La Grande Interview : Issiaka Cissé

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Issiaka Cissé n’a qu’une obsession : passer professionnel. Alors qu’il fêtera ses 27 ans l'automne prochain, l’Ivoirien sait que la tâche s’annonce de plus en plus difficile. En attendant un coup de fil, le coureur du Team Cycliste Azuréen essaie d’obtenir des résultats pendant son séjour en France. Après avoir pris la 2e place du Grand Prix de Charvieu-Chavagneux le 14 juillet (lire ici), le coureur originaire de Bouaké (au nord du pays) s’est classé ce mercredi 3e de la Route d’Or du Poitou à Civray, une autre épreuve Elite Nationale. “Il a du mal à gagner s’il arrive avec quelqu’un”, regrette pour lui Jean-Jacques Henry, son ancien entraîneur au Centre Mondial du Cyclisme, de 2012 à 2014. Pour le Breton, celui qui se définit comme un puncheur a sa place en Continental. “Mais c’est plus compliqué pour un Africain. S’il était français, il serait déjà passé pro”, assure Henry.

DirectVelo : Comment se retrouve-t-on au Team Cycliste Azuréen, en DN2, quand on est Ivoirien ?
Issiaka Cissé : Grâce à un coureur de l’équipe de la Défense, Vincent Graczyk. Chaque année, il dispute plusieurs courses en Afrique. Nous nous sommes connus en 2010. Il a parlé de moi à Nice. Il m’a dit que courir ici pouvait m’aider à me faire voir. Je suis arrivé en 2016. Ca se passe bien même si le budget du club n’est pas très important. Je dispute des belles courses du calendrier français. Je fais des résultats mais je n’ai toujours pas de contacts pour aller plus haut.

Comment le vis-tu ?
Parfois, je pète les plombs quand je vois chez les pros certains coureurs du Centre Mondial ou d’autres gars avec qui j’ai couru, alors que j’étais meilleur qu’eux à l’époque. Comment ça se fait ? Il ne faut pas trop réfléchir. Mais en fin de saison, je me pose souvent la question quand je fais des demandes auprès des équipes pros et que je n’ai pas de retour.

« DIMENSION DATA, ÇA M'ÉNERVE »

C’est plus difficile pour un africain de passer pro ?
Oui, on ne sort pas beaucoup d’Afrique. Nous courons surtout des épreuves de Classe 2. Moi, je contacte chaque année les équipes pros. Il y a quelques discussions mais rien ne se réalise.

On dit souvent que Dimension Data est une équipe WorldTour africaine…
Oui, mais quand on me dit ça, je réponds : “Non, ce n’est pas une équipe africaine.” Il y a quelques coureurs du continent mais ça serait mieux s’ils avaient une moitié d’Africains dans leur effectif (En réalité, il y a 13 Africains sur 27 : neuf Sud-Africains et quatre Erythréens, NDLR). Pourquoi ne pas prendre un coureur de chaque pays africain si ça se justifie sportivement ? Ca montrerait que le cyclisme africain peut évoluer. Eux, ils ne regardent que l'Erythrée… Oui, les Erythréens sont forts mais il y a des cyclistes dans d’autres pays. En Côte d’Ivoire, nous avons deux-trois coureurs capables de gagner des bonnes courses.

C’est agaçant pour toi qu’on dise donc ça de Dimension Data ?
Oui, ça m'énerve. J’ai déjà eu des contacts avec Jean-Pierre van Zyl, le directeur sportif du Centre du cyclisme en Afrique du Sud. Il collabore bien avec Dimension Data. Plusieurs coureurs, qui ont bossé avec lui, ont rejoint l’équipe. Mais ça ne s’est pas fait avec moi. Je me demande souvent pourquoi. Peut-être car Dimension Data prend simplement des Africains pour son image. Ils en profitent. Même sans être un champion à la base, tu peux vite progresser quand tu intègres ce type d’équipe. Mais voilà, ils prennent que des Erythréens et comme ça les gens disent, ils engagent des Africains.

DE MÉCANICIEN AU VÉLO D’ACROBATIE

Comment t’es-tu retrouvé à faire du vélo ?
Avant de faire du vélo, je faisais de la mécanique automobile. J’ai économisé pour m’acheter un vélo. En me baladant, j’ai vu un groupe qui faisait des acrobaties avec leur vélo. J’ai commencé ainsi… J’aimais leur manière de se comporter. On sentait qu’ils se faisaient plaisir. Je me suis engagé avec eux. L’entraîneur était un ancien coureur sur route. Il m’a montré ce qu’il avait fait dans sa “carrière”. J’ai fait du vélo d’acrobatie pendant un ou deux ans, puis j’ai fait de la route.. J’avais 18-19 ans quand j’ai commencé sérieusement. Quand les sorties ont commencé à être plus longues, j’ai trouvé ça génial. L’entraîneur a trouvé un club à trois autres coureurs et à moi.

Puis tu as vite rejoint le Centre Mondial...
Tout d’abord, je me suis retrouvé très vite avec l’équipe nationale de Côte d’Ivoire. Quatre ans après mes débuts, je suis rentré au Centre Mondial, en 2012. Le CMC regardait de près les résultats des coureurs des pays africains qui n’ont pas de moyens. Et ils ont vu que j’étais pas mal. Ils ont contacté notre encadrant et je suis parti en Suisse.

Tout n’a pas été simple au début...
En 2010, je suis resté un an complet sans toucher au vélo, à cause de la guerre civile en Côte d’Ivoire. Il fallait se protéger, se cacher… Je n’allais pas faire de vélo (sourires). Un an plus tard, je suis arrivé au CMC. J’ai progressé rapidement mais le niveau était élevé. Ca allait mieux la deuxième année !

