Stephen Delcourt : « C’est un énorme cap qui est passé »

Crédit photo Unipublic/Rafa Gomez/Cxcling Cre

Crédit photo Unipublic/Rafa Gomez/Cxcling Cre

Moment historique pour la FDJ-Suez. Grâce à sa nouvelle star Demi Vollering, la structure hexagonale a remporté son premier Grand Tour, la semaine passée, à l’occasion du Tour d’Espagne. Pour l’occasion, l’équipe de Stephen Delcourt avait mis les petits plats dans les grands en alignant son nouveau trio infernal composé donc de la Néerlandaise et de ses deux plus solides lieutenants, les Françaises Juliette Labous et Evita Muzic. Mais pas question de s’arrêter en si bon chemin pour la désormais deuxième meilleure équipe mondiale, qui va tout faire pour jouer la gagne également sur le Tour d’Italie, puis au Tour de France. DirectVelo a fait le point avec le manager général de la WorldTeam. Entretien.

DirectVelo : Demi Vollering a remporté le Tour d’Espagne. Que représente, dans l’histoire de ton équipe, cette première victoire sur un Grand Tour ?
Stephen Delcourt : C’est un moment historique. On n’avait jamais ne serait-ce que porté un maillot de leader du classement général non plus. C’est historique pour nous mais également pour le cyclisme français en général. C’est hyper flatteur de réussir à créer une équipe internationale de ce niveau-là. Je suis très fier de la façon dont on a couru, dont on a su défendre un maillot de leader, en gérant bien, en mettant la pression sur nos adversaires. C’est un énorme cap qui est passé pour nous.

« LE TRIO EST NÉ EN CALIFORNIE »

Vous aviez fait le choix d’aligner votre trio infernal, avec la présence de Juliette Labous et d’Evita Muzic autour de Demi Vollering. Était-ce une évidence dès la préparation hivernale ?
On a toujours rêvé d’avoir un trio. On avait déjà voulu le faire avec Marta (Cavalli), Cecilie (Uttrup Ludwig) et Evita mais on avait vu que la mayonnaise ne prenait pas entre Marta et Cecilie. Evita était très forte mais avait encore besoin de progresser, on ne pouvait pas lui mettre la pression d’être la leader unique sur un Grand Tour, elle avait besoin d’une leader encore plus forte qu’elle à ses côtés. Lorsque Juliette nous a fait confiance pour nous rejoindre, on s’est demandé qui allait être la troisième. L’opportunité de recruter Demi s’est présentée et on n’a donc malheureusement pas poursuivi l’aventure avec Marta et Cecilie. En novembre dernier, on s’est posé avec les trois, Demi, Juliette, et Evita, pour savoir comment elles imaginaient leur avenir. Avec le staff, on leur a dit qu’on était persuadés de pouvoir gagner des Grands Tours et de très belles Classiques, à condition qu’elles se partagent le calendrier avec à chaque fois un objectif unique, pour le collectif, et c’est elles qui ont construit le trio. Ça s'est fait dès le mois de novembre, le trio est né en Californie, non pas grâce à moi mais grâce à une volonté commune des athlètes de travailler ensemble. Quand on a vu le parcours de la Vuelta, il n’était pas sûr qu’Evita la fasse. C’est elle qui a décidé d’y aller, uniquement pour aider Demi.

Depuis le début de saison, bien qu’elle ait eu sa chance sur l’Amstel, Juliette Labous se met très régulièrement à la planche pour Demi Vollering, alors qu’elle était la leader N°1 chez DSM ces dernières années. Comment vit-elle cette situation ? A-t-il fallu argumenter cet hiver ?
Avec Juliette, ça s’est fait très naturellement. Elle a passé trois semaines en altitude avec Demi et ça l’a tout de suite fait, sachant qu’Evita et Demi se sont trouvées assez facilement aussi. Aux Strade Bianche, c’est devenu une évidence pour Juliette. Quelque chose s’est encore créé lors de l’Amstel, une course à domicile pour Demi, mais où elle a dit qu’on devait faire gagner Juliette.

