La Grande Interview : Nicolas Malle

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Nicolas Malle est peut-être à la croisée des chemins. Champion d’Europe sur route Juniors en 2016, à Plumelec (Morbihan), lauréat de la Classique des Alpes la même année, le Normand n’a pas encore eu l’occasion de totalement confirmer tout son potentiel lors de ses deux premières saisons chez les Élites du côté de Sojasun espoir-ACNC. La faute, notamment, à un virus qui l’a handicapé durant tout le printemps 2018. Pour se relancer, le cousin de Mickaël et Guillaume Malle - qui a été professionnel en 2012 chez Véranda Rideau - a décidé de changer d’air. Direction le VCP Loudéac, avec une idée bien précise en tête : rejoindre à moyen terme l’équipe professionnelle Vital Concept.

DirectVelo : Comment vis-tu cette période de trêve entre deux saisons ?
Nicolas Malle : C’est un moment agréable. On fait des sacrifices toute l’année et là, c’est le moment de profiter, de voir ses amis, sa famille, de manger de bonnes choses que l’on ne peut pas forcément manger en pleine saison (sourires). C’est l’occasion de se faire plaisir et de recharger les batteries au maximum. C’est aussi une période durant laquelle je peux consacrer un peu plus de temps à mes études, puisque je suis actuellement en DUT Gestion Entreprise et Administration, à Caen. Je fais tout ça en trois ans, voire peut-être quatre, car ce n’est pas simple de gérer les études et le cyclisme en même temps. Dans tous les cas, cela me permettra d’avoir un bagage et un Bac +2. Et la trêve hivernale est donc l’occasion d’en faire un peu plus.

T’interroges-tu souvent quant à ton avenir professionnel ?
C’est une question que je me suis posé à la fin de la saison, à vrai dire. En regardant en arrière, j’ai réalisé que le vélo n’était pas une science exacte. A l’instant T, j’avoue plutôt me demander ce que je ferai après mon DUT, et non pas être concentré sur une éventuelle carrière de coureur, même si c’est toujours mon souhait. Il faut assurer ses arrières car ça peut aller vite dans un sens comme dans l’autre. J’ai réalisé que c’était encore loin d’être fait pour faire carrière dans le cyclisme.

Il y a des coureurs qui passent plus d’une décennie dans le peloton amateur, et d’autres qui préfèrent se fixer une date limite avant de passer à autre-chose. Tu n’as, certes, que 20 ans, mais as-tu déjà un avis sur la question ?
Oui et c’est assez clair dans ma tête : j’ai du mal à comprendre le concept de rester coureur amateur “toute une vie”. Certains sont tenus par la passion du vélo, d’accord, mais je ne serai pas dans ce type de coureurs-là. Si à, grand maximum, 24 ans, je ne suis pas parvenu à passer pro, je tirerai un trait sur le haut-niveau. Je ne me vois pas être en DN à 28 ans. C’est très dur d’y gagner sa vie. Il faut penser à son avenir.

« JE ME BATTAIS POUR RESTER DANS LE PELOTON »

Revenons à ta saison : tu débutais cette année 2018 en tant qu’Espoir 2, avec des ambitions légitimes, mais tu as été stoppé avant même la reprise des compétitions…
Je n’ai pas été chanceux, c’est sûr. J’ai chopé un virus et j’en ai eu pour un moment mais malheureusement, je n’y pouvais pas grand-chose et il fallait faire avec (lire ici). Ce n’était pas vraiment la mononucléose, mais un dérivé. Ca allait de moins en moins bien en stage de pré-saison. J’ai fait des tests et j’étais à la ramasse. En rentrant de stage, ça n’allait toujours pas malgré quatre jours de coupure. Je me battais pour rester dans le peloton sur le Circuit des Plages Vendéennes, et j’ai dû couper trois semaines… Ca m’a mis un coup au moral car j’avais tout mis en oeuvre pour bien attaquer la saison sur les Classiques bretonnes. J’ai dû attendre le mois de mai pour vraiment enchaîner les courses. Pendant le printemps, j’ai dû ronger mon frein et me contenter de regarder les résultats sur DirectVelo. Heureusement, ça ne m’a pas paru si long, grâce notamment aux études, qui me prenaient du temps aussi… Si je ne faisais que du vélo et que j’étais resté enfermé chez moi à ne rien faire, ça aurait sans doute été plus difficile.

Avec le recul, peux-tu tirer du positif de cette mauvaise expérience ?
C’est sûr qu’au niveau mental, c’est bien de passer par ce type de moments. Une fois que ça va mieux, on pense à ces moments difficiles. Ca sert toujours, pour le vélo comme dans la vie en règle générale. Sur le vélo, je suis redevenu compétitif sur le Tour Nivernais Morvan où j’ai fait plusieurs places. J’en suis ressorti avec de la confiance et j’ai même pu faire partie de la sélection de Sojasun pour le Championnat de France Elites. J’étais bien sur l’Agglo Tour également, même si j’espérais mieux du Championnat de France Espoirs peu de temps après. J’ai eu plus de bas que de hauts, mais il faut repartir de l’avant.

