Dans l’ombre des mutants, la course pour exister à Liège

Crédit photo A.S.O. / Gaetan Flamme
Qu’il s’agisse des pavés du Vieux Quaremont, de la mythique Trouée d’Arenberg ou des routes sinueuses de la Cipressa, un moment revient inlassablement sur les Monuments en 2025 : celui où les grandes figures du peloton, Mathieu Van der Poel et Tadej Pogacar, se dressent sur les pédales… et s’échappent. C’est l’instant où la course bascule irrémédiablement. Et derrière ? L’entente s’effrite. Les intérêts divergent. Les équipes se neutralisent. Les leaders isolés peinent à organiser la poursuite. Tandis que les échappés maintiennent l’allure, le peloton ou ce qu'il en reste hésite, se jauge, tergiverse. "Honnêtement, cherche-t-on vraiment à s’organiser pour les rattraper ? Pas nécessairement, car on sait qu’ils sont tout simplement plus forts. On compose alors autrement, en visant les places d’honneur", confie Tony Gallopin, directeur sportif de Lotto, au micro de DirectVelo.
LE TRAVAIL DE SAPPE DES COÉQUIPIERS AVANT LA DÉCISION
Ainsi, il n’est pas rare d’entendre qu’une cinquième place peut être vécue comme une petite victoire. C’est ce que rappelait ce samedi, lors de la présentation des équipes de Liège-Bastogne-Liège, Aurélien Paret-Peintre, en évoquant son Top 5 sur la Doyenne l’an passé. À ce niveau, la logique des points UCI reprend toute sa place. "Beaucoup d’équipes sont concernées, cela influence forcément les stratégies de course", déplore Bart Leysen, directeur sportif de Tudor. Ce système compromet bien souvent le mythe d’une alliance interéquipes. "De toute manière, ces alliances ne se concluent jamais avant le départ… et rarement même en pleine course. Cela reste, fondamentalement, du chacun pour soi", admet-il.
D’autant plus que "les coéquipiers des leaders, de véritables mutants, sont encore présents pour verrouiller la course", souligne Anthony Turgis. "On ne s’en rend pas toujours compte, mais avant les grandes offensives, il y a déjà tout un travail pour placer les leaders à l’avant, leur éviter les ennuis… et ensuite, ils bloquent le peloton." Comme le résume Kévin Vauquelin, 2e de la Flèche Wallonne mercredi : "ils n’attaquent pas toujours frontalement, mais ils imposent un rythme si élevé que cela devient une course à l’élimination, c'est très énergivore". Les formations UAE Emirates et Soudal Quick-Step, en particulier, disposent d’équipiers capables d’user leurs adversaires avant même les premières pentes décisives.
UNE AUTRE COURSE APRÈS LA REDOUTE
Remco Evenepoel, l’un des deux grands favoris pour ce dimanche sur la Doyenne, l’a d’ailleurs clairement annoncé : "Le final sera long", un avertissement limpide quant à la stratégie belge. L’idée : épuiser les adversaires dès avant la Côte de la Redoute. Bart Leysen va plus loin : "Je pense qu’on pourrait assister à des surprises dans Haussire, une montée redoutable où certains pourraient déjà sérieusement souffrir."
En théorie, le peloton aura déjà perdu nombre d’unités avant d’aborder la Redoute. "Il n’y aura pas vraiment de suspense : une autre course commencera alors pour le podium et le Top 10. Et avec un vent de face, cela pourrait jouer en notre faveur", anticipe le directeur sportif de Decathlon-AG2R La Mondiale Julien Jurdie, qui espère revivre le scénario de l’an dernier. "Aurélien (Paret-Peintre) avait terminé 3e du groupe, ce qui lui avait permis d’accrocher une 5e place. On part avec cet objectif : bien résiste et rester lucides après la Roche-aux-Faucons, où les attaques fusent."
L'ESPOIR DONNÉ PAR MATTIAS SKJELMOSE
Sans forcément le proclamer, les outsiders rêvent d’un scénario semblable à celui de l’Amstel Gold Race, où Mattias Skjelmose avait déjoué tous les pronostics face aux deux favoris. "Cela donne de l’espoir. Mieux vaut qu’ils soient tous les deux présents : ils peuvent se marquer", analyse Aurélien Paret-Peintre. "Après, cela reste une question de jambes. À nous d’avoir une grande journée… et à eux une moins bonne", ajoute Anthony Turgis.
Mais à Liège-Bastogne-Liège, où la difficulté du parcours ne pardonne pas, les surprises sont plus rares. "On peut toujours essayer d’anticiper dans le Rosier ou à Desnié, mais UAE impose un rythme tel que cela ne donne qu’un répit passager… avant l’asphyxie. Anticiper, ici, est autrement plus complexe. Il faut toutefois rester positif. Des chutes, des crevaisons peuvent rebattre les cartes. Mais pour l’emporter demain, il faudrait qu’un grand nombre de conditions s’alignent parfaitement", reconnaît à nouveau le grimpeur savoyard.
RECRUTER DANS L'ENTREJEU
Face à cette domination croissante, de nombreuses équipes s’interrogent déjà sur le mercato à venir : renforcer le "milieu de terrain" devient une priorité. "Nous avons les leaders. Ce qu’il nous faut désormais, ce sont des coureurs solides, capables de les placer mais aussi de survivre à la première sélection des favoris. Pour l’instant, l’écart entre notre défense et notre attaque est trop grand — et ce n’est pas qu’un problème chez nous", reconnaît Bart Leysen, qui insiste également sur la nécessité d’aligner un effectif au complet dans ces grandes échéances. "Si en plus, des blessures ou des maladies viennent affaiblir l’équipe, cela devient encore plus compliqué."
Julien Jurdie partage ce constat. "Nos blessés nous font cruellement défaut. Avec Paul Lapeira, Benoît Cosnefroy et Victor Lafay, nous avions bâti un grand projet pour les Ardennaises. Leur absence a été un véritable coup dur". Il ne reste plus qu’à espérer qu’un autre coup, celui-ci fatal, ne vienne pas s’abattre dimanche soir.
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