Mais Juliette est également une leader dans l’âme depuis les jeunes catégories. Elle sera présente au Giro, avec Evita Muzic mais sans Demi Vollering. C’était obligatoire pour qu’elle y trouve son compte personnel, malgré tout ?
Il y avait la volonté de faire un Grand Tour “toute seule”, oui, mais on n’a pas réparti le calendrier avec un pourcentage de courses où Juliette serait leader sans Demi. On savait qu’on allait répartir les rôles, on avait identifié des choses, en partant du principe que sur chaque course, les rôles pouvaient aussi s'inverser, notamment suivant le scénario de course et la forme de Demi. C’était le cas sur l’Amstel, car Juliette n’était pas la leader désignée avant le départ. La clef, c’est qu’il y ait beaucoup de communication et d’honnêteté entre elles. Quand on a recruté Demi, on a demandé à Juliette mais aussi à Evita : “tu préfères avoir Demi avec toi ou contre toi ?”. Voilà… Après, suivant les configurations de course, ça peut switcher. Pour autant, à l’instant-T, on voit qu’il y a quand même encore une petite différence de niveau entre Demi et nos deux Françaises en haute montagne, alors Juliette et Evita n’hésitent pas à travailler pour Demi.

« CE NE DOIT JAMAIS ÊTRE LA FAUTE D’UNE PERSONNE »

N’as-tu pas des regrets quant à quelques choix et scénarios de course malgré tout, sur certaines Classiques ?
Si, forcément. Je pense notamment à la Flèche Wallonne. On avait fait le choix de sacrifier Juliette plutôt qu’Evita en premier, mais on s’est aperçu dans la dernière montée que Juliette était finalement plus forte. Mais bon, après coup, il est toujours facile de dire qu’il aurait fallu inverser les rôles et que Juliette aurait peut-être pu gagner, ou qu’on aurait pu faire 2 et 3 avec Demi et Juliette. On ne le saura jamais. Le plus important, c’est de faire des choix tous ensemble, en concertation. Et quand on se trompe, c’est tous ensemble là aussi. Ce ne doit jamais être la faute d’une personne en particulier. Quand j’entends les mots forts de Demi après l’arrivée de la Vuelta, qui dit qu’elle n’aurait jamais gagné sans les filles autour d’elle… Voilà tout ce que l’on recherche. C’est un travail de fond, pas seulement avec ces trois-là mais avec tout notre groupe.

Dans un scénario idéal, ce Tour d’Espagne aurait même pu être encore plus beau !
Sans l’erreur de Vittoria (Guazzini), qui est partie à la faute en négociant mal un virage, on aurait fait 1 ou 2 du chrono par équipes le premier jour. On visait la victoire, on voulait prendre le maillot rouge d’entrée. Tout n’a pas été simple. Le plus dur, c’était la troisième journée, avec les chutes de Loes (Adegeest) et de Juliette (Labous). Loes a tapé fort, elle a dû arrêter le lendemain en raison du protocole commotion. On s’est retrouvés à six. Certaines de nos adversaires ont voulu en profiter et c’est de bonne guerre. Les SD Worx n’assument jamais, ne roulent jamais, et nous attaquent après. Cette équipe a toujours couru de cette façon-là. Ce n’est pas du tout ma vision du vélo mais chacun a la sienne et imagine la façon dont elle veut gagner des courses. Encore une fois, c’est le jeu. On s’en est bien sortis, c’est l’essentiel.

Tu es donc satisfait de tout ce que tu vois depuis le début de la saison ? 
On est à mi-saison. On est là où l’on voulait être. On a plus que doublé nos points UCI en un an. Les points ne disent pas tout, car marquer beaucoup de points sans gagner de courses ne nous ferait pas vibrer, mais ça reste révélateur de la forme globale de l’équipe.

« ON NE SORT PAS DE LA VUELTA EN EXCÈS DE CONFIANCE, MAIS ON A DES GARANTIES »

Vous êtes tout de même passés souvent à côté de la victoire sur les Classiques, avec beaucoup de belles places d’honneur, de podiums, mais “une seule” victoire, lors des Strade Bianche. Était-ce une déception et dans quel état d’esprit étais-tu avant la Vuelta ?
C’était un mélange de sentiments, entre satisfaction et frustration de ne pas avoir gagné plus. On s’est dit qu’il fallait courir la Vuelta comme on avait couru les Ardennaises, en sachant que l’on n’avait pas couru les Ardennaises… comme on aurait dû les courir. En fait, on a couru les Ardennaises comme une équipe de Grands Tours, et c’est paradoxalement la raison pour laquelle je n’étais pas inquiet. On s’y est mal pris sur ces trois courses d’un jour, on a trop voulu contrôler, tout gérer, sans prendre suffisamment de risques. Les filles étaient fortes, mais pas au-dessus du lot non plus. On a fait 4, 2 et 3. Il a manqué de folie, comme à Milan-San Remo également. Ce n’était pas mauvais et surtout, j’étais assez serein sur le niveau physique des filles. Les Grands Tours, c’est très différent. Je n’ai pas de doute pour l’avenir mais attention, les écarts sont très faibles entre les toutes meilleures, comme on l’a vu sur la Vuelta. 

