La Grande Interview : Mathieu Teychenne

Une « Grande Interview » au petit matin. Mathieu Teychenne est encore soumis aux horaires militaires d'ici que sa démission de l'Armée de Terre et de l'équipe cycliste correspondante soit validée par sa hiérarchie. A 25 ans, l'Alsacien a choisi de retourner au pays, en DN2, comme capitaine de route du Team Rémy Meder Haguenau et employé à temps partiel dans l'entreprise de son sponsor. "J'ai fait un choix sage", explique-t-il à DirectVelo.com. Pour cela, il renonce tout de même à une proposition de passer professionnel, puisque l'Armée est toujours candidate à une licence Continentale pour 2015 (lire ici). "Il y a beaucoup de facteurs pour [passer pro], notamment de la chance", estime Teychenne, qui fut stagiaire à trois reprises pour AG2R La Mondiale, entre 2010 et 2012, lorsqu'il courait au Chambéry Cyclisme Formation. Finalement, après une saison 2014 sans grand relief, il a compris qu'il valait mieux organiser sa vie et sa pratique du vélo au plus près de son état d'esprit : le jeu, le collectif. Pourtant à l'évidence à travers ses performances, par exemple 4e du Tour des Flandres Espoirs en 2011 ou 2e de Troyes-Dijon en 2013, Mathieu Teychenne estime : "J'ai du mal à vouloir tout écraser, ce n'est pas mon truc".
 
DirectVelo.com : Pourquoi as-tu choisi de quitter l'équipe de l'Armée de Terre en fin de saison ?
Mathieu Teychenne : J'ai connu en 2014 ma plus mauvaise année sportive. C'est un cercle vicieux : j'ai manqué de résultats, donc je n'ai pas pris de plaisir sur le vélo, j'ai perdu de la confiance et de la motivation, et ça n'a pas arrangé mes résultats... Je suis très carré : soit je suis bien à 100% soit je suis totalement absent. Or, je voyais à l'entraînement que je pouvais pas faire aussi bien qu'auparavant. D'ailleurs, je n'ai pas vraiment retrouvé le niveau que j'avais avant que je me fracture le coude en mai 2013, sur le Grand Prix des Hauts-de-France.
 
Est-ce que cette blessure qui t'a poussé à réorienter ta carrière ?
Non, il y a des causes plus profondes. A l'Armée, je ne voyais pas de possibilités d'évolution interne. Aux yeux du grand public, nous sommes des cyclistes avec un statut de militaire. En réalité, nous sommes des militaires qui font du vélo. Ce qui implique des formations et du temps de présence au service course, à Saint-Germain-en-Laye. Je me suis rendu compte que l'armée n'était pas trop faite pour moi. Il était temps de passer à autre chose.
 
« JE ME SUIS MIS A HESITER »
 
Compte-tenu des moyens que l'Armée de Terre met à disposition de ses athlètes, ta décision de partir a-t-elle été difficile à prendre ?
Oui. Au mois de juillet, il était clair que je voulais partir. En août, David [Lima Da Costa, le directeur sportif, NDLR] nous a parlé de son projet d'équipe Continentale pour 2015. Il me donnait une chance d'intégrer l'effectif malgré mon année décevante, en tenant compte de mes capacités et de mon goût pour le travail en équipe. Je me suis mis à hésiter. Mais je me suis dit qu'au mieux, je ferais une année chez les pros et que j'allais raccrocher. En face, j'avais une proposition de reconversion professionnelle plus solide. J'ai fait un choix sage. 
 
Est-ce que tu doutais de tes aptitudes ?
Je ne dis pas que je ne méritais pas ma place : j'ai obtenu des résultats internationaux [7e du Tour de Lombardie 2010, 4e du Tour des Flandres et 10e de Liège-Bastogne-Liège Espoirs 2011, NDLR], j'ai été trois fois stagiaire chez les professionnels avec AG2R La Mondiale... La dernière année, on m'avait clairement dit que ce stage ne déboucherait pas sur un contrat, sauf si je gagnais le Tour de Lombardie Espoirs. C'est Vincent Lavenu qui me l'avait signifié : « On n'aura pas d'autre choix que de te prendre ». Je n'ai pas gagné, on ne m'a pas engagé. Je n'ai jamais su pourquoi. Il faut beaucoup de facteurs pour y arriver, notamment un peu de chance.
 
En rejoignant l'Armée de Terre en 2013, tu avais encore pour projet de passer professionnel ?
Oui. Je voulais prouver que les dirigeants d'AG2R La Mondiale s'étaient trompés. C'était une belle saison, qui a commencé très fort et a poursuivi sur sa lancée. C'était la naissance de la « Grande Armée » (rire). Je me rappelle d'un Troyes-Dijon où nous signons un quadruplé (lire ici). Ce qui fait gagner l'équipe de l'Armée ? Nous sommes stimulés par les performances des collègues et unis par une bonne cohésion. Tout le monde va dans le même sens, sans arrière-pensée. Il y a beaucoup de « vieux » coureurs mais ils mettent leurs ambitions de côté pour se concentrer sur le travail collectif.
 
« BEAUCOUP DE COUREURS SE PENSENT CAPABLES DE PASSER PRO »
 
Pour beaucoup de ces « vieux », l'Armée constitue pourtant une ultime occasion de devenir professionnel ?
Il y a peut-être toujours la petite flamme qui brille au fond du tunnel, mais la plupart n'y pensent déjà plus. Prenons le cas de Benoît Sinner. Il a déjà été professionnel [de 2006 à 2009, chez Agritubel puis Besson Chaussures, NDLR] et j'ai eu l'impression que son objectif était d'évoluer au sein de l'armée, de participer à des formations, de construire son avenir sur le long terme. Et je le comprends...
 
