La Grande Interview : Julien Bernard

De tous les fils d'anciens coureurs, Julien Bernard est aujourd'hui celui qui traîne le plus lourd héritage sur le porte-bagage. «Sur beaucoup d'épreuves, le speaker me présente comme "le fils de Jean-François Bernard ». Parfois même, il passe une minute à refaire le palmarès de mon père sans citer une seule de mes victoires", confie le licencié du SCO Dijon, 22 ans, qui connaîtra dimanche sa première consécration personnelle : sa première sélection en Equipe de France Espoirs, sur le Tour du Doubs. L'inventaire côté paternel : une soixantaine de bouquets et, au faîte de la gloire, une 3e place sur le Tour de France 1987, qui fit de « Jeff Bernard » le premier successeur de Bernard Hinault désigné par la presse, mais aussi un Paris-Nice, un rôle de coéquipier de luxe auprès de Miguel Indurain... Chez Julien, le tableau de chasse 2014 grossit : classement général des 4 jours des As-en-Provence, Grand Prix de Chardonnay, Grand Prix de Villapourçon, une étape au Tour d'Auvergne et, autre instant de gloire, un succès d'étape au Tour Nivernais-Morvan, dans son jardin, quand il finit flanqué de ses parents sur le podium. Dans la vie, Julien Bernard a trouvé la parade : il s'amuse. Cet état d'esprit, qu'il cultive sous des dehors sérieux, l'aide à éviter les comparaisons, à s'affirmer et à poursuivre sa voie vers, peut-être, un contrat professionnel. "Le vélo est resté un jeu, confie-t-il à DirectVelo.com. Mais un jeu pour la victoire."

DirectVelo : Si l’on te parle du Mont Ventoux, à quoi penses-tu en premier lieu ?
Julien Bernard : A mon père ! Son ascension du Ventoux, sur le Tour de France 1987, constitue son heure de gloire. Cette victoire, tout le monde m’en parle. Je pense qu’il en est très fier et moi-même, je suis très fier que mon père ait gagné là-haut. On se souviendra encore longtemps de ce moment. Le plus drôle, c’est que moi, je n’ai jamais monté le Mont Ventoux... J’aimerais le faire bientôt.

Tu as vu le jour cinq ans plus tard. Est-ce à dire que tu n'as aucun souvenir de la carrière de ton père ?
Je suis né le lendemain de sa victoire sur Paris-Nice. Mon père a arrêté lorsque j’avais quatre ans. Entre-temps, je me rappelle qu'il n’était pas souvent à la maison, compte-tenu de sa vie de coureur. Mais je ne me souviens pas de ce qu’il faisait sur le vélo. Ce n'est que plus tard que je me suis rendu compte de la valeur des choses qu’il avait faites. Par exemple en passant des après-midis sur le canapé, tous les deux, à regarder de vieilles cassettes. C'est ainsi que j'ai découvert son succès dans le chrono de Paris-Nice...

« MON PERE DISAIT : "TU NE FERAS PAS DE VELO, C'EST TROP DUR" »

Ton père te laissait regarder des images d'archives mais il ne voulait pas que tu pratiques le cyclisme toi-même !
Exactement. Il me disait : « Tu ne feras pas de vélo, c’est trop dur ». Je pense qu’il essayait simplement de me protéger. D'ailleurs, ma mère tenait le même discours. Alors j’ai d’abord joué au foot pendant cinq ans, pour faire comme tous les copains. Un jour, je suis rentré de l’entraînement un peu énervé. J’ai annoncé à mes parents que je voulais arrêter et me mettre au vélo. Comme ça sur un coup de tête ! Pourtant, jusqu’à ce moment-là, je ne m’intéressais vraiment pas au vélo. Mais j’avais juste envie d’essayer autre chose.

Et tes parents ont cédé ?
Je me souviens des mots de mon père. « Tu veux faire du vélo ? Tu es sûr ? Bon, eh bien d’accord. On verra... ». Je ne sais pas s’il m’imaginait que j'allais tenir aussi longtemps (rires). J’ai donc commencé en Cadet 1 dans le club de Varennes-Vauzelles. J’y suis finalement resté quatre ans avant que Denis Repérant me propose de rejoindre le SCO Dijon.

Inconsciemment, c'était aussi un challenge que tu te lançais, une façon de montrer que comme ton père, tu pouvais devenir un grand coureur ?
J’ai essayé de faire mon petit bout de chemin. Depuis que j’ai commencé la compétition, tout le monde m’a toujours comparé à mon père, que ce soit au niveau de l’allure, de mon coup de pédale ou du fait de pencher la tête sur la gauche. Personne ne me croyait vraiment capable de faire des résultats au début. Mais j’essaie de prouver à tout le monde que même si mon père a une carrière incroyable, et que je ne ferai sans doute jamais la même chose, je peux gagner des courses et avoir un palmarès à mon tour.

Souffres-tu de cette comparaison permanente ?
Non. M’appeler Bernard, ça a toujours plus été une fierté qu’un problème. C’est sûr que je ne me souviens pas de beaucoup de courses où le speaker ne m’a pas présenté comme « le fils de Jean-François Bernard ». Parfois même, le speaker passe une minute à refaire le palmarès de mon père sans citer une seule de mes victoires. Ou alors il annonce les victoires de mon père sur le Giro, le Tour ou la Vuelta... et derrière il enchaîne avec mes victoires ! Dans ces moments-là, je rigole ! Je me dis qu’à côté de lui, je n’ai rien fait du tout. Parfois aussi, des gens viennent me demander s’ils peuvent faire une photo avec moi. C'est uniquement parce que je suis le fils de Jean-François Bernard. Je leur réponds : « Si vous voulez. Mais moi, je n’ai rien fait ! »

« PENDANT QUATRE ANS, JE NE FAISAIS DU VELO QUE POUR M'AMUSER »

Pourtant, tes propres victoires ont aussi de la valeur…
Je me sens obligé de rabaisser mes performances vis-à-vis de celles de mon père. Les gens le font aussi pour moi. Je ne vais pas dire à mon père : « J’ai gagné les 4 jours des As-en-Provence ». Pour lui, ce serait anecdotique. Mais je suis quand même content d’avoir gagné mes cinq courses cette saison. Ça reste une satisfaction personnelle, et ça ajoute quelques lignes à mon palmarès.

