La Grande Interview : Jimmy Casper

Jimmy Casper est encore à bloc. Comme quand il attaquait la dernière ligne droite chez les pros entre 1998 et 2012, comme quand il avait épinglé quatre fois Erik Zabel sur le Tour d'Allemagne en 1999 ou triomphé du peloton ondulant sur la première étape du Tour de France en 2006. Reconverti directeur sportif, il raconte qu'il a eu de la chance pour son baptême du feu avec le Comité de Picardie, l'an passé : « J'ai gagné ma première course à Jugon-les-Lacs ». Il se reprend dans un éclat de rire : « Pardon, l'un de mes coureurs, Corentin Ermenault, a gagné ». Toujours à fond. Avec ses propres enfants, avec les débutants de l'AC Montdidier ou les Elites du CC Nogent-sur-Oise, il vit la course en intensité : « Pas question de fumer la pipe dans le peloton ! » Ses exigences sont pourtant adoucies par son sens de l'humour. Mercredi soir, Jimmy Casper a confié à DirectVelo.com son regard sur le cyclisme amateur, de retour de la Côte Picarde, l'épreuve Coupe des Nations Espoirs qui traverse sa région. Il conduisait une voiture d'invités, par amitié avec l'organisateur et parce qu'il cultive les racines et le plaisir de son sport et le devoir sacré de transmission. « J'essaie d'inculquer aux gamins des valeurs de cohésion, de partage et d'effort, dit-il. J'aimerais que l'un d'eux me dise un jour qu'il a réussi sa vie professionnelle et personnelle grâce aux valeurs que je lui ai transmises. »
 
DirectVelo.com : Au CC Nogent, la plupart des coureurs ont l'âge de t'avoir vu sprinter devant leur poste de télé. Est-ce que ton palmarès et tes treize années chez les pros créent une distance avec les jeunes aujourd'hui ?
Jimmy Casper : Au contraire, je suis très proche des jeunes coureurs. Et j'adore m'amuser avec eux, ce qui les aide à déstresser. Il faut trouver l'équilibre. Après la première épreuve de la saison, je leur ai passé un savon mémorable, qui peut-être ne se justifiait pas au vu de l'enjeu, mais qui a aidé à mettre les points sur les I. J'aime déconner uniquement si on travaille bien. Les deux vont ensemble. Si je sens que les gars ne sont pas à fond, j'arrête de jouer. Depuis, on a trouvé le bon équilibre !
 
Tu conseilles en particulier les sprinters ?
Forcément, je suis un peu spécialisé dans le sprint. Nous avons fait quelques exercices avec le CC Nogent lors d'un stage en Espagne cet hiver et, si nous nous avions plus souvent l'opportunité de regrouper les coureurs, nous pourrions encore progresser. Le Team Sky nous l'a démontré : le cyclisme, c'est des maths ! En calculant le potentiel de chacun, on pourrait établir sur quelle distance il va intervenir efficacement dans un final de course. J'aimerais qu'on mette en place un vrai train pour emmener des sprinters. L'Armée de Terre y parvient et c'est pour ça qu'elle gagne. Mais elle a la chance d'avoir ses coureurs à disposition toute l'année et c'est évidemment une exception en France...
 
Faute de régler les détails d'un train collectif, tu peux apprendre le métier à quelques individualités du CC Nogent ?
Oui, j'entraîne deux coureurs du club et j'en supervise trois autres qui travaillent avec leurs propres entraîneurs. Je pense que Jérémy Lecroq dispose d'un potentiel. S'il gagne en expérience et perd du poids, il sera très fort. Au vu des tests, il va déjà aussi vite que moi lorsque je courais, alors qu'il n'est qu'en deuxième catégorie !
 
Pourrais-tu aussi conseiller un grimpeur ?
Oui. Un coureur, quelle que soit sa catégorie, rencontre des problèmes. Je peux l'aider à trouver des solutions parce qu'en plus de mon Brevet d'Etat, j'ai suivi une formation en préparation mentale, avec Denis Troch. Je transmets mon expérience dans ce domaine aux coureurs du CC Nogent et si certains veulent travailler le mental plus spécifiquement avec moi, à titre individuel, c'est aussi possible. Mon but n'est pas d'ouvrir les yeux des coureurs mais qu'ils les ouvrent par eux-mêmes.
 
«  PENDANT QU'ILS SE PREPARENT, JE RIGOLE BEAUCOUP AVEC LES COUREURS »
 
Freddy Bichot, qui a suivi lui aussi l'enseignement de Denis Troch (lire ici), a testé les bienfaits de la préparation mentale en tant que coureur. En as-tu mesuré les effets toi aussi ?
Dans ma carrière, mes rencontres avec Denis ont été un gros déclencheur. J'ai appliqué l'un de ses conseils avec mon coéquipier Anthony Ravard. Ça a tout de suite marché, j'étais bluffé ! Grâce à l'approche mentale, on peut prendre le dessus psychologiquement sur l'adversaire en influençant son mental. On adopte des petites attitudes qui lui font croire qu'on est supérieur. Il se cale alors dans ta roue. Et dans un sprint, ça veut dire qu'il a déjà une longueur de retard !
 
