Les mythiques de la Mavic - US Créteil : Les années bonheur

Crédit photo Jean-Marie Letailleur - www.memoire-du-cyclisme.eu

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De 1978 à 1998, la société MAVIC (Manufacture d’articles vélocipédiques Idoux-Chanel) a patronné la Coupe de France des clubs amateurs lancée par les Amis du Tour de France . Le classement est par équipes. Au début, les clubs marquent des points sur les épreuves nationales et internationales (classiques et courses par étapes) du calendrier. En 1981, 122 épreuves sont prises en compte. Les coureurs sélectionnés en équipe de France rapportent des points à leur club, en compensation du “manque à gagner”. En 1992, le calendrier est réduit à 18 courses, puis 12 l’année suivante. A partir de 1999, la Coupe de France MAVIC laisse place aux Championnat de France DN1, DN2, DN3, puis, de nouveau, à la Coupe de France DN1 et DN1 espoirs à partir de 2003.

L'US Créteil, c'est un club qui a réussi à réunir Greg Lemond, Laurent Fignon, Paris, la Bretagne, la télé couleur, les Louis d'Or, François Mitterrand, la piste, la route, le cyclo-cross, des Polonais, tout ça dans un F6. Surtout, tout ça grâce à l'amour pour le vélo du maire de la ville, Monsieur Laurent Cathala. "Il était très investi dans le vélo. Il faisait des sorties de récup' avec nous. On roulait 1h 1/4 en Seine-et-Marne et on s'arrêtait boire un café et manger un pain au chocolat", se souvient Pascal Lino.

Elu en 1977, à 32 ans, il aime le vélo et le pratique. Après une absence en 1ère catégorie en 1979, le nouveau maire soutient le Président du club, Monsieur Dupré, pour remonter une équipe première pour la saison 1980.

CARTE BLANCHE À ROBERT OUBRON


Le maire va s'entourer de soutiens actifs et efficaces. "Nous étions équipés de cycles Lejeune. Ils ne finançaient plus d'équipes pros et étaient des amis de Laurent Cathala. Nous avions du matériel haut de gamme ainsi qu'une partie des deuxième catégorie", se souvient Philippe Saudé, arrivé au club en 1982. Les frères Lejeune équipaient déjà l'US Créteil à la période faste des années 60, celle de Claude et Bernard Guyot (ce dernier, vainqueur de la Course de la Paix 1966) et du tandem Trentin-Morelon sur la piste. La marque aux vélos rouges à douille bleue peut compter sur le réservoir de clubs parisiens qu'elle patronne pour recruter de jeunes talents du cru. Parmi ces clubs, la Pédale Combs-la-Villaise du Champion d'Ile-de-France Juniors 1978 qui rejoint l'US Créteil en 1981 après son service militaire : Laurent Fignon.

Laurent Cathala a aussi un "conseiller spécial" qui connait très bien le cyclisme amateur et à qui il donne carte blanche : Robert Oubron. Il a été le premier entraîneur national des Amateurs désigné par la FFC en 1959. Après près de 25 ans à la tête de l'équipe de France, il en connait du monde et il est très connu.
"A la Course de la Paix, sa photo était partout sur le livre de route. On l'appelait "Le Papy". C'était la bonne personne à aller voir quand on avait un souci", se souvient affectueusement Philippe Saudé. Dans les années 40, Robert Oubron était le meilleur cyclo-crossman français, dans son maillot bleu à pois blancs. Logique dès lors, de voir Créteil organiser un grand cyclo-cross sur la base de loisirs qui sert même de finale au Challenge National.

SEMI PRO

Philippe Saudé -notre photo- a été recruté par Robert Oubron, à la fin de la saison 1981. Le sociétaire du VC Reims, 2e de la Coupe de France Mavic, se fait remarquer par une 4e place sur Créteil-Reims organisé par l'US Créteil au mois de juillet. "
On s'était bataillé avec Laurent Fignon (2e). Oubron m'a engagé avec un contrat à mi-temps au service des sports", indique celui qui s'occupe, aujourd'hui encore des scolaires pour la mairie de Créteil. "Tout le monde n'avait pas un contrat. Laurent Fignon en a bénéficié lui aussi. On était semi-pro". Il y avait de quoi mettre un peu de beurre dans les épinards. D'ailleurs, les coureurs de l'US Créteil pouvaient aller manger le midi à l'Hôtel de Ville.

