Le Tour des Flandres dans la camionnette de la VAR

Nous avons suivi la journée de Thierry Diederen, commissaire UCI désigné pour la VAR du 108e Tour des Flandres : du départ au déclassement de Michael Matthews. L'Union Cycliste Internationale nous a en effet ouvert la porte de la camionnette de l'Assistance Vidéo à l'Arbitrage ou Video Assistant Referee. Elle évolue dans le cyclisme depuis plusieurs années et s'insère aujourd'hui dans toutes les courses majeures.

 

Sur les courses, la zone de production télévisée pour la retransmission ressemble à un parking de camions. Depuis 2019, une silhouette éclatante se joint à ce panorama : une camionnette striée de bandes arc-en-ciel, utilisée pour l’arbitrage vidéo. De quelques étapes sur les Grands Tours à l’origine, elle est aujourd’hui présente sur toutes les manches du WorldTour. Selon les opportunités et les disponibilités, elle s'invite même aux ProSeries. Bien évidemment, la production audiovisuelle en direct est nécessaire à la mise en place du dispositif. Par exemple, le Tour de Wallonie en bénéficiera cette année dans la foulée du Tour de France.

 

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En 2024, la VAR enveloppe 230 journées de course de son regard vigilant grâce à ses deux camionnettes, soit 40 de plus que l'année dernière. L’UCI veut faire encore mieux à l’avenir. Pour se faire, l’ambition est de déplacer cette logistique jusqu'au siège d'Aigle, lorsque la technologie le permettra. Thierry Diederen précise : « Bien sûr, il y a aura un membre du collège des commissaires en moins sur place, mais les contacts sont tellement faciles via Zoom, Teams ou Whatsapp. Cela ne devrait pas être un problème. »

 

À 54 ans, il arbitre maintenant depuis 25 saisons et fait partie des 18 commissaires expérimentés qui ont reçu la formation de la VAR. Bien que régulièrement désigné à cette fonction, il n'est pas attitré à celle-ci. Il n’existe pas encore d’arbitre vidéo en tant que tel. Toutefois, une personne désignée à ce poste pour une course par étapes l'est pour la totalité de l’épreuve. 

 

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16 écrans

Pour le commissaire en charge de la vidéo, à la veille d’une épreuve, rien ne diffère d'une préparation classique : participation aux réunions avec les directeurs sportifs, enregistrement des coureurs, rappels des règlements, réunions avec les pilotes et chauffeurs. Le jour J, il doit se rendre au lieu d'arrivée bien avant le départ. Un technicien installe des écrans tactiles et des ordinateurs. Lorsque le départ fictif est donné, la journée de Thierry Diederen débute véritablement.

 

Il reste ainsi enchaîné à ses multiples écrans durant toute la course. Lorsqu’il s’absente brièvement pour un besoin naturel, un technicien prend la relève et l'alerte directement en cas de péripéties : « Nous captons l'ensemble des images dont la production dispose. Le choix nous appartient quant à celles que nous souhaitons regarder. » Sur son écran de droite, il jongle avec seize sources visuelles disponibles sur ce Tour des Flandres. Zoomer, revenir en arrière ou revoir une image au ralenti, sont autant d'options à sa disposition.

 

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« Nous bénéficions d'une vue d'ensemble impressionnante. Autrefois, nous nous contentions de ce que nous apercevions depuis la voiture, ce qui était bien plus limité. À l'arrivée, nous étions souvent confrontés à des interrogations sur ce qui s'était déroulé à la télévision. À présent, peu d'images nous échappent. Les plans aériens sont une véritable mine d'or. » De surcroît, les réseaux sociaux représentent un atout supplémentaire. Le commissaire dispose d'un écran dédié à la surveillance des plateformes. « Si nous tombons sur une vidéo d'un Twittos, nous la visionnons. « Les spectateurs participent aussi à l'arbitrage d'une course cycliste. »

 

WhatsApp au cœur du dispositif

Dès qu'un fait de course requiert une analyse approfondie des images, Thierry Diederen les sélectionne, les enregistre sur l'ordinateur et  leur assigne un titre évocateur. Il se fie à une liste de raccourcis, épinglée au plan de travail, tout comme les listes de partants. Ces images, compressées et condensées pour une transmission plus prompte, sont expédiées sur un groupe Whatsapp, regroupant le président du jury, les commissaires de tête et de queue, accompagnées d'un message : « Attention, vidéo en approche. Merci de la visionner. » S'ensuit une délibération collégiale, la plus rapide possible. 