Tu disais que tu déstresses les coureurs en blaguant avec eux. C'est aussi un truc psychologique ?
Le contact humain, c'est avant tout dans ma nature. Pour déstresser les coureurs, je leur montre que je maîtrise le sujet. Et je les aide à maîtriser le leur, par exemple en adoptant le bon timing dans les minutes qui précèdent le départ d'une course. Pendant qu'ils se préparent, je rigole beaucoup avec eux, si bien qu'ils n'ont pas l'impression d'entrer dans l'événement.
 
Comment travailles-tu avec les plus expérimentés de l'équipe, comme Benoît Daeninck ?
Avec lui, on est davantage dans une collaboration. Nous formons un binôme : je donne les consignes et, en tant que capitaine de route, Benoît les relaie sur le vélo. Il fait aussi partie des gens que je sollicite pour m'aider à connaître les parcours ou l'état de forme des adversaires. J'admets que je ne connais pas très bien le cyclisme amateur, et je travaille pour combler mon retard. Le plus difficile, d'ailleurs, c'est de mettre en place une tactique.
 
Tu penses que les stratégies employées sont confuses ?
Parfois, on peut se demander s'il y a une tactique dans le cyclisme amateur ! (rires) Prenons l'exemple du sprint massif. Contrairement au déroulement qu'on observe chez les pros, les amateurs manquent d'équipiers dans le final. Un sprinter doit souvent compter sur un seul gars pour l'aider, voire sur aucun... Une équipe bien organisée, capable de bâtir un train, gagnerait à coup sûr. L'autre point délicat, c'est que nous n'avons pas de lanceurs officiels. Les pros ont des coureurs payés spécialement à cet effet. Mais moi, je ne vais pas demander toujours aux mêmes de se sacrifier. Le cyclisme n'est pas leur métier et ils ont tous besoin d'avoir leur chance d'obtenir des résultats dans la saison. Alors, on inverse les rôles.
 
« J'AIMERAIS BIEN AIDER DAVANTAGE LE CC NOGENT-SUR-OISE »
 
Est-ce que tu fais tes gammes auprès d'un club amateur pour pouvoir un jour travailler dans une équipe professionnelle ?
Ce n'est pas certain. Dans un premier temps, je suis heureux que les dirigeants du CC Nogent-sur-Oise m'accordent leur confiance et me considèrent comme un directeur sportif à part entière. J'aimerais bien les aider davantage que le quota actuel de cinq jours par mois. Mais le club compte déjà sur deux très bons directeurs sportifs, Pascal Carlot à temps plein et John Saccomandi à mi-temps. Je me fais plaisir au CC Nogent, j'ai l'impression d'apporter ma petite touche. Si je devais travailler un jour avec une équipe pro, il faudrait qu'elle soit tournée vers des idées novatrices. Je ne m'engagerais pas n'importe où.
 
Tu continues d'encadrer les plus jeunes à l'Avenir Cycliste de Montdidier. D'où te vient cet intérêt pour les débutants ?
Je suis licencié au CC Nogent, mais Montdidier reste mon club de cœur. C'est lui qui m'a permis de faire du vélo, et donc de devenir quelqu'un. Aujourd'hui, je veux lui rendre ce qu'il m'a donné. Depuis un an et demi, je me rends disponible le mercredi après-midi. Preuve que les choses ne vont pas trop mal, l'école de cyclisme est passée de sept à dix-huit gamins en l'espace d'un an. J'essaie de leur inculquer des valeurs de cohésion, de partage et d'effort. J'aimerais que l'un d'eux me dise un jour qu'il a réussi sa vie professionnelle et personnelle grâce aux valeurs que je lui ai transmises.
 
Tes deux enfants ont d'ailleurs rejoint l'école de cyclisme...
Oui, tous les deux ! Mon fils est inscrit en Minime 1, ma fille en Poussin première année. C'est drôle, parce que je ne les ai pas poussés vers le vélo. Ils font ce qu'ils veulent et quel que soit le sport qu'ils auraient choisi, je les aurais encouragés. Sauf pour le foot... Je suis la volonté de mes enfants. S'ils ne veulent pas aller sur les courses, c'est leur choix. Par contre, j'insiste pour qu'ils s'impliquent quand ils y vont. Pas question de fumer la pipe dans le peloton ! Je ne suis pas tout à fait d'accord avec Coubertin (le créateur des Jeux olympiques modernes en 1896, resté célèbre pour la formule « L'essentiel, c'est de participer », NDLR). Pour moi, l'essentiel est de gagner. Ou plutôt, la priorité est de se faire plaisir. Mais quand on gagne, on se fait plaisir !
 
