve de devenir cycliste professionnel s’envolait ?
A un moment donné dans la saison, j’avais un peu perdu espoir… L’état d’esprit n’était plus le même. Je n’arrivais pas à progresser. J’étais déprimé, en fait. Ma soeur m’a dit : “regarde-toi dans le miroir, parle-toi, et dis-toi que tu vas bien, que tu vas progresser…”. Et j’ai réalisé, en le faisant, que je me mentais à moi-même. Et là, ça a été le déclic. Je me suis dit que c’était fini, et qu’il fallait que je rentre aux Pays-Bas, à la maison, pour passer à autre-chose.

Est-il possible, dans cette situation, d’avoir des regrets ?
Aujourd’hui, je serais curieux de savoir ce qu’il se serait passé sans cet accident mais évidemment, je ne le saurai jamais. Quand je vois mes amis des rangs Juniors, comme Dylan Van Baarle ou Wilco Kelderman, faire carrière au plus haut-niveau mondial, forcément, je pense à tout ça…

C’était ton destin ?
Il y a une part de ça, sans doute un peu… Le destin, on ne peut pas le contrôler, il faut simplement l’accepter. Une chose est sûre : je ne me suis jamais dit “ah, si je n’étais pas venu à Aix-en-Provence, si je n’avais pas couru en France ce jour-là”, ou des choses comme ça… Il aurait pu m’arriver la même chose aux Pays-Bas. Je ne veux pas me torturer l’esprit avec ce type de pensées.  Venir en France était une belle aventure pour moi. Je changeais de culture, je découvrais d’autres choses. Je ne regretterai jamais d’avoir tenté l’aventure.

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