Tu as sans doute le sentiment d’avoir perdu pratiquement une année…
C’est un peu ça, oui. En plus, je faisais partie des coureurs susceptibles de rejoindre la Continental FDJ, comme j’étais suivi par la fondation. C’est un beau projet et j’y croyais. J’aurais bien aimé faire partie de cette bande là en 2019, avec tous les copains qui rejoignent l’équipe... Il y avait une bonne ambiance lors des stages et ça aurait été top de retrouver le groupe chez les pros… Mais en toute honnêteté, en terme de résultats, je n’avais pas le niveau cette année pour y aller. C’est la vie.

« JE VOULAIS ME METTRE UN COUP DE PIED AU CUL »

Tu as tout de même décidé de changer d’environnement en 2019 puisque tu vas rejoindre le VCP Loudéac, réserve de la Vital Concept…
J’avais besoin d’un vrai nouveau départ, total. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai aussi changé d’entraîneur, même si je tiens à remercier Nicolas Boisson pour tout le travail que nous avons réalisé ensemble. Il me fallait un nouveau cycle après deux ans dans la structure de Stéphane Heulot, qui m’a beaucoup appris comme les coureurs expérimentés de Sojasun. Cela m’a mis sur de bons rails pour la suite. J’aurais pu continuer chez Sojasun mais j’étais presque dans une zone de confort là-bas et il fallait, je pense, en sortir. Cela va me faire du bien. Je voulais me mettre un coup de pied au cul.

Jérôme Pineau, le manager de Vital Concept, a insisté sur le fait qu’il fallait porter le maillot du VCP Loudéac pour espérer passer pro dans la structure bretonne par la suite : cela a-t-il facilité ton choix ?
Disons que ça compte. L’équipe pro regarde nos résultats et on sait qu’il y a des places à aller chercher si on fait une belle saison. On voit de plus en plus d’équipes amateurs devenir réserves d’équipes pros et je pense qu’il vaut mieux passer par là. Sinon, c’est plus compliqué. Je prends l’exemple de Willy Artus, mon coéquipier chez Sojasun, qui méritait largement de passer pro selon moi. Mais il ne courait pas dans une réserve. Et à moins de faire une saison énorme à la Emmanuel Morin, en gagnant trois Classiques bretonnes, on n’a quasi aucune chance de rejoindre les pros.

Inversement, n’as-tu pas l’impression, dès tes 20 ans, de te dire que pour passer pro, ce sera donc la Vital Concept ou rien ?
J’ai un peu ce sentiment-là, oui, et j’avoue que ça fait drôle… Mais après tout, c’est le système qui se dégage et je comprends l’idée : les équipes ne veulent pas se faire piquer de coureurs alors chacune essaie d’assurer ses arrières avec sa réserve. C’est une façon de se mettre en sécurité. Cela dit, ça ne me fait pas forcément peur. Le plus dur, c’est plutôt de ne pas se marcher dessus dans l’équipe, car il y aura de la concurrence. Mais il faut que ce soit de la bonne concurrence et je ne doute pas une seconde du fait que ça fonctionne bien.



« LE PROJET EST SOLIDE »

Mais tes coéquipiers vont aussi devenir tes principaux rivaux, en quelque sorte, en vue d’un éventuel passage professionnel…
(Rires). Il y a de ça, oui, mais il faut faire avec. Ce n’est pas forcément un problème. En plus, l’équipe pro ne va pas se contenter de comparer le nombre de victoires à la fin de la saison. Ils vont regarder quels sont les coureurs qui travaillent le plus, qui sont prêts à se sacrifier pour le collectif etc. Tout cela est important. Il ne faut pas trop calculer. Il faut faire au mieux pour soi comme pour l’équipe. Il y a un équilibre à trouver : savoir travailler pour les autres quand on est soi-même un peu moins bien, mais aussi être capable de saisir les opportunités lorsqu’elles se présenteront. Et les meilleurs seront forcément récompensés à la fin.

Est-ce avant tout excitant ou stressant de débuter une nouvelle aventure ?
C’est beaucoup de plaisir et c’est excitant de faire partie d’un projet en plein essor. J’ai hâte d’y être et de voir ce que je vais pouvoir faire à Loudéac. J’espère m’inscrire dans un projet à long terme, avec en tête la Vital Concept, bien sûr. On voit que le projet est solide, avec l’arrivée d’un nouveau gros sponsor. Jérôme Pineau est en train de bâtir un très beau projet : on le voit avec les nouvelles recrues. J’espère qu’ils feront le Tour de France, en 2019, et que ça continuera de prendre de l’ampleur.

