Il y a… 20 ans : Anthony Geslin bronzé à Madrid

Crédit photo Régis Garnier / DirectVelo

Crédit photo Régis Garnier / DirectVelo

Il y a 20 ans jour pour jour, le 25 septembre 2005, Anthony Geslin apportait à l’équipe de France Elites une médaille totalement inattendue lors du Championnat du Monde de Madrid. Derrière les jeunes prodiges Tom Boonen et Alejandro Valverde, celui qui évoluait alors chez Bouygues Télécom tout au long de l’année, et qui venait en Espagne dans le rôle de poisson-pilote pour Jimmy Casper et Jean-Patrick Nazon, a pu jouer sa carte dans le final puisque les deux sprinteurs des Bleus avaient été décrochés plus tôt dans la course.

Au terme d’une saison 2005 - la première avec le classement ProTour - bien terne pour le cyclisme tricolore, il s’agissait là d’une belle éclaircie dans un ciel sombre, deux mois après ce qui était alors à ce moment-là le septième et dernier sacre de Lance Armstrong sur le Tour de France. DirectVelo a retrouvé le Mayennais, 45 ans, qui avait mis un terme à sa carrière professionnelle en 2015 et qui se souvient encore très bien de ce magnifique moment au Mondial de Madrid. Entretien.

DirectVelo : Tout d’abord, comment vas-tu et que deviens-tu depuis que tu as quitté la FDJ et les pelotons fin 2015 ?
Anthony Geslin : Tout va bien. J’ai monté ma boite fin 2016, un an après mon arrêt. Je suis conseiller en gestion de patrimoine. J’ai commencé tout seul et depuis, j’ai embauché ma femme, qui était ingénieur, travaillait auparavant dans l’industrie et qui m’a rejoint dans ce projet. La transition s’est faite assez facilement pour moi, même s’il a bien sûr fallu travailler pour acquérir de l’expertise. J’ai gardé un lien indirect avec le cyclisme puisqu’il se trouve que bon nombre des personnes pour lesquelles je travaille sont d’anciens ou d’actuels cyclistes professionnels. J’ai profité de ma bonne réputation, de mon honnêteté, de mon travail sérieux. J’avais du crédit au moment d’arrêter ma carrière cycliste. Aujourd’hui, je m’occupe de tout pour eux, sur le plan économique, la partie fiscale et la partie civile. Tous les ans, je revois les coureurs pour mettre à jour leur situation patrimoniale et s’adapter au mieux à la modification éventuelle des revenus, des contrats, la fin de carrière etc.

Avais-tu envisagé rester dans le milieu après ta retraite sportive ?
Au début, j’avais quand même cette volonté de garder un pied dedans. Je pense que ça m’aurait vraiment bien plu d’être directeur sportif, j’aimais bien la stratégie. Mais je ne voulais pas repartir 200 jours par an, je voulais consacrer plus de temps à ma famille. J’ai réussi, différemment, ce pari de garder indirectement un pied dedans mais en restant chez moi (sourire). Et je reste très proche de garçons comme Benoit Vaugrenard ou Jérôme Pineau. 

« JE SAVAIS QU’IL Y AVAIT QUELQUE CHOSE À FAIRE »

Un fameux dimanche de septembre 2005, tu décrochais la médaille de bronze lors du Mondial. Quels souvenirs en gardes-tu 20 ans plus tard ?
J’ai encore plein de souvenirs, j’ai même encore l’impression que c’était hier. Je sortais d’un Tour de France qui avait été plutôt bon (quatre Top 10 dont trois places de 6 à Mulhouse, Montpellier et Pau, NDLR). Frédéric Moncassin, le sélectionneur national à l’époque, avait souhaité créer un groupe autour de nos deux sprinteurs, Jean-Patrick Nazon et Jimmy Casper pour le Mondial. Sur le circuit de Madrid, on imaginait un sprint massif. La grosse tête d’affiche était Alessandro Petacchi, qui venait de collectionner les victoires d’étapes sur la Vuelta (cinq, après avoir également claqué quatre étapes du Giro plus tôt dans la saison, NDLR). Frédéric m’a parlé de cette sélection pendant le Tour. J’ai peu couru par la suite, je n’ai fait que Châteauroux (Classic de l’Indre, NDLR) et San Sebastian, avant de partir sur la Vuelta. J’ai fait deux semaines et demi là-bas. Il n’y avait qu’une semaine à l’époque entre la fin de la Vuelta et le Mondial, il me fallait quatre-cinq jours de récup’ supplémentaires, alors je m’étais mis d’accord avec l’équipe pour quitter le Tour d’Espagne avant la fin. Le choix a été bon. Je suis arrivé à Madrid opérationnel, avec de la fraîcheur. Au brief, je devais être le lanceur d’un de nos deux sprinteurs.

