La Grande Interview : Aloïs Falenta

Crédit photo Maxime Segers / DirectVelo

Crédit photo Maxime Segers / DirectVelo

Quatrième du Championnat de France Elites de cyclo-cross début janvier, Aloïs Falenta est passé tout près de son premier grand podium. Très régulier depuis le début de la saison, le coureur du VC Villefranche Beaujolais s'est vu récompenser de ses résultats par une sélection pour les prochains Championnats du Monde de la discipline. Un petit miracle pour ce coureur de 27 ans, qui a été prêt à piocher jusque dans ses derniers sous pour assouvir sa passion. Sur le fil du rasoir, c'est avec du matériel usé et des nuits à dormir dans un camion qu'il s'est rendu sur les dernières manches de Coupe du Monde. "Je me débrouille comme je peux. A vrai dire, je ne suis pas très difficile et heureusement car je n'ai pas trop le choix. Je ne vis pas dans le luxe". Porté par "la passion et l'amour" de ses proches, Aloïs Falenta dit être encore loin d'avoir repoussé ses limites. Mais rincé physiquement comme mentalement, celui qui dit être parfois "à deux doigts de péter un câble" pourrait bientôt être contraint de mettre un terme à sa carrière, si personne ne daigne l'aider. 

DirectVelo : Te voilà à quelques jours de disputer ton premier Championnat du Monde de cyclo-cross. Comment le vis-tu ?
Aloïs Falenta : Tout est allé très vite. Lorsque j'ai commencé la compétition, je n'étais ni très fort, ni très sérieux. Il y a encore trois ans, mon objectif était de rentrer dans les trente premiers sur les manches de Coupe de France. Et c'était loin d'être gagné. Mais j'ai beaucoup travaillé. J'ai progressé petit à petit jusqu'à jouer les premiers rôles, ce qui démontre une belle évolution. Cela dit pour être honnête, même au milieu de cette saison, je ne m'imaginais pas du tout être présent au stage de l'Équipe de France (en Italie, NDLR) en train de préparer les Championnats du Monde.

« JE VOULAIS METTRE TOUTES LES CHANCES DE MON CÔTÉ »

Ta progression est d'autant plus surprenante que tu as commencé la compétition très tard ?
Plus jeune, le cyclisme était un sport qui ne m'intéressait pas particulièrement. J'ai commencé par le football puis j'ai fait du rugby pendant des années. J'ai fait mes débuts sur deux roues à 18 ans, en VTT, mais simplement pour le plaisir. Je ne me suis jamais pris au sérieux. Mon club de l'UC Gessienne (Ain) était très porté vers le cyclo-cross alors j'ai tenté. Au début, c'était simplement pour faire plaisir au club et finalement, j'ai bien accroché.

Tu as disputé ton premier Championnat de France de cyclo-cross en 2011, alors que tu étais déjà Espoirs 4 ?
En fait, mis-à-part ce rendez-vous, je n'ai jamais connu de grandes compétitions nationales dans les jeunes catégories. Ma première saison complète, je l'ai faite à l'hiver 2011-2012 et j'étais déjà dans la catégorie Elites. Je me souviens bien de ma première manche de Coupe de France. C'était à Lignières (Cher). À l'époque, j'étais dans les profondeurs du classement (voir classement).

Pendant toutes ces années, qu'as-tu fait en parallèle du cyclisme ?
J'ai obtenu un CAP de paysagiste. Lorsque j'étais en alternance, je ne roulais pas beaucoup. Par la suite, j'ai travaillé à droite à gauche, notamment en Suisse, toujours comme paysagiste. Lorsque j'ai commencé à obtenir quelques résultats intéressant en cyclisme, j'ai voulu y consacrer plus de temps. Du coup, j'ai décidé de basculer sur un mi-temps au travail, il y a deux ans de cela. Je voulais mettre toutes les chances de mon côté en cyclo-cross. Il fallait que je prenne des congés pour préparer les manches de Coupe de France, gérer les voyages et m'occuper de mes vélos. Cette année, la situation a encore évolué puisque j'ai mis de côté mon métier. Je ne travaille plus du tout pour me consacrer exclusivement au cross.

« JE NE VIS PAS DANS LE LUXE »

Mais le cross, ce n'est que quelques mois dans l'année ?
C'était provisoire, pour la saison de cyclo-cross. Mais je vais sûrement reprendre le travail pour le printemps et l'été. De toute façon, il va bien falloir que je gagne ma vie.