A contrario, est-ce que Chambéry CF, la réserve d'AG2R la Mondiale où tu as passé trois saisons, concentre de nombreuses ambitions individuelles ?
Oui, forcément. Chacun a son idée et il est impossible que tout le monde se donne à 100% pour l'équipe. Les dirigeants font de leur mieux pour que la « hiérarchie » soit respectée. Le souci dans le cyclisme amateur, c'est que beaucoup de coureurs se pensent capables de passer pro, alors qu'ils n'en ont pas le niveau. Il y a des années plus simples que d'autres à gérer. Lorsque j'étais à Chambéry, il n'y avait aucun conflit. Certains avaient visiblement la capacité de rejoindre une équipe professionnelle, les autres mettaient l'accent sur les études et suivaient leur chemin dans le vélo. Du coup, je garde un très bon souvenir de cette aventure de jeunes.
 
Faisais-tu partie de ceux qui se livraient à 100% pour le collectif ?
Oui, justement. On me l'a parfois reproché. Mais cette année, par exemple, je n'ai eu aucune difficulté à épauler les coureurs qui marchaient le mieux. L'équipe de l'Armée de Terre est structurée comme une équipe professionnelle : il y a des leaders et les autres qui aident. Cette situation pouvait me convenir, mais David attendait de moi que je remplisse un rôle de leader.
 
« POUR MOI, LE VELO EST UN JEU »
 
Il semblerait que ton approche de ce sport est moins rigide ?
Pour moi, le vélo est un jeu. J'ai du mal à vouloir tout écraser, ce n'est pas mon truc. Je connais des gens formatés pour réussir à tout prix, des gens qui n'ont pas le droit de se louper. Ce n'est pas mon cas. Depuis que j'ai débuté chez les Cadets, en 2003, j'aime le vélo. Mais je crois qu'il me manque la « fibre »...
 
Est-ce parce que tu ne viens pas d'une famille avec une forte culture cycliste ?
Peut-être. Dans mon entourage, il n'y a que mes cousins qui font un peu de vélo. On ne m'a jamais condamné à réussir dans le vélo.
 
Voilà pourquoi tu as toujours mené de front le cyclisme et les études ?
A Chambéry, nous suivions le « double projet ». A l'Armée c'est un peu pareil : vélo plus carrière (à titre personnel, j'avais choisi de continuer ma licence commercialisation et services sportifs). La seule année où j'ai cessé mes études, c'était en 2014. On a vu le résultat... Si tu ne fais que du vélo et que tu ne marches pas, alors tu ressasses beaucoup le négatif.
 
L'an prochain, au Team Rémy Meder Haguenau, tu vas revenir à la formule « vélo plus carrière » ?
Oui, et ce projet m'attire. Je vais travailler dans l'entreprise de location d'hélicoptères de Rémy Meder Haguenau en tant que commercial. Au début, ce sera un travail à mi-temps, le temps que l'entreprise continue son développement et que je me forme. Peut-être que je vais passer mon brevet de pilote. Parce que commercial dans les hélicoptères, c'est assez différent de vendre des Smartie's ! (rires)
 
« J'AI BESOIN DE RETROUVER L'ENVIE »
 
Sur le vélo, tu auras un rôle de capitaine de route ?
Oui, je vais retrouver plusieurs jeunes que je connais déjà et les aider dans leur progression en leur transmettant mon expérience. J'aime bien l'idée que nous allions le plus loin possible en tant que club DN2. Le calendrier nous offre de nombreuses opportunités, à la fois au niveau local avec des épreuves 1-2-3 mais aussi avec des courses UCI comme Paris-Mantes, la Ronde de l'Oise si nous sommes invités, et bien sûr le Tour Alsace. 
 
Le Team Meder constitue donc ton dernier défi sportif ?
J'ai besoin de retrouver l'envie : de m'entraîner, de courir, de gagner. J'espère bien marcher sur des objectifs importants, notamment sur le Championnat de France et la Coupe de France.
 
Tu l'as déjà remportée cette année !
C'est un grand souvenir. Avec Chambéry, j'avais terminé 3e de la Coupe de France DN1 en 2012, puis avec l'Armée, 2e en 2013 et vainqueur cette saison. Ce succès correspond à mes valeurs : il appartient à tous parce qu'il se remporte par équipe. D'ailleurs, le collectif est au centre de mes bons souvenirs cette année, par exemple sur le Tour de Bretagne où nous avons essayé de défendre le maillot de leader de Yann Guyot (lire ici). Pour gagner la Coupe de France, il a fallu tirer les leçons de notre défaite en 2013. Nous avons travaillé nos points faibles : le contre-la-montre par équipes et la stratégie pour les courses en ligne.
 
Pourquoi votre tactique était-elle erronée ?
Elle ne correspondait pas au schéma de la Coupe de France. C'est triste à dire, mais sur ce circuit, il ne faut pas courir pour gagner la course mais pour mettre un maximum de gars à l'avant. C'est ainsi que l'ont décroche un maximum de points. Nous avons dû prendre sur nous-mêmes, parce qu'à l'Armée de Terre, nous sommes une équipe très offensive. Moi-même, je n'ai jamais remporté d'épreuve au sprint, j'ai toujours privilégié l'attaque. Or, en Coupe de France, nous nous retenions. Nous attendions le bon moment pour piéger le Vendée U. Nous verrons quelle tactique il faudra employer l'an prochain sur la Coupe de France DN2. Mais j'aimerais beaucoup aider le Team Rémy Meder Haguenau à obtenir une belle récompense...

Crédit photo : www.velofotopro.com
 

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