La Grande Interview : Thomas Rostollan

Les gros bus des équipes pros, les capteurs de puissance, les visages fermés des coureurs, les tactiques molles : ce chloroforme du cyclisme professionnel, très peu pour lui ! Après deux saisons passées au Team La Pomme Marseille, Thomas Rostollan n'exclut pas de retourner un jour dans le peloton professionnel. Mais pour l'heure, il a retrouvé le sport tel qu'il l'aime, en famille, chez les amateurs de l'AVC Aix-en-Provence. « Pour moi, le vélo c'est la solidarité, le partage, les blagues », dit-il. Il pourrait ajouter : le café qu'on avale sur les chemins d'entraînement, entre autres petits bonheurs, ou encore le regard luisant des gamins qui rêvent de la pureté des origines du vélo, comme il en rêve encore lui aussi... A 29 ans, "Rosto" est resté « un peu cyclo », « un peu fleur bleue ». Au moins autant que la victoire, il recherche inlassablement ces fragments de lumière. Echappées en course, balades entre amis, autant d'évasions qui lui donnent le sentiment d'exister.

DirectVelo : Ta région t'a t-elle façonné en tant qu'homme et coureur ? Tu as grandi dans un quartier de Marseille coloré, au propre comme au figuré. C'est en quelque sorte le monde de Marcel Pagnol, une fontaine sur la place, des gens qui se retrouvent...
Thomas Rostollan : Bien sûr que je suis fait de tout ça ! Il ne faut pas tomber dans les clichés car il existe aussi un Marseille fermé sur lui-même. Mais ce n'est pas mon Marseille. Je viens de Château-Gombert, un village qui est devenu un arrondissement et qui accueille chaque année le Grand Prix Souvenir Jean Masse. Dimanche, au départ de la course, il y avait 300 personnes et beaucoup me sautaient dessus. A Château-Gombert, tout le monde se connaît. Nous avons gardé un côté authentique, différent de ce Marseille où la ville mange l'homme...

Jean Masse, homme politique marseillais, était lié à ta famille. De ce fait, la course qui porte son nom est devenue « ta » course !
J'aurais voulu obtenir un bon résultat, meilleur que ma 18e place [voir le classement ici]. Mais la « dramaturgie » du « Jean Masse » me pèse moins. Avant, comme je courais devant les miens, j'avais l'impression de jouer ma vie ! Cette année, la veille de l'épreuve, il y avait une manche de Coupe de France organisée par le club, le Grand Prix du Pays d'Aix. Ma priorité était là. La pluie et le froid ne m'ont pas mis dans les meilleures conditions pour le lendemain. Je l'accepte volontiers. Après le « Jean Masse », j'aurais voulu faire un repas avec les copains du club mais il fallait que je prépare mon déménagement.

« PEUT-ETRE QUE JE SUIS RESTE CYCLO ! »

Toi, déménager ? Tu restes fidèle à Marseille ?
Mais oui ! Mon nouvel appartement se trouve en plein centre, à Endoume, un autre quartier très authentique. Maintenant, quand je partirai m'entraîner, je passerai par la Corniche puis le Col de la Gineste. A mon retour, je pourrai acheter du poisson frais sur le Vieux Port. Je suis un peu citadin dans l'âme ! Pour me déplacer, j'utiliserai mon fixie...

Marseille, c'est une ville de vélo ?
C'est plutôt une ville de foot. Il est difficile d'y faire du vélo, avec l'agglomération qui grossit. Si j'avais un gosse, je préférerais peut-être qu'il soit sur un stade de foot... Mais les cyclistes marseillais forment une belle corporation. Ils se retrouvent chaque semaine à presque 200, dans le « paquet d'Obi » [depuis près de trois décennies, les cyclos et les pros locaux se donnent rendez-vous à la Valentine, à l'Est de Marseille, devant un magasin de bricolage qui s'appelait autrefois Obi, NDLR]. C'est peut-être ce groupe-là qui m'a poussé à faire de la compétition.