Justement, comment finances-tu tous tes déplacements sur les cyclo-cross ?
Je vis sur mes économies. Je me débrouille comme je peux. A vrai dire, je ne suis pas très difficile et heureusement car je n'ai pas trop le choix. Je ne vis pas dans le luxe. Je fais vraiment attention à la moindre petite chose pour ne pas dépenser trop d'argent. Lorsque je me déplace, j'essaie de limiter au maximum le nombre de nuits d'hôtel, même si cela joue sur mon état physique et psychologique. Il m'est souvent arrivé de dormir en voiture. En terme de récupération, je suis très loin d'être dans une situation idéale. Même chose avec ce qu'il y a dans l'assiette. Je fais moins attention que la plupart des coureurs. Je ne fais pas à 100% "le job" comme on dit. C'est souvent à la bonne franquette. Mais je n'aime pas me plaindre. Cette situation, je l'ai voulue. Le cross est ma passion et j'en ai vraiment besoin dans ma vie.


Qu'en est-il en terme de matériel ?
Je me contente là aussi du minimum. Pour donner un exemple concret, il faut savoir que j'utilise exactement le même matériel que l'an passé. Je n'ai absolument rien acheté cette saison. J'ai déjà largement assez donné pour les déplacements. La facture est salée et je ne peux pas me permettre de dépenser plus. Je ne m'amuse pas avec l'argent. Les patins, les câbles, les chaînes... tout le matériel avec lequel je dispute mes courses est le même que l'an dernier. Je fais encore toute la saison avec. Je tire le maximum de l'utilisation de chaque pièce. Tant que ce n'est pas complètement usé ou mort, je garde.

« L'AMOUR DE MES PROCHES ME PORTE »

Mais si tu casses quelque chose en course ?
Je fais extrêmement attention à ne rien abîmer même si ça m’arrive. Je dois bien avouer que le simple fait de crever un boyau me met les boules car je sais que c'est difficile financièrement et que ça va peser lourd à la fin du mois.

Que pensent tes proches de cette situation ?
Ils me comprennent et me soutiennent totalement. D'ailleurs, ils partagent mon quotidien puisque ma petite amie et mes parents m'accompagnent sur de nombreuses courses. Je leur dois beaucoup. Ce sont eux qui me poussent à continuer. S'il le fallait, je sais qu'ils me soutiendraient également financièrement. C'est grâce à eux que je continue et que j'ai réussi à prendre confiance en moi.

C'est donc ta famille qui te permet de passer outre ces grosses difficultés ?
Il y a aussi ma passion. Si j'arrive à mettre le confort de côté, c'est d'abord parce que je prends du plaisir sur le vélo. Mais oui, sans ma famille j'aurais du mal à imaginer faire une saison entière de cyclo-cross sans lâcher à un moment ou un autre. L'amour de mes proches me porte. A côté, je me dis que l'aspect financier n'est presque qu'un détail. Le confort, je le laisse aux autres. J'ai prouvé que ça n'empêchait pas d'avoir le niveau. 

« A DEUX DOIGTS DE PÉTER UN CÂBLE »

Tu n'as jamais été tenté de baisser les bras ?
Non mais la saison dernière, je me souviens avoir été très content et soulagé que la saison se termine. Physiquement et nerveusement, j'étais au bout du rouleau. Je m'étais bien pris la tête pendant des semaines et j'ai déjà été plus d'une fois à deux doigts de péter un câble. Quand tu es sans arrêt sur le fil du rasoir, ce n'est pas évident. Cette saison, je pense que j'aurais arrêté après le Championnat de France si je n'avais pas été sélectionné pour les Mondiaux car financièrement je suis au bout. C'est pire que l'an dernier.


Il paraît que tu as récemment décidé de mettre une grande partie de tes économies dans l'achat d'une camionnette ?
Je me suis acheté un camion six places cet été : un Peugeot Boxer dans lequel je peux dormir, prendre la douche etc. C'est déjà un point positif même si ça m'a plumé. C'est un investissement que je ne regrette pas. Et puis, ça me permet de ne pas aller à l'hôtel. Sur le moyen et long terme, ça vaut le coup et c'est pratique même si parfois, il ne fait quand même pas bien chaud dans le camion la nuit.

Mais tu dors dans le camion y compris la veille des courses ?
Pas toujours. C'est surtout les nuits entre deux manches de Coupe du Monde par exemple. Il n'y a rien de dingue là-dedans, d'autres le font aussi. Puis ça a quand même un côté sympa, avec la famille. C'est comme du camping.

« IL VA FALLOIR QU'ON M'AIDE »

Et tu arrives quand même à avoir la même rigueur que les autres à l'entraînement ?
Je suis très sérieux oui. Je respecte à la lettre les plans de mon entraîneur. Mais pour le reste, c'est sûr que je ne suis pas un cycliste "normal". Je reviens à l'histoire de l'alimentation mais finalement, heureusement que je ne suis pas au millimètre sur la bouffe. Si j'étais aussi sec et affuté que les autres, avec la vie que j'ai, en dormant parfois par 0 degré, je tomberais tout le temps malade.