Mais la course ne s’est pas déroulée comme imaginé…
Non, ça a castagné plus que prévu. Il y avait quand même plus de 260 bornes et ça s’est mis à visser dans les quatre derniers tours. Ça montait les petites bosses de plus en plus vite. (Alessandro) Petacchi n’était pas si bien que ça et il a craqué. Nos sprinteurs ont vite reculé aussi. Une échappée est sortie à trois tours de l’arrivée sans nous, il a fallu rouler. Moi-même, j’ai passé quelques relais pour que ça rentre. C’est ressorti en costaud avec des mecs comme (Paolo) Bettini, (Michael) Boogerd et (Alexandre) Vinokourov. Puis les Belges se sont mis en file indienne pour ramener Tom Boonen, alors que j’étais prêt à faire le bond. Quand j’ai vu ça, je me suis ravisé et je suis resté au chaud dans les roues. On a basculé en haut de la dernière petite difficulté à une quinzaine de secondes et on est rentrés dans le dernier virage aux 500 mètres environ. On n’était alors plus qu’une vingtaine pour la gagne.

As-tu réalisé, à ce moment-là, ce qu’il était en train de se passer ?
Ah oui, totalement. Je savais qu’il y avait quelque chose à faire. J’ai réussi à prendre la roue de Tom Boonen et après, je me suis dit qu’il ne fallait plus la lâcher. J’étais fatigué mais je sentais que j’avais encore un peu de ressources malgré tout. Il fallait bien filocher au sprint. C’était légèrement en faux-plat. Quand (Tom) Boonen a lancé le sprint de très loin, je me suis laissé décoller de la roue puis je suis revenu assez vite pour finir 3e. S’il y avait eu dix ou quinze mètres de plus, j’aurais pu faire 2e et doubler (Alejandro) Valverde. Mais l’important était d’être sur la boîte. Ce jour-là, Boonen était vraiment intouchable. J’ai refait le sprint mais même en restant dans la roue, je n’aurais jamais pu le remonter. C’est un très bon souvenir.

« POUR LES FRANÇAIS, C'ÉTAIT DUR. IL ÉTAIT COMPLIQUÉ D’EXISTER »

À l’époque, c’était énorme pour l’équipe de France de décrocher une médaille. Lors de quatre des cinq éditions précédentes, il n’y avait pas eu un Français mieux classé que 18e, et parfois même aucun dans le Top 30 !
Oui, c’est vrai que c’était compliqué. Laurent Brochard avait été Champion du Monde à San Sebastian en 97 et Jean-Cyril Robin avait fait 3 en 99 (à Vérone, NDLR) mais sinon, il n’y a rien eu. On était rentrés sous l’air Armstrong et c’était devenu compliqué pour le cyclisme français, même si le temps nous a donné raison. Il y avait un cyclisme à deux vitesses, on avait du mal à performer mais de temps en temps, on arrivait quand même à faire un truc et preuve en est à Madrid. Si on prend le Top 20 de ce jour-là, un paquet a eu des histoires.