As-tu craint de ne pas être à la hauteur ?
Sur ma première course en Cadets, j’ai pris trois tours. Mes parents n’ont jamais essayé de me décourager, même si les résultats ne suivaient pas. Ils m’ont fait croire en moi. J’ai fini par être plus performant. Mais si je n’avais jamais réussi dans le vélo, si je leur avais dit que j’arrêtais tout, ils ne m’auraient rien reproché. Pendant les quatre premières années, je ne faisais du vélo que pour m’amuser. Je ne cherchais pas du tout à obtenir des résultats. Donc, je n'avais pas peur de ne pas être à la hauteur.

Quand as-tu pris conscience que le cyclisme ne serait pas simplement qu’une affaire de plaisir, mais peut-être un métier ?
Quand je suis arrivé au Pôle Espoirs, j'ai découvert ce qu’était le haut niveau aux côtés d’Emmanuel Brunet [ex-CTR de Bourgogne, devenu Manager du Haut niveau et de la Performance à la FFC, NDLR]. Je suis passé de quelques entraînements par semaine à une sortie quotidienne. Il a fallu que j’encaisse ce changement de rythme. Depuis, j’ai progressé de manière régulière. J'ai aussi acquis le goût du résultat en rejoignant le SCO Dijon, lorsque j’ai commencé à fréquenter des coureurs comme Pierre-Luc Périchon. Le vélo est resté un jeu, mais un jeu pour la victoire !

« J'AI BESOIN DE SAVOIR QUE JE PROGRESSE »

Tu as choisi de te concentrer sur le vélo en 2013 seulement, après avoir longtemps suivi des études en parallèle…
Mes parents m’ont toujours dit : « Les études avant le vélo ! ». Je partageais cet avis. On n’est jamais à l’abri d’un accident... Obtenir un diplôme, c'était aussi important pour mon rythme de vie. J’ai fait trois ans de licence de management à Dijon. J’ai terminé en juin 2013. A partir de là, je me suis dit que si je voulais réussir dans le cyclisme, c’était maintenant ou jamais. Histoire de ne rien regretter !

Ton père, il te conseille aussi sur ta pratique du vélo ?
Oui, toujours ! Pas plus tard qu’aux 4 Jours des As, je l’ai appelé pour parler de la course. Lui, il sait ce que c’est que de porter un maillot de leader [Julien Bernard avait pris la tête du classement général après la deuxième journée de course pour la conserver jusqu'au bout, NDLR]. Il connaît la pression qui pèse sur les épaules du leader.

Sur cette course, tu as témoigné beaucoup de sang froid. Ton tempérament très calme, c'est une force ?
J’essaie d’analyser les choses, de prendre du recul. Ce n’est pas moi qui fais le plus de bruit dans un groupe. J’aime bien rester discret, mais sans être à l’écart non plus. Il m’arrive même de canaliser le trop plein d’énergie de certains copains (sourires). Je ne suis pas le plus grand déconneur de la bande, mais je prends beaucoup de plaisir au SCO Dijon. Les gars sont, non pas des coéquipiers, mais des copains. Quand je les ai vus se sacrifier à 200% pour moi aux 4 jours des As, ça m’a fait tellement plaisir !

« SI JE DOIS PASSER PRO, CE SERA GRACE A MES RESULTATS »

Tu sembles avoir franchi un palier important cette année...
J’ai toujours suivi une progression constante depuis les Cadets. Et je sens que physiquement, je ne suis pas encore au bout ! Voir que l’on s'améliore sans arrêt, c’est ce qui permet de rester toujours concentré et motivé. J’ai besoin de savoir que je progresse.

En ce sens, ta sélection en Equipe de France pour le Tour du Doubs doit être un moment important ?
C’est l’un des plus grands trucs que j’ai pu connaître dans le vélo. J’en suis vraiment fier et heureux. Je pourrais au moins dire que j’ai été en Equipe de France Espoirs. En même temps, c’était ma toute dernière chance, à la fin de ma dernière saison Espoirs. Cette sélection m'apporte davantage de confiance en moi.

Tu as donc cette nécessité permanente de te convaincre que tu as le niveau ?
Si l’on me connaît dans le vélo, c’est parce que je suis « le fils de » et non pas parce que j'ai mes résultats. C'est ce que je me suis toujours dit... Mais là, en l’occurrence, le sélectionneur de l'Equipe de France est quelqu’un de parfaitement neutre et objectif. S’il m’a pris, c’est que je le mérite. Il me reconnaît grâce à mes résultats et non pas parce que je m’appelle Bernard. C’est quelque chose de très important à mes yeux.

Il faut dire qu’être le « fils de » ne semble jamais t’avoir ouvert de portes...
Jamais ! Et je n’ai rien fait pour que ce soit le cas. Dans la vie, il faut mériter les choses. Si je dois passer pro un jour par exemple, ce sera grâce à mes résultats. Pour moi, il n’y a rien de pire que les gens qui disent qu’untel est passé pro grâce à son père, qu’il ne mérite pas d’être là… Même chose pour une place en Equipe de France. En vélo, tu dois mériter tout ce que tu as.

Crédit photo : Estelle Le Presse Photos
 

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Julien BERNARD