Les équipes réserves sont majoritairement composées de jeunes espoirs qui désirent passer professionnels. Chez Sojasun, tu as aussi pu t’appuyer sur des coureurs d’expérience, des anciens pros… C’est important ?
Je pense qu’il faut un équilibre. Il y avait un bon mélange entre la jeunesse et des coureurs avec plus de vécu. J’ai beaucoup appris au côté de coureurs comme Maxime (Renault), Julien (Guay) ou Tony (Hurel). Ils ont la passion du vélo et ils savent la transmettre. Tony revenait de nombreuses années chez les pros. Il a fait des Grands Tours. Il était très simple et avenant, et j’ai énormément appris grâce à lui. Tout cela mixé à la science de Stéphane Heulot m’a beaucoup aidé.

« LE SENTIMENT D’ÊTRE COUVÉ »

Et ce n’est pas difficile de se faire une place dans un collectif dont on est le plus jeune coureur ?
Pas du tout car les “anciens” n’étaient pas là pour prendre la place des jeunes mais uniquement pour les aider. Julien et Maxime étaient là pour nous apprendre le métier, pour nous faire prendre les bonnes décisions en course. J’ai eu le sentiment d’être couvé par ces coureurs qui savent prendre des décisions.

Tu considères donc qu’il faut, dans n’importe quel collectif, au moins un ou deux capitaines de route pour former les jeunes ?
Oui, c’est vraiment important car ça répond à certaines interrogations des jeunes qui arrivent en Espoir. On a besoin de repères quand on arrive en Elites. Lorsque tu débarques des Juniors et que tu avais l’habitude d’être devant tous les week-ends, tu n’es pas forcément prêt à encaisser les coups chez les Élites… Il faut des personnes qui ont vécu ça préalablement et qui peuvent nous rassurer. On voit d’ailleurs que le VCP Loudéac a décidé de prendre deux capitaines de route pour la saison 2019 (Thomas Girard et Julien Guay, NDLR) et c’est une très bonne chose. Cela dit, tout le monde ne peut pas devenir capitaine de route. Ce n’est pas qu’une histoire d’âge et de vécu. Il faut des coureurs qui sachent transmettre leur expérience, et qui en ont envie, tout simplement. C’est la base.

Tu parlais à l’instant des Juniors : que te reste-t-il aujourd’hui de tes succès sur la Classique des Alpes ou au Championnat d’Europe, à Plumelec ?
C’était de super bons moments que je n’oublierai jamais. Je garde surtout de cette époque de bons copains. J’ai fêté mon anniversaire le week-end dernier et il y avait Mathieu Burgaudeau, Emilien Jeannière, Quentin Fournier, Valentin Ferron… Pour ne citer qu’eux. Et pourtant, nous n’avons jamais été dans les mêmes clubs. Mais ce sont devenus de bons copains.

« IL FAUT TOUJOURS SE REMETTRE EN QUESTION »

A quoi aspirais-tu à ta sortie des Juniors ?
J’ai toujours eu les pieds sur terre. Je ne suis pas un rêveur. Par exemple, je savais dès le mois de mai que je n’allais pas courir à la Conti FDJ en 2019. Je ne me suis jamais dit : “j’ai été Champion d’Europe, c’est bon je vais signer chez Sky !”. En même temps, mes proches ont toujours été là pour m’encourager à travailler et me faire remarquer que rien n’est acquis. Ce n’est pas parce qu’on est tout en-haut qu’on va y rester. Il faut toujours se remettre en question, même s’il faut aussi prendre le temps de savourer les belles victoires.

Qu’est-ce qui a changé en deux ans, depuis ton arrivée chez les Espoirs ?
Je sais ce que je ne suis pas. J’ai compris que je ne serai pas bon en chrono (rires). Je connais mes lacunes de façon plus nette qu’il y a deux ans. Mais j’ai encore beaucoup à apprendre et il y a toujours des inconnues. Je n’ai pas eu beaucoup d’occasions de me tester sur les sprints, alors que j’en gagnais chez les Juniors, notamment à l’international, en Autriche. Peut-être que je suis encore capable de gagner des sprints de 30 coureurs… Je ne sais pas, mais j’ai envie de retravailler ce domaine-là.

Tu espères avoir un maximum de réponses d’ici deux ans ?
Oui, voilà. Je repars sur un cycle d’au moins deux ans maintenant. Je ne changerai pas de club fin 2019, ce n’est pas le but. Je vais travailler dur et m’impliquer à fond dans ce nouveau projet, en espérant que ça se finisse pas un passage chez Vital Concept.

  

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