Steven Henry : « Satisfaction, colère et frustration »

Crédit photo Patrick Pichon - FFC

Crédit photo Patrick Pichon - FFC

La saison de l'équipe de France d'endurance a été courte mais intense. Les trois plus grands Championnats en trois mois, en commençant par le plat de résistance, les Jeux de Tokyo en août. Les équipes de poursuite ont battu leur record cette année, et pas d'un petit boyau. C'est la preuve que ces coureurs continuent de progresser et qu'ils étaient en très bonne forme à Tokyo pour les Femmes, et à Roubaix pour les Hommes. Au Championnat du Monde, Benjamin Thomas et Donavan Grondin, les médaillés olympiques, ont rajouté un maillot arc-en-ciel à leur collection tandis que Morgan Kneisky bouclait la boucle, douze ans après ses premiers Championnats du Monde Elite, et la paire Marie Le Net-Clara Copponi confirmait sa médaille de Berlin à l'Américaine. Steven Henry, l'entraîneur national, revient avec DirectVelo sur cette année particulière et évoque déjà les pistes pour l'an prochain.

DirectVelo : Quelles satisfactions retires-tu du dernier Championnat du Monde ?
Steven Henry : La poursuite par équipes en est une. Même si c'est un Championnat du Monde post-JO, l'objectif était d'être dans le dernier carré et on a réussi à matcher contre les Champions olympiques. Le chrono montre qu'on est dans le coup. Depuis quelques années, on ratait nos Championnats du Monde. Après la non qualification pour Tokyo, il y avait des interrogations du côté de la FFC mais les garçons ont prouvé qu'ils ont du potentiel. Nous étions tous convaincus que l'absence à Tokyo ne reflétait pas la vraie valeur de l'équipe. Ils font ce qu'on voyait déjà à l'entraînement. Ils ont répondu de la meilleure manière, que ça valait le coup de s'investir dans la poursuite par équipes.

« ÇA SERAIT BIEN QU'ILS AIENT LES BONS VÉLOS »

Ils avaient donc du monde à convaincre ?
Un des vrais enjeux du Championnat du Monde était d'obtenir le dernier matériel. À Roubaix, les poursuiteurs avaient le cadre R96 (celui des Jeux de Rio, NDLR) et pas le T20 (le modèle conçu par Look pour Tokyo, voir ici). Grâce au mondial, ça devrait se débloquer. Ils ont montré que ça serait bien qu'ils aient les bons vélos. Mais dans d'autres pays, la situation est la même. Les Anglais qui n'étaient pas aux Jeux olympiques n'ont pas le vélo Lotus.

Qu'as-tu pensé quand tu as vu Donavan Grondin prendre la tête du scratch à trois tours de l'arrivée ?
J'espérais qu'il gérait et c'était le cas. Je l'avais convaincu de mettre très gros mais pour que ce soit efficace, il fallait qu'il prenne le sprint en main et qu'il ne se fasse pas enfermer. Il devait gérer à trois tours de l'arrivée pour que son sprint soit parfait par rapport au braquet utilisé. Donavan a aussi remplacé Benjamin qui n'avait pas envie de revenir sur l'Omnium. C'est bien de montrer qu'il n'y a pas que Benjamin et il y a aussi Thomas Boudat. En Coupe des Nations, le programme peut être chargé pour un seul coureur avec la poursuite par équipes, l'Omnium et l'Américaine.

As-tu été inquiet pour Benjamin Thomas pendant la course aux points ?
Quand il a laissé De Ketele doubler, je me suis dit qu'il ne se facilitait pas la tâche. La course s'est rapidement résumée à un match à deux entre Benjamin et Kenny. Dans les sprints, quand Benjamin prenait 5 points, Kenny en marquait 3, ça devenait difficile de réduire l'écart. Mais à un moment, Benjamin marque 5 points et Kenny, 0. J'étais plus confiant. Ça a mis du suspense, c'était sympa.