Et ta médaille sur ce Mondial était l’un des seuls faits marquants de la saison 2005 côté tricolore, avec la victoire d’étape de David Moncoutié sur le Tour et celle de Christophe Le Mével sur le Giro…
C’était vraiment compliqué, oui, ça pouvait se compter sur les doigts d’une main… (David Moncoutié avait aussi remporté une étape du Tour du Pays Basque pour ce qui était la première victoire d’un Français dans le nouveau calendrier ProTour, NDLR). Il ne faut pas oublier que c’était juste avant l’affaire Puerto de 2006. Pour les Français, c’était dur. Il était compliqué d’exister sur le Tour. Il y avait une drôle d’ambiance sur les courses, c’était pesant. D’un autre côté, on n’avait pas la pression de la direction sportive car ils y voyaient clair… On essayait de faire ce que l’on pouvait. Que ce soit quand j’étais sous les ordres de (Jean-René) Bernaudeau chez Bouygues ou après avec (Marc) Madiot à la FDJ, ils savaient très bien que c’était compliqué pour nous au milieu des mecs à l’EPO etc. Toujours est-il que dans ce contexte-là, faire un podium sur le Championnat du Monde était un peu inespéré.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
De la fierté et beaucoup de souvenirs. 20 ans après, quand je parle de ma vie d’avant, de sportif, ça permet de situer un peu le niveau pour ceux qui n’y connaissent pas grand-chose (rire). Quand tu dis que tu as été cycliste professionnel, que tu as fait le Tour de France et fait un podium au Championnat du Monde, ça parle. Pour l’anecdote, je me souviens qu’une semaine après cette médaille, Richard Virenque m’avait appelé pour me féliciter et me dire qu’il y aurait un avant et un après, que ça allait me suivre toute ma carrière. Et effectivement, il ne s’était pas trompé. C’est resté.

« JE METS LE TOUR DE FRANCE 2003 AU MÊME NIVEAU QUE MA MÉDAILLE »

Où est cette médaille de bronze aujourd’hui ?
Chez moi, j’ai une pièce collection, c’est no man’s land. Ma femme n’a pas le droit d’y rentrer, il ne faut toucher à rien (rire). J’ai toutes mes vieilles reliques, les coupes, et j’ai donc un tableau avec le maillot encadré, la médaille à côté et une photo.

Est-ce le plus beau souvenir de ta carrière ?
Ah oui, clairement ! J’en ai deux, en fait. Celui-ci et mon premier Tour de France, qui était celui du centenaire en 2003. Depuis gamin, tu rêves de faire le Tour et là, tu y es. En plus, c’était fou cette année-là avec toutes les grandes villes historiques du premier Tour de France, le départ sous la Tour Eiffel etc. Je mets le Tour de France 2003 au même niveau que ma médaille au Mondial, mais il n’y a rien d’autre d’équivalent. Ce sont les deux grands moments de ma carrière cycliste.

Avec l’étape de Lyon, sur le Tour 2003, où tu es passé tout près de gagner !
Oui, c’était une sacrée journée. Là aussi, je m’en rappelle comme si c’était tout à l’heure. J’avais déjà fait une première échappée en solo de 50 bornes quelques jours plus tôt (lors de l’étape Charleville-Mézières - Saint-Dizier finalement remportée au sprint massif par Alessandro Petacchi, NDLR). C’était déjà sympa. Et là, trois jours après, on part à deux avec (Stuart) O’Grady, l’étape faisait plus de 200 kilomètres (230, NDLR). L’écart est monté jusqu’à quasiment 19 minutes ! Pour la petite anecdote, Petacchi gagnait tous les sprints et ses collègues ont bluffé ce jour-là, ils n’ont pas roulé. Comme les Fassa Bortolo n’ont pas roulé, personne n’a craqué pendant longtemps et c’est pour ça que l’on a pris une avance folle. Finalement, je me souviens que les premiers à craquer étaient les AG2R, qui ont roulé pour Jaan Kirsipuu. S’ils n’avaient pas roulé… Mais l’avenue Jean Jaurès à la fin… Elle faisait trois kilomètres, c’était interminable, on avait le temps de bien voir la banderole (rire). En plus, je me souviens qu’O’Grady était sec sur la fin. Il avait mis une cacahuète dans la bosse et j’avais suivi. Je lui avais dit de ne pas le faire une deuxième fois et quand il a vu ça, il s’est dit “merde il n’est pas cramé le gamin” (rire). Du coup, il a fait tout le final et la descente sur Lyon un cran en-dessous car il avait peur que je le tape au sprint. Il était fébrile. Sans ça, on aurait peut-être pu aller au bout (le duo a été repris à quelque 500 mètres de l’arrivée, NDLR). Ce sont des souvenirs ancrés, avec donc ce Mondial inoubliable.

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