Et non pas ta famille, avec ton grand-père ex-professionnel et ton père ex-amateur de premier plan ?
La famille m'a donné envie de faire du vélo pour me balader, mais elle ne m'a jamais poussé à accrocher un dossard. Jusqu'à l'âge de 16 ans, je jouais au foot. J'ai arrêté, les bagarres sur le terrain chaque week-end me gonflaient. Je partais rouler pour découvrir les paysages. J'avais une chance monstre : découvrir le front de mer et autres lieux magiques, pendant que les copains restaient à Château-Gombert. Je n'avais jamais assisté à une compétition jusqu'à ce que je me retrouve moi-même au départ, un beau jour, en 2004. C'était à Montfavet et Nicolas Roche avait gagné.

Comment es-tu passé de l'état d'esprit cyclo à la mentalité du compétiteur ?
Mais peut-être que je suis resté cyclo ! [rires] Bon, rapidement, quand je monte une bosse, je suis intéressé par le temps que je mets, il y a toujours un record à battre. A part ça, j'ai toujours considéré le vélo comme ma passion et non comme mon métier. Je suis un peu fleur-bleue, en décalage avec la mentalité que j'ai côtoyée pendant deux saisons dans le peloton professionnel.

« J'AI PRIS MON DESTIN EN MAIN »

Qu'est-ce-qui te pose problème dans l'état d'esprit du cyclisme pro ?
Tu débarques avec des étoiles dans les yeux, mais c'est un milieu où l'argent prime. Ce n'est pas un reproche, simplement un constat personnel. Je suis reconnaissant à Fred Rostaing [le manager du Team Marseille 13-KTM] de m'avoir donné la chance de passer pro. Quand tu es amateur, il s'agit d'une évolution naturelle, pour ne pas dire un rêve. Mais en même temps que tu entres dans ce métier, le charme se rompt. Il faut être méthodique, pas rêveur.

Ambiance coincée ?
Le vélo professionnel est à l'image de la société : javellisé. J'ai besoin d'un vélo rustique, guerrier, nourri par les « forçats de la route ». Je pense que ma vision et mes attentes du cyclisme pro ont été faussées par ce que me racontait mon grand-père [Louis Rostollan, dit « Pétrolette », célèbre pour avoir sauvé son leader Jacques Anquetil en perdition dans le Col de l'Envalira, sur le Tour de France 1964, NDLR]. Pour moi, le vélo c'est la solidarité, le partage, les blagues dans le peloton. C'est le public, les gamins, les gens qui ont fait 200 km pour venir te voir. Je ne voudrais pas passer pour un donneur de leçon mais... Quelle image donne-t-on aux gens ? Les spectateurs voient des coureurs descendre du bus trente secondes avant le départ, en tirant la gueule comme s'ils allaient à l'abattoir.

Et toi, que faisais-tu ?
Je sortais du bus ! Je passais du temps avec les petits, pour transmettre une émotion. Je cherchais à exister. Idem en course. J'étais content de m'amuser avec les copains dans le peloton. Quand je le pouvais, j'allais dans les échappées. Je n'ai pas obtenu de résultat significatif [10e du Paris-Arras Tour et classement par points du Tour du Gévaudan 2014, NDLR]. Mais, au minimum, j'ai pris du plaisir. Et surtout, j'ai pris mon destin en main...

Les tactiques de course sont vides de romantisme ?
Ce n'est pas très fougueux. Chez les amateurs, j'aime le fait que les échappées donnent le rythme au peloton. Chez les pros, c'est l'inverse. A l'époque, les briefings tactiques étaient... [soupir] On se préparait à se faire taper dessus. Je comprends qu'un Cavendish attende le sprint, parce qu'il a des chances de gagner avec cette méthode. Nous autres, on devrait davantage essayer de contrecarrer les scénarios établis à l'avance.

« LA JOIE DE VIVRE S'EN EST ALLEE »

Pourquoi manque-t-il un grain de folie dans le peloton professionnel ?
Parce que, justement, c'est professionnel. Parce que c'est un métier. Le milieu nous écrase un peu, avec la pression des résultats, la pression du contrat à renouveler. Alors que tu étais en mesure de gagner vingt fois par an chez les amateurs, tu entrevois ta chance une demi-fois par an. Chacun est concentré sur soi, il y a peu de solidarité entre les coureurs. Et puis la joie de vivre s'en est allée.

