Raymond Chainel : « Ça m’a fait mal »

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

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Raymond Chainel ne s’est pas encore véritablement remis de ses émotions en ce début de semaine. Le week-end dernier, le frère de Steve Chainel aurait dû organiser les deux premières manches de la Coupe de France de cyclo-cross, à Vittel (Vosges). L’événement a finalement été annulé trois jours avant la première des deux journées de compétition, en raison de l’épidémie de coronavirus, et ce malgré le soutien de la Fédération Française de Cyclisme pour tenter de sauver l’organisation. Alors, pour passer à autre-chose et ne pas broyer du noir avec ses coureurs du Cross Team Legendre, dont il est désormais le directeur sportif, l’homme de 32 ans - professeur de profession - est parti en Belgique avec ses troupes pour le cyclo-cross de Ruddervoorde. Où il n’a pas pu s’empêcher de verser quelques larmes malgré tout. Entretien.

DirectVelo : Comment s’est déroulé le week-end, sans “ta” manche de Coupe de France ?
Raymond Chainel : C’était dur à vivre, franchement… Surtout qu’au début, j’ai pris tout ça pour moi. J’avais l’impression d’avoir raté quelque chose, de ne pas avoir pris les bonnes décisions. Je portais ce dossier depuis un an et je n’arrivais pas à me dire que l’événement ne se déroulerait pas. Mais qu’est-ce que je pouvais y faire ? Le préfet est roi. Si il dit qu’on court, on court. Et s’il dit qu’on ne court pas… On peut s’appeler Pierre, Paul, Jacques ou faire jouer les réseaux, ça ne change rien. Pourtant, la FFC nous a aidés et nous a apporté son soutien à 2000%. Mais que faire, encore une fois ? C’était très compliqué. Et puis, je me dis que si on avait eu des cas de covid sur la course, je m’en serais peut-être encore plus voulu. Pour ce qui est du programme de mon week-end… (Il marque un temps d’arrêt et sourit, NDLR). Initialement, je pensais rester en famille et finalement, on s’est décidé à partir à Ruddervoorde. J’ai pris sur moi mais c’était compliqué d’oublier tout ce qu’il s’était passé les jours précédents. C’est un an de boulot qui s’est évaporé… Mais bon, on a réussi à faire courir les gars en Belgique. C’était dur à vivre, mais c’était mieux que rien.

« ON S’EST LOUPÉ »

Tu as nous récemment dit que tu tenais à t’excuser : pourquoi ?
Le préfet avait tenu une conférence de presse le vendredi, huit jours avant notre épreuve. Il avait alors annoncé l’instauration de mesures assez strictes sur le territoire. Puis le lundi matin, à 10h, le maire de Vittel a reçu un e-mail du cabinet du préfet disant qu’il était impossible d’organiser l’événement car on devait emprunter la voie publique. Sur le moment, ça m’a foutu un coup derrière les oreilles mais je me disais qu’il fallait laisser faire, que ça allait peut-être aller. J’entendais dire que le Championnat de France de l’Avenir à Gray aurait sûrement lieu ce même week-end, et que du côté de ma propre épreuve, j’avais peut-être mal interprété la lecture du décret. J’ai passé pas mal de temps au téléphone et certains de mes interlocuteurs m’ont poussé à l’optimisme en me disant qu’il ne fallait pas lâcher. J’avoue que tout ça me dépassait un peu… Et puis, plus le temps passait, et plus je me disais qu’il ne fallait pas être aveugle. Alors j’ai dit à la Fédé qu’il fallait prendre une décision et faire une annonce mercredi midi au plus tard. On a dit stop à ce moment-là. Mais c’était déjà très tard. Trop tard, même, peut-être. 