« PAS ENCORE L'IMPRESSION QUE MORGAN NE SERA PLUS LÀ COMME COUREUR »

Le Championnat a aussi marqué les adieux de Morgan Kneisky à l'équipe de France…
Pendant l'Américaine, j'étais concentré sur le résultat. Immédiatement après l'arrivée, il y avait la déception de terminer 5e (avant le dernier sprint, la paire française était encore 3e, NDLR) mais elle a duré cinq minutes. Nous sommes vite passés à autre chose, avant la petite célébration en l'honneur de Morgan. Je n'ai pas encore l'impression que Morgan ne sera plus là comme coureur. On va s'en rendre compte dans les prochains stages. Il va passer son diplôme d’État et il n'est pas exclu qu'il revienne à l'occasion comme conseiller.

Comment juges-tu la prestation des filles à Roubaix ?
Nous étions sur la lancée des Europe. On espérait jouer un peu plus sur certaines courses mais ça ne remet pas en cause ce qu'elles ont fait. Même si elles n'ont pas eu de médailles hormis celle de l'Américaine, elles pèsent sur la course. Dans la Madison, il y a des petites erreurs mais on se rapproche des Hollandaises, on répond à tous les schémas de course et plus seulement à un seul. Kirsten Wild arrête, ça rebat les cartes. Et les Jeux olympiques leur ont fait passer un cap, on l'a vu à ce Championnat du Monde. Elles ne se laissent plus dépasser par leurs émotions.

Et quel bilan fais-tu des JO ?
Satisfaction, colère et frustration. La satisfaction de la poursuite par équipes Dames. C'est le premier résultat qui valide notre travail sur l'hypoxie, la préparation mentale et les braquets avec le travail de musculation depuis le Championnat du Monde de Berlin. Ça montre que nous sommes dans le vrai. J'ai de la frustration et même de la colère sur l'Omnium Hommes et de la frustration pour l'Américaine Dames. Pour quelques erreurs et un relais raté, on manque une médaille. Chez les garçons, il y a aussi de la frustration car il y avait mieux à faire que la médaille de bronze. Quelques points lâchés sur des sprints nous coûtent l'argent ou même l'or, mais la médaille est une satisfaction.

EN SOUS-EFFECTIF À TOKYO

Tu parles de colère, pourquoi ?
C'est la colère d'avoir raté quelques trucs dans l'approche finale. Dans l'encadrement, nous étions en sous-effectif, nous avons donc dû nous occuper de tâches supplémentaires et donc moins nous occuper des athlètes. Je n'ai donc pas pu détecter certains signes pour Benjamin Thomas qui auraient dû m'alerter. On n'a pas su s'organiser au niveau fédéral d'où ce sous-effectif. C'était les premiers Jeux olympiques pour tout le monde, hormis les mécanos. On a raté des choses mais on espère capitaliser sur cette expérience pour la prochaine fois. Le collectif de Paris 2024 ressemblera à celui de Tokyo.

Vas-tu intégrer de nouveaux coureurs aux collectifs existants ?
Chez les filles, il y a les jeunes du pôle de Bourges, Jade Labastugue et Bénédicte Ollier qui ont fait de bons Championnats du Monde Juniors. On va les intégrer. Chez les Hommes, j'ai régulièrement Corentin (Ermenault) au téléphone. Il souhaite revenir dans le groupe mais il faudra bien délimiter le cadre. Quentin Lafargue continue le travail avec nous (lire ici). On fera un point à la fin de la saison 2022.

Quel sera le programme de l'équipe de France en 2022 ?
Nous voulons renforcer le travail en altitude. Mais nous devons encore rencontrer les équipes surtout qu'il y a eu pas mal de changements chez nos coureurs (Benjamin Thomas, Valentine Fortin et Victoire Berteau arrivent chez Cofidis par exemple, NDLR). Il y aura régulièrement des stages, deux Coupes des Nations dont celle de Glasgow, ou le Championnat d'Europe en août qui marquera le début de la préparation pour le Championnat du Monde de Saint-Quentin-en-Yvelines. Même si le Tour féminin qui se terminera juste avant le Championnat d'Europe changera certaines choses.

Qu'attends-tu de l'arrivée de Florian Rousseau (lire ici) ?
L'objectif, c'est d'être concentré sur nos tâches olympiques et éviter de devoir s'occuper de trop de tâches annexes et administratives qui nous éloignent de nos missions principales et qui nous prennent trop de temps. Nous avons peut-être fait trop de choses en approche des Jeux de Tokyo. Il faut qu'on puisse se concentrer sur les aspects liés à la performance et les athlètes.

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