Route d’Occitanie : « Courir sous 40°C, c’est une connerie »

Crédit photo Nicolas Mabyle / DirectVelo

Crédit photo Nicolas Mabyle / DirectVelo

La décision est tombée jeudi en début de soirée : la deuxième étape de la Route d’Occitanie ne fera que 34,3 petits kilomètres en raison d’une décision de la préfecture du Tarn d'annuler le moindre événement extérieur alors même que le département a été placé en alerte rouge à la canicule (lire ici les détails). La première journée de course, déjà, a été marquée par de très fortes températures puisque le thermomètre est monté à 39.5°C dans la bulle course en fin d’étape. Forcément, le sujet et cette situation ne laissent personne indifférent. “Avant même le départ de l’épreuve, j’ai été étonné que personne ne parle des conditions météo à la réunion alors qu’on savait que ça monterait à 42 voire 43°C. Il aurait fallu évoquer le sujet mais personne ne l’a fait. Nous, en Conti, on suit le mouvement, on ne peut pas se permettre de dire grand-chose”, regrette auprès de DirectVelo Mickaël Leveau, le directeur sportif de l’équipe Go Sport-Roubaix Lille Métropole. “La situation n’a pas été évoquée à la réunion des DS ni même par le représentant des équipes nommé par l’UCI. Est-ce un oubli ? En tout cas, c’est surprenant”, appuie Alain Deloeuil, le technicien de la Cofidis.

« L’ORGA NOUS LAISSERAIT ENCHAÎNER DEUX JOURNÉES COMME ÇA ? »

Cette première étape de 174,4 km a déjà fait souffrir les organismes. “Aujourd’hui, ça s’est bien passé pour mes coureurs. Mais on a bien senti que c’était très dur pour les organismes. Enchaîner deux journées comme ça, ça les aurait fracassés. Il faisait presque 40°C à l’arrivée. Il était temps que ça se termine même si l’étape n’était pas dure”, assure Mickaël Leveau. “Si on avait mis l’arrivée au premier passage sur la ligne et qu’on n'avait pas rajouté la boucle de 40 km, ça aurait été très bien. L’orga aurait pu prendre cette initiative-là. Le scénario de la course aurait été identique, on aurait eu le même vainqueur et le même podium”, proposait Rudy Barbier après coup.

Le sprinteur de l’équipe Israël-Premier Tech est dubitatif quant à la situation actuelle et cette étape de 34,4 km ce vendredi. “Je suis partagé : si on annule l’étape, certains vont dire qu’on s’arrête pour un rien et que les cyclistes sont des râleurs. Mais à l’inverse, je pense réellement que faire 150 ou 180 bornes aurait été dangereux. Je connais mes limites. Trop, c’est trop. Mais il y a des coureurs qui jouent un contrat pour l’année prochaine, des néo-pros qui veulent se montrer… Et peut-être seraient-ils prêts à en faire plus que d’autres pour une raison X ou Y. Mais je pense qu’il faut poser une limite. 41°C pour courir, c’est de la folie. On ne peut pas passer quatre ou cinq heures sur le vélo avec 41°C”, lâchait l’expérimenté athlète picard en fin de soirée, jeudi. “Si le préfet n’avait rien dit, on aurait donc fait toute l’étape ? L’orga nous laisserait enchaîner deux journées comme ça, à 38 puis 41°C ? Même si tu ouvres le ravito après cinq bornes et que tu le fermes à cinq bornes de l’arrivée, ce sont des détails. Quand va-t-on se poser une limite ? Roulera-t-on quand il fera 45°C aussi ? Que fait le syndicat des coureurs ?”.

« PERSONNE N’A LES COUILLES »

Rudy Barbier explique donc qu’il aurait sans doute fallu prendre des mesures précédemment. “Paradoxalement, c’est le préfet du Tarn, qui n’a rien à voir avec le cyclisme, qui protège les coureurs”, ironise-t-il. Pas question d’accabler le comité d’organisation pour autant : Rudy Barbier s’interroge simplement sur l’évolution de cette situation à plus long terme. “Bon, on va courir, l’orga et les chaînes de télé seront contentes et je comprends aussi. Mais pour nous, les coureurs… Peut-être aurait-il fallu dire quelque chose. Et je pense aussi à l’étape de samedi, en montagne avec des températures folles, encore. Mais personne n’a les couilles de dire quoi que ce soit. Qui pourrait le faire dans ce peloton ? Personne, ou un Valverde peut-être, avec la bouteille qu’il a. Dans tous les cas, faire 150 km sous 40°C, c’est une connerie. Pour cette semaine ou pour plus tard”.