« ILS ONT COMPRIS QUE JE FAISAIS DU VÉLO CORRECTEMENT »

Les coureurs du Centre Mondial sont parfois moqués par les Européens. As-tu connu ça ?
Lors de ma première année, j’ai eu des cas de racisme. Au début, je ne disais rien. Un jour, j’en ai parlé à Jean-Jacques (Henry). Il était très énervé. Il m’a dit “Mais pourquoi tu ne m’en as pas parlé avant ?”. Une fois ou deux, j’ai failli porter la main sur un coureur. Trop c’est trop. On se foutait de moi… Un jour, je finis dans le Top 10 d’une course en Suisse. Je suis parti vers l’arrivée pour attendre un coureur qui s’était moqué de moi. J’ai voulu le frapper. Un autre coureur m’a dit de ne pas le faire. Je lui ai dit : “Tu t’es foutu de moi mais je finis devant toi.” Il m’a dit : “Mais non mais j’avais le sang chaud pendant la course”. Je lui ai dit d’apprendre à se contrôler. Je n’entends plus rien aujourd’hui. Je me suis fait des amis. J’ai eu des résultats. Ils ont compris que je faisais du vélo correctement.

En 2014, il a fallu quitter le Centre Mondial…
L’ambiance était bonne entre nous. On vivait ensemble, on s’entraînait ensemble. C’était franchement génial. Ce fut une belle expérience. Quand je suis parti, je pensais trouver une équipe professionnelle. Ca ne s’est pas fait. Je ne sais pas vraiment l’expliquer. J’avais fait des bons résultats, surtout en 2013 (7e de la Tropicale Anissa Bongo, 1er du Tour du Faso et de deux étapes du GP Chantal Biya, NDLR). J’avais disputé le Tour de l’Avenir (33e du général) et des belles courses.

Es-tu aidé par la fédération ivoirienne ?
Ils m’aident pour mes déplacements en Europe, afin que je rentre en forme et que je gagne des courses pour la Nation. Je n’ai pas de partenaire. Tout se fait avec la fédération.

MOINS CONNU QUE DIDIER DROGBA

Tu es connu en Côte d’Ivoire ?
Pas trop.

Moins que le footballeur Didier Drogba ?
Ah, c’est sûr que c’est incomparable avec le football ! (rires) En Afrique, je suis plus connu dans les autres pays qu’en Côte d’Ivoire. On me connaît plus au Maroc, au Gabon, au Rwanda, au Cameroun.

Comment l’expliques-tu ?
Chez nous, le football est le sport numéro 1. Les médias sont tous axés sur le foot. Il manque des gens pour “lancer” le cyclisme et montrer que d’autres sports existent. A part le foot, il y a l'athlétisme, le taekwondo et le judo. Nous, on vient après mais ce n’est pas vraiment ça.

Et ta famille te suit ?
Mes parents sont très âgés. J’ai plusieurs frères et soeurs. Nous sommes quatorze ! Mon père avait deux femmes. Je suis le plus jeune de la famille. Ils savent que je fais du vélo. Ils m’encouragent. Je suis le seul à faire du vélo. J’ai commencé par le foot mais avec le début de la crise, en 2000, on ne pouvait rien faire. Mes frères ont fait du foot avant d’arrêter. Je n’ai pas essayé de les motiver à faire du vélo. C’est un sport très dur !

Toi, qu’est-ce qui te plaît dans le vélo ?
J’aime être dans les échappées. C’est motivant. ça donne envie d’en faire plus, d’aller chercher la victoire. Mais c’est bien aussi de rester dans le peloton pour économiser des forces, hein. (sourires) Il ne faut pas tout le temps aller dans les échappées sinon tu es mort !

« ÇA ME PLAIT DE COURIR EN FRANCE »

Tu espères toujours passer pro ?
J’espère mais mon âge avance. J’ai bientôt 27 ans (Il est né le 20 septembre 1991, NDLR). Passer pro sera dur mais j’accepte même une équipe Continental ! Je veux courir avec les pros. J’ai disputé plusieurs fois la Tropicale et je m’en suis toujours bien sorti. J’ai terminé dans le Top 10 au général. C’est plutôt bien.

Tu t’imagines continuer longtemps dans ces conditions ?
Je ne sais pas. Je suis bien ici mais il faut gagner des sous quand même. Je suis nourri par mon club, logé et je n’ai pas de soucis au niveau matériel, mais je n’ai pas d'argent. Aller dans un autre club français qui me donnerait quelque chose ? Si ça les intéresse, pourquoi pas… Ca me plait de courir en France.

L’an passé, en début de saison, tu avais été leader du Challenge BBB-DirectVelo... (lire ici)
Je n’avais pas pu obtenir de visa, en août, donc je n’avais pas pu courir et marquer des points. Puis j’ai eu un accident. J’ai été percuté par une voiture en août. J’ai été blessé au pied, je ne pouvais pas pédaler ! Puis un mois plus tard, avant le Tour du Faso, je me suis fracturé le coude. Je n’ai pas fait de vélo pendant plusieurs mois. J’ai repris qu’en avril. Je suis revenu à Nice où ça se passe bien actuellement.

Quelles sont tes envies d’ici la fin de saison ?
J’espère gagner une course Elite. Je dois rentrer en septembre car mon visa expire. En Afrique, je vais disputer des compétitions comme le Tour de Côte d’Ivoire. J’ai envie de bien y figurer. Il y aura aussi le GP Chantal Biya, au Cameroun. Je vais ensuite vite couper puis bien préparer la saison 2019, avec le souhait de bien faire à la Tropicale au Gabon. J’ai envie d’être une fois sur le podium là-bas.

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