Pourquoi “trop tard” ?
Parce que des jeunes étaient déjà arrivés sur place. Je pense par exemple à Louka Lesueur, le Champion de France Cadets. J’étais tellement en colère contre moi-même… C’est un sentiment que je ne souhaite à personne, même si ce n’est que du sport et qu’il faut, bien sûr, relativiser. Il n’empêche que je m’en veux vis-à-vis des gamins. Ce devait être une grande fête du cyclo-cross, il y a des gamins qui attendaient ça depuis un mois… Et je leur ai enlevé ce plaisir, cette possibilité de courir. Ça m’a fait mal. Comme le fait d’avoir vu tous ces bénévoles aider pour rien. Pff… Je suis marqué, ça me fout les boules. Sans prétention aucune, je pensais qu’en étant la plus grosse structure française, on serait peut-être à l’abri de tout ça. Mais non… On s’est loupé.

On imagine tout de même que les jeunes athlètes ont compris la situation et les raisons qui t’ont contraint d’annuler ce rendez-vous…
Peut-être mais ça n’enlèvera pas la déception. En plus, ce cross à Vittel devait aussi être un feu d’artifice pour notre Cross Team Legendre. On en parlait aux gars depuis des semaines, on avait fait un stage d’une semaine pour qu’ils arrivent au top sur l’événement. Depuis un mois, on leur disait que c’était l’objectif N°1 de cette première partie de saison. On allait courir à la maison et on se devait d’être performants. Alors, quand ça a été annulé, les garçons étaient vraiment déçus. Or, ma récompense personnelle après une année de préparation, ça aurait été de voir les gamins du groupe avec le sourire samedi et dimanche. 

« ON ENVISAGE DES PLANS B, C ET MÊME D »

Tu es un homme de l’ombre qui ne cherchait que la satisfaction d'organiser un beau rendez-vous de cyclo-cross...
Je ne cherche pas la lumière, justement. Tout le monde connaît Steve parce que c’est un personnage du monde du cyclo-cross français. Moi, je suis de l’autre côté de la barrière, le gars qui marche dans des zones dégeulasses du circuit, avec de la boue plein les bottes (sourire). Mais j’aime ça. Le côté sport/passion, le côté sport familial… J’aime quand tout le monde est content et que l’on a pu partager de bons moments en groupe. Comme dans mon métier de professeur, finalement. Je veux partager avec les jeunes, avec “mes gamins”, comme je dis souvent. C’est ce qui me plaît. Je n’ai pas besoin d’être dans la lumière. Ce sont les bénévoles, ceux qui ont travaillé dur dès le vendredi pour commencer à poser le parcours, qui méritent d’être mis dans la lumière. Et je suis encore une fois désolé qu’ils aient eus à travailler pour rien.

Malgré ces journées difficiles, tu as pu compter sur le soutien de nombreuses personnes, y compris d’anonymes via les réseaux sociaux…
C’est forcément plaisant même si j’avoue qu’à un moment donné, après avoir passé toute une semaine au téléphone, j’ai essayé de poser le téléphone, de quitter les écrans et de me calmer. Mais c’est vrai que j’ai pu compter sur le soutien de pas mal de monde, comme Rémy Turgis, Cédric Garnier, Anthony Colas et bien d’autres personnes encore du monde du cyclo-cross, qui ont pris le temps de me passer un coup de fil. C'est gentil. 

Et maintenant ?
Je vais retrouver mon costume de professeur dès demain (mardi) et ça va me faire du bien, même s’il me faudra sûrement encore deux-trois semaines pour digérer tout ça. Je n’étais pas prêt du tout pour vivre une telle situation. Je me suis retrouvé au milieu de quelque chose qui me dépassait totalement. Je voulais une simple fête du vélo et au lieu de ça… Bon, voilà. Il y a tout de même une saison qui vient juste de débuter, finalement, et encore une fois, il faut vite se remobiliser. Notre présence à Ruddervoorde était particulière pour moi, les gars m’ont vu verser quelques larmes en Belgique, lorsqu'ils m'ont remercié d'avoir fait le déplacement. Mais ça va aller, même si j’ai peur que l’on ne soit pas au bout de nos peines. On ne sait pas ce qui va nous attendre durant tout l’hiver. On envisage des plans B, C et même D. C’est un truc de fou. Je ne sais même pas si l’on pourra courir le week-end prochain à Dijon, par exemple. On doit se préparer à d’autres annulations.

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