Qu'est-ce qui l'a incitée à faire ses valises ?
Les affaires de dopage. Aujourd'hui, le monde du vélo est devenu hyper poli, il lave plus blanc que blanc. Moi, j'aime bien déboucher une bonne bouteille de rouge la veille des courses, avec les copains de l'équipe. Je ne parle pas de sortir en boîte pendant la saison, n'est-ce pas ? Juste d'un plaisir simple...

Tu n'es pas non plus adepte du capteur de puissance.
Je pense que le SRM est le bon outil pour s'entraîner. Mais je n'en suis pas fan à titre personnel. Brancher un truc sur mon ordi pour l'analyser, bof... Déjà que je ne suis pas très intéressé par Facebook ! Je ne veux pas savoir si je m'entraîne en 30-30 mais quel braquet j'utilise. Ne pas avoir de SRM ne m'empêche pas de me faire mal ! Le nom de la bosse m'importe encore plus : je veux savoir où je vais et comment sera le café que je vais boire au sommet.

Qu'est-ce qui t'a plu dans ton expérience de coureur professionnel ?
Les voyages, les copains. Julien Antomarchi qui gagne le Tour de Hainan [en novembre 2014], c'est comme si c'est moi qui gagnais !

« LE PARTAGE, TOUJOURS ET ENCORE »

Donc, retour à l'AVC Aix-en-Provence cette saison. Le choix naturel ?
Oui. C'est un club familial. J'y ai été licencié en 2004 puis entre 2008 et 2012. Jean-Michel [Bourgouin, le Manager du club] est un ami plus qu'un patron. Les collègues aussi [les Marseillais appellent leurs copains « collègues » et leurs collègues... également « collègues », NDLR]. Je m'éclate. Cette semaine, l'AVC Aix organise pour la première fois un stage à Lloret del Mar, en Espagne, ouvert à tous. Il y aura 66 participants, âgés parfois de 70 ans. Les gars de la DN1 rouleront avec eux. Nous allons partager des choses avec eux. Un autre stage est prévu en octobre. Chaque semaine, j'entraîne aussi les petits du club, avec toujours beaucoup de plaisir.

Quand tu es passé pro, tu déclarais à DirectVelo que tu avais fait « le tour de la question » chez les amateurs [retrouvez l'interview ici]. Qu'est-ce qui te reste à découvrir ?
J'avais passé sept saisons chez les amateurs lorsque j'ai rejoint le Team La Pomme Marseille. D'où la crainte de m'ennuyer au bout d'un moment. Cette année, c'est très différent. Je ne conçois pas comme une tragédie de quitter le cyclisme pro. Je ne connais pas la plupart des manches inscrites à la Coupe de France DN1. Quant à certaines épreuves bien organisées que j'ai déjà disputées autrefois, comme le Circuit des Ardennes ou le Rhône-Alpes Isère Tour, j'aurai plaisir à les retrouver.

La mission que tu t'es assignée ?
Le partage, toujours et encore. Je dois faire progresser des jeunes de l'équipe. Par exemple Anthony Perez, qui mériterait de passer pro.

Et toi, aimerais-tu tenter à nouveau l'aventure du cyclisme professionnel, malgré tes réserves sur le milieu ?
Pourquoi pas ? Bizarrement, je n'aurais pas été mécontent de rester pro. C'est quand même le meilleur moyen pour littéralement vivre de ta passion. Je préfère ça que travailler dans un bureau... Peut-être que je trouverai une équipe qui voudra de moi, qui croira en moi et qui me plaira.

L'hypothèse le plus probable sur ton avenir ?
En vue de ma reconversion, je suis en train de passer un BPJEPS (Brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport). Ensuite, je pourrai devenir directeur sportif, toujours avec un objectif de transmission. Ou bien monter un projet autour du tourisme à vélo dans Marseille et sa région. J'aime beaucoup cette idée. A travers ma formation, j'ai rencontré un prof de techno originaire de Metz, qui a tout plaqué pour se recycler dans le vélo. Cet hiver, nous avons fait ensemble une magnifique balade Marseille-Nice et retour. Rouler deux fois 240 km en hiver, c'est ridicule pour un coureur amateur. Mais l'aventure était tellement belle... Je n'avais jamais vu un gars aussi heureux de faire du vélo !

Crédit photo : André Quentin - www.ggfotovelo.fr
 

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Thomas ROSTOLLAN