Tu avais cet état d'esprit comme coureur également ?
Oui ! Un jour, j'ai dit que je n'aimais pas l'entraînement. On a mal interprété mon propos, en déduisant que j'étais un feignant. Mais je voulais dire que la compétition comptait avant tout ! C'est là que je trouvais du plaisir. Je ne m'entraînais que pour courir, je ne courais que pour gagner. Et pour gagner au niveau des pros, il faut s'entraîner dur...
 
« 19 ANS, C'ETAIT UN PEU TARD POUR PASSER PRO »
 
En 1997, il était rare qu'un manager recrute un coureur après sa première saison Espoir. Comment as-tu mis le pied à l'étrier ?
J'avais obtenu quelques résultats chez les Juniors. La Française des Jeux m'a invité sur un stage de cyclo-cross à Montflanquin, dans le Lot-et-Garonne. Je suis arrivé avec un vieux vélo, un vrai chewing-gum ! Les vitesses ne passaient pas, la selle n'était pas de niveau... Mais je ne me plaignais pas. Les mécaniciens se sont un peu foutu de ma gueule. Ils étaient étonnés qu'un gars puisse se satisfaire d'un vieux clou alors que leurs coureurs étaient hyper exigeants avec le matériel. J'ai marqué des points sur ce coup. L'équipe envisageait de recruter un pro expérimenté : Emmanuel Hubert, qui a été mon directeur sportif chez Agritubel et travaille aujourd'hui pour Bretagne-Séché. Mais Marc Madiot a finalement choisi le petit jeune.
 
On dit que tu étais alors le plus jeune néo-pro au monde. N'as-tu pas signé ton contrat trop tôt ?
Au contraire, c'était même un peu tard ! (rires) Chez les amateurs, je n'ai pas appris ce dont j'avais besoin pour marcher chez les pros. Dans l'idéal, il aurait fallu que je signe un contrat à la sortie des rangs Juniors et que j'aie un programme adapté, avec beaucoup d'entraînement et une course pro toutes les deux ou trois semaines. Ça aurait été la meilleure école pour devenir un sprinter...
 
Aujourd'hui, conseillerais-tu à un coureur amateur de s'engager à dix-neuf ans ?
Pas forcément. L'organisation du cyclisme a changé et nous avons trois divisions d'équipes. En première, c'est-à-dire au WorldTour, la marche est certainement trop haute. En troisième (Continentale), les équipes sont souvent en sous-effectif et elles font trop courir leurs jeunes. La deuxième division (Continentale Professionnelle) pourrait offrir un bon compromis à un néo-pro, parce qu'on peut à la fois disputer des épreuves variées, très difficiles (WorldTour) ou plus accessibles (catégorie 2.2 ou 1.2). Mais encore faut-il tomber sur une équipe intelligente, qui propose un programme vraiment adapté.
 
« L'AFFAIRE FESTINA A ETE UNE BONNE CHOSE POUR LE CYCLISME »
 
Tu avais vingt ans quand l'affaire Festina a éclaté. Pour toi, était-ce un traumatisme ? Un soulagement ? Un simple fait divers ?
Quand je suis passé chez les pros, j'ai vite compris le coup. Il fallait deux ans de rodage puis on devait mettre de l'essence dans le moteur... Avec l'affaire Festina, tout le monde a crié : « On arrête le dopage ! » Ça m'arrangeait. J'étais encore néo-pro et je n'avais aucune envie de mettre ma santé en danger un jour. Mais s'il n'y avait pas eu d'affaires, j'aurais peut-être été obligé de m'y mettre. Au fond, je n'en sais rien. Donc, je n'ai jamais eu à me doper, mais je ne veux pas jeter la pierre à ceux qui l'ont fait. Après 1998, ma génération a traîné une image de « tous dopés ». C'était injuste mais je préfère avoir souffert de ces amalgames que d'avoir vu les anciennes pratiques continuer. Finalement, l'affaire Festina a été une bonne chose pour le cyclisme.
 
A l'AC Montdidier, les parents te parlent du dopage ?
C'est moi qui leur en parle, parfois. Je leur dis que s'ils tiennent à la santé de leurs enfants, il faut les mettre au cyclisme. Aujourd'hui, c'est le plus propre des sports. Je connais un peu ce qui se passe dans d'autres disciplines comme la boxe ou l'athlétisme : il n'y a pas ou quasiment pas de contrôles. Le vélo, lui, a installé des garde-fous.
 
D'où te vient ton aversion du foot ?
J'y ai joué une année - quand mon premier entraîneur de l'AC Montdidier est parti, j'ai arrêté le cyclisme pendant trois saisons. La mentalité du foot m’écœure. J'ai vu des joueurs faire exprès de tomber pour que leurs adversaires prennent un carton. Moi, j'appelle ça du vol. Dans le cyclisme, ce n'est pas comme ça qu'on court, ce n'est pas comme ça qu'on gagne...

Crédit Photo : ccnogentsuroise.over-blog.fr
 

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