Thierry Gouvenou : « On perdrait notre âme »

Crédit photo A.S.O / Billy Ceusters
Scène chaotiques, une nouvelle fois, en ce début de saison particulier. Après les divers incidents en Espagne, au Portugal, lors de l’Etoile de Bessèges et tout récemment au Rwanda, c’est sur les routes de la quatrième étape de Paris-Nice qu’un scénario rarissime s’est produit, avec une neutralisation de 17 kilomètres et beaucoup de confusion dans la dernière heure de course en raison de fortes averses de grêle, avant que la victoire d’étape et la lutte pour le classement général ne se tiennent tout de même (presque) comme si de rien n’était, dans l’ascension de la Loge des Gardes (voir classement). Juste à côté de la ligne d’arrivée, au cœur d’une salle de presse qui avait presque des allures de refuge pour photographes et journalistes à la nuit tombante, l'ex-directeur de course et désormais responsable sécurité Thierry Gouvenou a tenu un point presse pour s’expliquer sur les décisions qui ont été prises, alors que certains coureurs, dont Jonas Vingegaard, n’ont pas été tendres avec le comité d’organisation en interviews d’après-course. L’occasion également d’évoquer la fin de semaine, puisque la neige pourrait encore tomber dans l’arrière-pays niçois. Entretien.
DirectVelo : Que s’est-il passé exactement cet après-midi ?
Thierry Gouvenou : On a eu l’information qu’il était tombé beaucoup de grêle avant notre passage. Très vite, on s’est rendu compte qu’il fallait neutraliser l’étape. C’est une décision que l’on a prise avec le président du jury, qui était assis à côté de moi dans la voiture (l’Espagnol Vicente Tortajada Villarroya, NDLR), comme indiqué dans le nouveau protocole mis en place par l’UCI cet hiver. On a arrêté l’échappée, la contre-attaque et le peloton. Beaucoup voulaient s’arrêter, mais pour aller nulle part car il n’y avait pas de bus (lesquels étaient déjà dans la zone d’arrivée, NDLR) ni d’endroits pour se mettre à l’abri. L’idée était de descendre le plus bas possible à allure contrôlée, ce qui a permis aux coureurs d’aller chercher des vêtements chauds. Une fois en bas de la descente, on a attendu que tout le monde se regroupe et décidé d’arrêter l’ensemble des coureurs. On a réuni les délégués des coureurs, en sachant qu’il n’en restait que deux, Oliver Naesen et Matteo Trentin, sachant que Julien Bernard a abandonné. Ils étaient d’accord pour relancer la course. On est donc repartis, sous un rayon de soleil. Il faut admettre que les coureurs étaient frigorifiés. Une majorité aurait certainement préféré s’arrêter là mais la météo nous autorisait à repartir.
« LES ROUTES ÉTAIENT PRATICABLES »
Avez-vous envisagé d’arrêter définitivement cette étape ?
C’est clair que si les conditions étaient restées comme dans la descente, avec des plaques de verglas, il aurait fallu arrêter car en termes de sécurité, ce n’était pas acceptable. Mais là, les routes étaient praticables sur la fin de course et c’était la bonne décision.
Certains coureurs, dont le délégué Oliver Naesen, assurent pourtant qu’il était un temps loin derrière et qu’il a été averti que la course repartait deux minutes plus tard sans véritable explication…
Non, on a eu le temps de discuter quand même avec lui. Mais c’est vrai que l’on ne peut pas rester non plus éternellement sur la route comme ça, il fallait prendre une décision.
Que répondez-vous aux coureurs qui se plaignent, nombreux, d’un manque de communication et d’un sentiment d’incompréhension ?
C’est dommage d’avoir supprimé les oreillettes… Plus sérieusement, les informations ont été transmises sur RadioTour. Si certains n’ont pas eu d’informations, je pense que c’est parce que leurs directeurs sportifs ne leur en ont pas donné. Mais on a été très clairs et on a répété sans cesse les messages, à savoir qu’on allait neutraliser jusqu’au Km 134, faire un point de situation à ce moment-là puis prendre une décision.
« JE LEUR TIRE QUAND MÊME UN COUP DE CHAPEAU »
Le maillot jaune Jonas Vingegaard lui-même s’est dit en colère que la course soit repartie !
Sur 140 coureurs, je pense qu’il y a bon nombre d’avis différents. Par le passé, dans ces conditions-là, jamais la course n’aurait été arrêtée. On a des images de Paris-Nice où les coureurs étaient dans cinq à dix centimètres de neige. On était très loin de ces conditions-là aujourd’hui. Il y a des spectateurs, des téléspectateurs, des collectivités qui s’engagent pour accueillir les courses cyclistes… Il fallait quand même tenter le maximum pour aller au bout. Ou alors, on fait comme au tennis et dès que les conditions deviennent un tout petit peu difficiles, on bâche. Mais là, on perdrait notre âme. Peut-être aussi que maintenant, les coureurs passent trop de temps l’hiver dans de très bonnes conditions au soleil et ne sont plus habitués aux conditions d’un mois de mars en France. C’est l’évolution du cyclisme. Pour autant, je tiens à saluer leur courage car il faisait vraiment froid. Je leur tire quand même un coup de chapeau. Se battre contre les éléments est dans l’ADN des coureurs cyclistes.
Aviez-vous envisagé ce scénario au départ de l’étape ?
Au mois de mars, il y a possiblement des aléas météorologiques. Le climat change, on sait que les épisodes violents sont plus nombreux qu’avant. Mais ce passage de grêle… C’est vrai que l’on ne s’y attendait pas car la température ce matin était aux alentours de 10°C. Malheureusement, je crois que ça va nous arriver de plus en plus souvent et il va falloir faire face.
En pensant aussi à ce week-end ?
À toutes les courses ! Je m’aperçois que c’est de partout pareil. Au Rwanda, ça s’est passé de la même façon, à Majorque aussi avec un arrêt de la course. Tous les organisateurs peuvent connaître cette situation. C’est épuisant pour les organisateurs mais c’est la réalité. Pour ce week-end plus précisément, on est en alerte, on surveille la météo qui évolue quelque peu. Quoi qu’il en soit, on ne fera pas prendre de risques aux coureurs.