La Ligue des Champions : Un feuilleton pour la télé

Crédit photo DirectVelo

Crédit photo DirectVelo

La piste, au moins 140 bougies sur le gâteau, a trouvé ses inventeurs. Enfin ! Enfin plutôt, ses réinventeurs. Ce mardi, au théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, en France mais tout en anglais, Eurosport Events et l'UCI ont présenté leur bébé, la Ligue des Champions sur piste (voir le calendrier). "Quand j'étais candidat à la présidence de l'UCI, j'avais dit qu'il fallait faire quelque chose pour promouvoir la piste avec un format adapté à la télé, rappelle David Lappartient en préambule. Avec la Ligue des Champions de l'UCI, on peut tout voir en deux heures contrairement à la Coupe des Nations".

Le groupe audiovisuel Discovery - propriétaire d'Eurosport - prend un virage important dans le vélo en devenant organisateur et plus seulement diffuseur. Alors ils veulent refaire les peintures et changer les ampoules. Surtout, Eurosport veut "raconter une histoire en la simplifiant, affirme Andrew Georgiou, le président d'Eurosport. Entre deux Jeux Olympiques, l'intérêt pour la piste diminue. Il faut une histoire intéressante, de la musique, du spectacle, rendre les gens heureux". Le président de l'UCI ajoute : "nous voulons que les gens sortent du vélodrome avec le sourire et l'envie de regarder la suite à la télévision et aussi mettre en valeur les athlètes. Nous avions besoin d'un partenaire présent dans le monde entier car il faut que ce soit un succès immédiat, on n'a pas le temps de faire grandir le projet". L'UCI a délégué la régie publicitaire à Eurosport, qui doit aller à la recherche de partenaires.

Eurosport veut aussi moderniser la mise en scène et la retransmission des épreuves sur piste, pour les spectateurs et les téléspectateurs. François Ribeiro, directeur d'Eurosport Events annonce 15 tonnes de matériel à chaque réunion, pour la sono, les éclairages (pour faire le noir complet). Un essai grandeur nature aura lieu fin juillet dans le vélodrome de Saint-Quentin, qui sera la deuxième étape du circuit.

PAS DE CHRONO POUR ALLER PLUS VITE

En 2021, il faut aller vite, vite, vite. Alors pour aller encore plus vite que le temps, la Ligue des Champions supprime toutes les épreuves chronométrées. Le seul classement accepté, c'est la place sur la ligne d'arrivée. Sinon, le groupe Discovery considère que son public aurait du mal à comprendre ou trouverait le temps long.

Pour éviter que les téléspectateurs s'impatientent, les épreuves dites "d'endurance" vont se résumer à un scratch de 5 km et une élimination. Cette dernière spécialité fut d'ailleurs inventée au premier Vel' d'Hiv' de Paris pour supprimer les temps morts dans les courses de sprinters (lire ici). Exit la course aux points et, encore plus l'Américaine. Trop difficile à suivre à la télévision, surtout quand le réalisateur, pour prouver qu'il a le zoom le plus performant, abuse de gros plans qu'il ressert sous forme de ralentis aux téléspectateurs. Alors qu'une vue plus large pour savoir qui roule en tête de peloton derrière les coureurs qui veulent doubler, rendrait la course plus lisible.

Les épreuves de sprint, vitesse et keirin, sont aussi passées à la machine à laver pour ressortir rétrécies. Pas de repêchage, pas de belle pour le tournoi de vitesse, pas de 200 mètres lancé pour composer les séries. La réinvention du tournoi de vitesse reprend donc la vieille formule des matchs à trois, sauf en finale.

Ces matchs à trois peuvent être très spectaculaires, surtout quand ils se transforment en duel à deux contre un. En 1982, il y a presque 40 ans, la finale du feu Grand Prix de Paris à la Cipale oppose Sergeï Kopylov (URSS) au Champion olympique Lutz Hesslich et Michael Huebner, les deux Allemands de l'Est. Une finale de Ligue des Champions avant l'heure. Après une séance de surplace, Huebner bloque le Soviétique à la balustrade quand Hesslich plonge à la corde. Kopylov chasse, bouche le trou, et Huebner, emmené dans un fauteuil, l'exécute sur la ligne. Pendant le tour d'honneur, le public hue les deux Allemands et applaudit le battu. Ça aurait fait de belles images.

CHRIS HOY : « CE N'EST PAS QUE DU SPECTACLE »

Si ce circuit commercial s'attribue le titre de Ligue des Champions c'est bien parce que les participants seront triés sur le volet. Cela commence par les deux "ambassadeurs", Kristina Vogel et Chris Hoy. Six parrains et marraines portent le bébé sur les fonds baptismaux. Trois femmes et trois hommes mais quatre sprinters et deux endurants, ce qui donne un signe sur l'orientation du spectacle : Mathilde Gros, Emma Hinze, Simona Krupeckaité, Ed Clancy, Harrie Lavreysen et Sebastian Mora. Mais Chris Hoy réfute le côté sport-spectacle. "Ce n'est pas que du spectacle, c'est avant tout du sport avec des coureurs de haut-niveau".

Le reste du plateau sera sélectionné en fonction des résultats au Championnat du Monde d'Ashgabat (13-17 octobre) qui serviront de poule de qualification pour la Ligue des Champions - "mais le Championnat du Monde reste le point d'orgue du calendrier", affirme le président de l'UCI -. Cela garantit la valeur de très haut-niveau des participants ... si tous les qualifiés viennent courir. Mais le calendrier resserré doit favoriser "la possibilité d'avoir les coureurs à leur meilleur niveau après le Championnat du Monde", espère David Lappartient. Toujours dans l'idée de l'habillage des six soirées, les coureurs auront une tenue de soirée, une combinaison aux couleurs de leur pays avec un numéro personnel. Les quatre leaders des classements généraux (sprint et endurance, hommes et femmes), porteront un maillot de leader bleu ciel (voir ici).

Ce circuit doit assurer de bons revenus aux meilleurs pistards à la hauteur de leur valeur athlétique, la grille de prix totale sera de 500 000 euros. La victoire au classement général rapportera 25 000 euros, soit plus qu'un titre de Champion du Monde d'une discipline olympique (8 000 euros). C'est déjà un bon point et un pas vers une époque où les rois du plancher roulaient sur l'or. Qu'ils en profitent le temps que ça dure. L'histoire de la piste est un flux et un reflux de bonnes recettes qui attirent les foules avant de les lasser, et ces dernières années, c'est plutôt la marée basse. "Les vélodromes ne sont pas anxieux de favoriser un genre qui n'attire pas la foule", écrivait en 1947 Jacques Goddet, organisateur de spectacles au Parc des Princes et au Vel' d'Hiv' avant d'être directeur de L'Equipe. En 75 ans, l'équation à résoudre n'a pas changé. 

Mots-clés