Envisages-tu de continuer dans ces conditions-là l'hiver prochain ?
Je vais sûrement retravailler un peu pour me faire quelques économies. En parallèle, je vais disputer ma première vraie saison sur route avec le VC Villefranche Beaujolais. Je n'ai aucune envie d'arrêter la compétition. Quand je vois ce que j'ai fait cette année, j'ai forcément la curiosité d'aller voir encore plus haut. Par contre, il va falloir qu'on m'aide. L'idée serait clairement de trouver un ou des partenaires pour faire de ma saison de cross 2017-2018 ma plus belle année sur un vélo. Si ce n'est pas possible, alors je vais sûrement devoir alléger mon calendrier pour faire des économies et rester raisonnable.

Jusqu'à présent, tu n'as en réalité jamais pu tester tes limites ?
Je ne fais que progresser et je ne sais pas jusqu'où je peux aller puisque je ne suis pas dans les mêmes conditions que mes adversaires. Et je ne le serai peut-être jamais. C’est dommage car je suis sûr de pouvoir passer encore un cap. Sur le dernier Championnat de France (4e), j'ai vraiment senti qu'il y avait quelque chose à faire. L'an prochain, j'ai envie de viser la gagne sur une manche de Coupe de France. J'y crois. Mais j'ai besoin de soutien. J'ai besoin d'argent, d'un bon matériel... je veux être en mesure de me concentrer uniquement sur mes performances, et je pense le mériter. Mentalement, ça me libérerait d'un poids et je serais forcément meilleur.

« BEAUCOUP DOIVENT PENSER QUE J'EN RAJOUTE »

Penses-tu que les gens aient conscience des conditions dans lesquelles tu exerces le cyclo-cross ?
Malheureusement, pas du tout et c'est le gros problème. Outre les suiveurs, j'ai surtout l'impression que même les clubs ne se rendent pas compte. On sait que ce n'est pas facile dans le cyclo-cross mais à ce point, je ne le crois pas. Après, il faut bien préciser que sur les dix ou quinze meilleurs Élites français, je suis peut-être bien celui qui galère le plus.


Finalement, le fait d'être actuellement entouré du staff de l'Équipe de France, en stage, est une mini-révolution pour toi ?
Oui ! C'est comme des vacances ! Je vois bien que des gars comme Francis (Mourey) ou Clément (Venturini) sont habitués mais pour moi, c'est énorme. Je n'ai pas à me préparer à manger, je n'ai pas à laver les vélos... je suis massé après les entraînements. C'est le rêve.

Parles-tu de ta situation aux autres coureurs ?
Je leur dis la vérité oui car je suis quelqu'un d'honnête. Après, je me dis que beaucoup doivent penser que j'en rajoute un peu. Je ne suis pas sûr qu'ils me croient. Mais il y a quand même quelques coureurs qui savent à quel point c'est difficile, comme mon pote Clément Russo. Je pense aussi à des filles comme Marlène Petit ou Caroline Mani, avec qui je prends beaucoup de plaisir à discuter. Elles aussi, connaissent parfois des difficultés de tout genre et elles se battent. On partage nos expériences et on se respecte beaucoup. En tout cas, je suis quelqu'un de simple et j'espère que l'on m'accepte comme je suis.

« J'AI LE SENTIMENT DE NE PAS TROP CONNAÎTRE LES CODES DU MILIEU »

Et les Élites Hommes alors ?
On sent bien que chacun est un peu dans sa bulle, avec son équipe et ses intérêts. J'aurais aimé profiter de mon expérience en Equipe de France pour partager encore plus de choses avec ces grands coureurs que je respecte beaucoup. J'attendais énormément de ce stage pour me nourrir de leurs belles expériences, mais je peux comprendre qu'ils aient chacun leurs petits secrets.

Tu faisais tout à l'heure référence au manque de soutien dans le milieu. Te sens-tu isolé ?
Un petit peu. Mais c'est sans doute aussi de ma faute dans le sens où je suis quelqu'un de relativement solitaire. Je n'aime pas aller demander de l'aide. Et puis de toute façon, je ne sais pas trop à qui demander. Le fait d'être arrivé dans le milieu du cyclisme très tard m'a sans doute porté préjudice. J'ai le sentiment de ne pas trop connaître les codes du milieu. J'admets que c'est un gros point négatif. Je pense mériter la même chose que les autres et finalement, je me dis que je devrais peut-être m'affirmer un peu plus et montrer que j'existe. Mais j'avoue être un peu perdu dans ce monde du cyclisme de haut-niveau.

Crédits photos : Maxime Segers, Freddy Guérin et Philippe Pradier


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