Alain Deloeuil ne savait que trop penser de cette situation, à chaud, quelques heures seulement après avoir appris la réduction drastique de l’étape de ce vendredi. “On est obligé de s’adapter. On n’a pas le choix. On n’est d’ailleurs pas encore à l’abri d’un autre changement et d’une annulation totale de l’étape si le préfet de l’Aveyron le décide. 35 km, c’est une course de Minimes (sourire). Ce sera bouclé en 45 minutes. Mais il y aura un classement, un leader… Il y a à boire et à manger là-dedans. Je me mets à la place de l’organisateur, moi-même qui suis dans le comité d’organisation du GP de Denain. Je sais ce que c’est et les difficultés qu’ils peuvent avoir. Ils veulent maintenir un bout d’étape et ça part d’un bon sentiment”, tente-t-il d’analyser, avant d’imaginer qu’une annulation n’aurait pas forcément été la meilleure solution non plus. “Et d’un autre côté, tant qu’il n’y aura pas d’accident ou de gros problème, on se dira toujours que ce sera tenable dans la mesure où c’est leur métier de rouler. Je pense qu’à partir d’une certaine température, il faudrait se concerter avec le jury des commissaires pour faire marcher une clause de condition extrême, comme ça peut déjà être fait s’il y a du verglas ou un vent de folie par exemple. La chaleur, ça peut être une condition extrême, à 40°C ou au-delà”. Pourtant les températures extrêmes peuvent déjà déclencher le protocole de discussion sur les conditions météorologiques extrêmes prévu par l'UCI. Cette réunion peut être convoquée par le Président du collège des commissaires mais aussi par l'organisateur, le représentant de l'AIGCP (les équipes), le représentant du CPA (les coureurs) ou encore par un représentant de l'UCI s'il est présent.

« C’EST AUSSI AUX COUREURS DE SE METTRE D’ACCORD »

Alors que certains semblent s’interroger quant à l’utilité et la légitimité d’une étape de 35 km, la situation pourrait-elle encore évoluer d’ici cet après-midi ? “Les coureurs pourraient refuser de prendre le départ s’il y avait des patrons. Mais il n’y en a plus. Et puis, il y a tellement d’enjeux, notamment avec ce système de points UCI… C’est un ensemble de choses qui font que ça devrait courir normalement”, imagine Alain Deloeuil. Mickaël Leveau, lui, s’inquiète. “C’est bien de maintenir une étape mais sur 35 km, c’est trop court et ce sera d’autant plus violent pour les coureurs. J’avais proposé de faire 70 ou 80 km en créant un circuit dans le final”, indique-t-il alors qu’un réseau d’échanges avec tous les DS et le comité d’organisation a été créé pour “faire des propositions”.

“Un jour, il faudra s’adapter. En Argentine, les étapes partent à 16h30”, rappelle Rudy Barbier. “Pourquoi ne pas courir le matin ? Pour la télé, mais un jour il faudra s’adapter car ça risque de se reproduire au fil des années”, insiste Alain Deloeuil. Mais l’étape partira bien à 14h45 depuis Belmont-sur-Rance, afin de respecter l’itinéraire horaire initial. Alors, comment les équipes comptent-elles aborder et préparer cette étape ? “Je vais les déposer un peu avant, avec le bus. Ils iront faire une vingtaine de kilomètres histoire de tourner les jambes avant le départ. Pour l’étape, ça se fera à la sensation et au cardio. Mais pour moi, c’est presque pire. Comme c’est très court, ça me paraît violent. Mais ce sont des pros, ils ont une grande force d’adaptation. Si une Conti comme la nôtre avait plus de poids, j’aurais demandé, peut-être, l’annulation ou une neutralisation avec une étape disputée en convoi, tranquillement. Mais ce sont les WorldTeams qui décident”, déclare Mickaël Leveau, comme pour faire passer un message. Chez Israël-Premier Tech, une sortie matinale d’une heure et demi est prévue à partir de 9h. “Pour rouler quand il ne fait pas encore trop chaud”, précise Rudy Barbier. Du côté de la Cofidis, là aussi, on roulera en amont de l’étape. “On va rouler sur place avant le départ. On ira là-bas puis on roulera entre 1h30 et deux heures suivant les conditions météo”. Reste, maintenant, à voir comment cette drôle d’étape va se dérouler. Alain Deloeuil, là aussi, aura sûrement quelques conseils à prodiguer au briefing. “C’est aussi aux coureurs de se mettre d’accord. On va partir en faux-plat descendant puis il y aura deux kilomètres de descente. Ça risque de partir vite mais c’est aux coureurs d’être raisonnables pour ne pas en rajouter davantage à la difficulté initiale”.

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