En terme d’effectif et de stratégie, doit-on s’attendre pratiquement à une copie conforme entre la Vuelta et le prochain Tour de France chez FDJ-Suez ?
Le Tour sera différent, pour plein de raisons. On sera sur neuf jours, il n’y aura pas de chrono par équipes, il y aura plus d’adversaires… Mais dans l’état d’esprit, oui, ce sera la même chose avec un groupe uni et solidaire autour d’un seul et unique objectif ; gagner le général. On ne sort pas de la Vuelta en excès de confiance car il y a pas mal de petites choses à corriger, y compris sur les à-côtés. Mais on a des garanties.

La saison est-t-elle, de par cette victoire historique sur la Vuelta, d’ores-et-déjà réussie ? Ou les ambitions de l’équipe sont-elles désormais si élevées que ce serait un échec de ne pas remporter un autre Grand Tour ?
Non, on ne peut pas encore parler de saison réussie, le Giro et le Tour ont une place trop importante. Je ne veux pas me contenter d’une victoire sur un Grand Tour, lors d’une saison. On a mis le curseur très haut. L’objectif est de gagner trois Grands Tours sur quatre ans. En restant terre à terre, avec l’équipe que l’on a, ce serait un échec de ne pas y arriver.

« LE GIRO, UN CHALLENGE HYPER EXCITANT »

L’équipe ira donc au Giro sans Demi Vollering, mais avec Juliette Labous et Evita Muzic. L’ambition est-elle de gagner la course ?
Ce sont deux femmes qui n’ont jamais gagné de Grand Tour mais oui, l’objectif est de gagner ce Giro et c’est un challenge hyper excitant pour nous (Juliette Labous a déjà terminé 2e d’un Tour d’Italie, en 2023, tandis qu’Evita Muzic a pris la 4e place du dernier Tour de France, NDLR). On ne pourrait pas être déçus d’un podium mais quand on joue le podium, on joue forcément la gagne aussi. Evita et Juliette sont encore en train de passer un cap cette année, tant physiquement que mentalement, notamment grâce à Demi. Elles sont très matures, c’est un régal de travailler avec elles. Je suis curieux de voir ce qu’elles vont faire au Giro.

Loin de la Vuelta ou de la préparation du Tour, Célia Gery a récemment disputé ses premières courses avec l’équipe, après avoir pris le temps de récupérer de sa saison de cyclo-cross, tandis qu’Eglantine Rayer Girault a dû soigner une blessure avant d’enchaîner les compétitions. Que peux-tu nous dire de la situation actuelle de tes deux jeunes talents tricolores ?
Elles sont toutes les deux dans les temps de passage, en prenant en compte la blessure d’Eglantine. On a la confirmation, déjà, que Célia est une gagneuse, qui court de façon très agressive. Dès sa sortie des rangs Juniors, elle a prouvé sur le week-end breton qu’elle a bien toute sa place chez les pros (4e de la Pointe du Raz Classic et 7e du GP du Morbihan, NDLR). Je suis assez serein pour Célia, même si elle a encore beaucoup à apprendre tactiquement. Le passage à l’anglais n’est pas simple pour elle non plus mais je n’ai aucun doute sur son intégration et ses qualités physiques. Quant à Eglantine, je suis impressionné par sa vision de la course et sa prise de responsabilités. Elle est capable d’assumer des choses, elle est en train de monter en puissance, je ne suis pas du tout inquiet pour elle. On l’avait emmenée en stage en altitude avec Demi, Juliette et Evita. Elle m’a dit qu’elle avait l’impression d’être nulle à côté d’elles, que c’était hyper dur, mais quand tu vois le niveau des trois autres à la Vuelta… Ça doit la rassurer.

 

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