Titulaire de l'équipe de France de poursuite par équipes pendant son passage à Créteil, Pascal Lino bénéficiait d'un "supplément" : "
j’ai signé un contrat avec la fédé. Je touchais une bourse olympique et en échange je ne passais pas pro avant les Jeux de 1988. En plus de cette bourse, je touchais un fixe de l’US Créteil de 450 euros par mois. Mais à chaque gagne, on ne touchait pas de prime mais un bonus de 45 euros sur le fixe mensuel. A la fin, je gagnais plus que pendant ma première année pro !", révèle le 4e de la poursuite olympique à Séoul.

BRUNO ROUSSEL REND LE CLUB ATTRAYANT

Le Breton Pascal Lino a pris un chemin plus fédéral pour arriver à l'US Créteil en 1987. "
Je sortais du Bataillon de Joinville. L’US Créteil était dirigé par Bruno Roussel. J’étais sous la coupe des Roussel [Ange le père, CTR de Bretagne et Bruno le fils, deux éducateurs, NDLR]. Il n’y avait pas de grands clubs bretons comme aujourd’hui. On s’exilait alors en région parisienne. Les belles courses étaient en région parisienne. Les clubs parisiens, c’étaient les DN de maintenant" explique-t-il aujourd'hui à DirectVelo.

L'US Créteil à l'époque, c'est un peu les "Bretons de Paris". "
J’ai choisi l’US Créteil à cause de Bruno Roussel. Hervé Dagorne y était déjà. Il y avait aussi mon pote Jean-François Morio, un autre Breton. La présence de Bruno rendait le club attrayant".

L'APPARTEMENT AU COEUR DU CLUB

Bruno Roussel quitte le club pour rejoindre Paul Koechli chez les pros en 1990, Yvon Sanquer, un Breton de Seine-et-Marne, lui succède. De nouveaux Bretons montent à Paris pour porter le maillot devenu jaune fluo et bleu depuis 1988. Jean-François Bresset, Sylvain Briand, Stéphane Cueff, Claude Lamour et Fanch Urien deviennent Cristoliens. En 1995, Cueff et Lamour passent pros chez la Mutuelle de Seine-et-Marne, équipe promotionnelle (1) issue de l'US Créteil et dirigée par Yvon Sanquer.

Il n'y a pas que des Bretons à l'US Créteil. Dominique Bozzi, le Corse, est au club avant de passer pro en 1995 et des Russes affluent en 1992. "
A mon époque, il y avait des Polonais, des coureurs de partout. Nous étions logés dans un F6", se souvient Philippe Saudé. Cet appartement en face le CHU Henri Mondor de Créteil, c'est même le coeur de l'équipe pour Pascal Lino. "Bruno Gayant y était à l'année. Les autres coureurs bretons y habitaient aussi. Je n'y étais pas en permanence. Je venais de me mettre en ménage avec ma future femme, à Saumur. J'y retournais quand je n'avais pas de compétition".

LA TÉLÉ COULEURS DE LEMOND

On vient aussi des Etats-Unis pour courir à Créteil. Jacques Boyer y arrive en 1977 après un détour par l'ACBB. Mais en 1980, c'est le Champion du Monde Juniors en titre qui débarque dans le Val-de-Marne : Greg LeMond vient courir quelques semaines en France. Le club met les petits plats dans les grands. "Il voulait une télévision couleurs", se souvient un des membres de l'encadrement. A l'époque, TF1 émet encore en noir et blanc dans certaines régions.