 

« Nous œuvrons toujours en équipe. Je ne tranche jamais seul. Lorsque les opinions divergent, nous devons harmoniser nos voix. Nous sommes quatre commissaires sur une course WorldTour et cinq sur les Grands Tours. En cas de parité, c'est le président du jury qui tranche. »

 

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Le cas Matthews

Le but n'est pas de sanctionner immédiatement. « Notre philosophie est « il vaut mieux prévenir que guérir ». Nous pouvons signaler un comportement limite d'un coureur au jury, afin d'alerter le directeur sportif via Radio Tour. Si le comportement persiste, alors nous envisageons la sanction. » L'intervention de la VAR s'étend à différentes actions : jet de bidons, conduite inappropriée, bidon collé, chute, accrochage entre coureurs, utilisation des trottoirs, distance de la voiture lors du contre-la-montre, contacts entre coureurs, position sur le vélo.

 

Sans oublier les sprints. « Dans le cas d’une arrivée massive, le commissaire en tête, qui a pris de l'avance par rapport à la course, est déjà dans la camionnette. Nous sommes déjà deux pour juger et partager nos impressions. Ensuite, nous sommes rejoints par le président et le commissaire à l'arrière. Si une révision est nécessaire, nous faisons retarder la cérémonie protocolaire. » Le comportement de Michael Matthews a retenu l'attention particulière des membres du jury. Thierry Diederen a rapidement été rejoint par le président du jury, Gianluca Crocetti. Ils ont exigé un moment pour visionner l’action dans le détail. Ils ont finalement décidé de reléguer Michael Matthews de la 3e à la 11e place, en raison d'un changement de trajectoire trop abrupt lors du sprint. L'équipe Jayco-Alula a plaidé son cas auprès de la camionnette, en vain. 

 

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Pendant ce temps, la course féminine battait son plein et Thierry Diederen restait aux commandes. « Je ne bascule pas d'une course à l'autre. J'attends que l'épreuve masculine touche à sa fin avant de prêter attention aux femmes. En attendant, nous enjoignons les commissaires à consigner soigneusement les incidents. » La journée se clôt sur un débriefing, dont la teneur varie selon les phases discutables, entre arbitres, et avec l'organisation. « Quelle est la course idéale pour moi ? Celle où l'on peut remplir un communiqué « rien à signaler » en fin de journée. »

 

« Éliminer un coureur est un crève-cœur. Ici, nous sommes dans l'anticipation. »

 

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Des règles assouplies

La mission première de la VAR est la sécurité. C'est grâce à la VAR que la ligne d'arrivée du Tour d'Espagne a été modifiée à plusieurs reprises la saison dernière. L'UCI veille également à assouplir certaines règles, notamment sur les jets de bidon. Au Tour des Flandres 2021, Michael Schar a été mis hors-course pour avoir jeté un bidon à des spectateurs à la sortie d'un virage, à un moment où les consignes étaient plus strictes. Ces jets restent passibles de sanctions mais n’entraînent plus une exclusion immédiate. Une certaine tolérance est également observée pour les coureurs qui empruntent les trottoirs. « Nous prêtons une attention particulière aux circonstances qui ont conduit le coureur à emprunter cette voie. Est-ce dû à un coup d'épaule de l'adversaire ? Si c'est involontaire, nous n'intervenons pas. »

 

Si la VAR est un outil précieux, elle reste dépendante de la qualité des images produites. « Personne ne dispose d'une image claire de la chute de Wout van Aert sur À Travers la Flandre. Nous ne savons toujours pas qui est responsable de cet incident. Si la moto ou l'hélicoptère est trop éloigné, nous ne pouvons rien y faire. » La technologie s'érige en allié précieuse, mais c'est toujours l'homme au cœur de l'arbitrage, avec son interprétation des faits, comme ce fut le cas pour Michael Matthews.

 

Photos : Martine Lainé, Peter Maurer et James Odvart.

 

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