Francis Moreau, le Picard monte à Créteil en 1986, un an après Claude Chérod arrivé du Poitou-Charentes. Ce dernier gagne le critérium des Louis d'or, organisé par le club patronné par le Crédit Lyonnais.
"Il y avait cinq Louis d'or en primes. J'en ai gagné quatre mais j'ai partagé", précise celui qui est coordinateur au club val de marnais aujourd'hui.

« MES PLUS BELLES ANNÉES DE VÉLO »

Les Cristoliens jouent aussi à domicile sur le Grand Prix du Conseil Général du Val-de-Marne. L'étape en ligne se termine en bosse au sommet du Mont Mesly, en plein coeur de Créteil. Francis Moreau, déjà vainqueur d'une étape du Tour des Régions Italiennes au printemps 1986, s'adjuge le contre-la-montre sur le M.I.N. de Rungis mais échoue au général face à Johnny Weltz de Dammarie-lès-Lys. En 1987, Pascal Lino fait coup double : chrono et général.

Le Morbihannais n'a jamais ressenti la pression du résultat sous le maillot bleu pâle et blanc. "
Le seul jour où il ne fallait pas se louper, c’était quand l’US Créteil organisait. Pour moi, les années Créteil, ce sont les années vélo bonheur, vélo plaisir. Il y avait une super ambiance au sein du club. Ce sont mes deux plus belles années de vélo en terme de plaisir. Et puis, on était jeune", se remémore-t-il.

LA MAVIC EN 1995

Même sans pression, les résultats sont là. Dès la première année de la Mavic, en 1978, l'US Créteil est le dauphin de l'ACBB, avec parmi ses coureurs l'Anglais Parker, Loubé Blagojevic, Pierre Aubernon et Edgar Chollier. En 1981, Laurent Fignon multiplie les sélections en équipe de France. En 1993, les Cristoliens deviennent Champions de France du contre-la-montre par équipes. Deux ans plus tard, l'équipe des Dominique Péré, Gilles Pauchard, Olivier Perraudeau, Jacques Landry, Robert Harris remporte enfin, la Coupe de France Mavic, disputée sur neuf manches. A son arrivée en 1986, Bruno Roussel visait la victoire à la Mavic au bout de trois ans. "Je crois, avec le recul, que c'était surtout un challenge personnel qui ne correspondait vraisemblablement pas avec les possibilités des coureurs dont je disposais", reconnaît en 1988 l'éducateur breton auprès de Noël Nilly. (2)

En 1982, le club dirigé par Michel Frainais échoue à la 2e place, derrière l'UC Pélussin. Philippe Saudé, Bruno Georges, Eric Rekkas et la petite quinzaine de co-équipiers ont préparé la saison à la neige et au soleil. "
L'hiver, on partait pour un stage de ski de fond", rappelle le 2e de Paris-Connerré 1981. En février il gagne une course du côté de Toulon. Il affiche ses intentions dans la presse : "Mon ambition est d'être retenu pour la Course de la Paix". Aujourd'hui, il ajoute auprès de DirectVelo : "la Course de la Paix, personne ne voulait y aller alors que c'était la plus grande course du monde". Pour convaincre Michel Nédélec, qui a remplacé Robert Oubron à la tête de l'équipe de France Amateurs, Philippe Saudé gagne aux Trois Jours de Vendée, assiste au match URSS-RDA sur le Tour du Loir-et-Cher et gagne encore une étape au Tour de l'Essonne. Le dernier jour de la Paix il remporte l'étape de Berlin (classé ex-aequo avec le Roumain Romascanu). C'est la première victoire française depuis 1977 et celle de Jacky Hardy.

« LE GARS QUI GAGNAIT PARIS-TROYES PASSAIT PRO »

Courir à l'US Créteil, c'était aussi affronter tous les dimanches les clubs parisiens sur les classiques parisiennes. "Il y avait une rivalité. En plus, ils avaient souvent les plus gros effectifs. Il fallait se baser sur les coureurs qui marchaient. Si deux coureurs de l’ACBB sortaient, il fallait deux de l’US Créteil dans l’échappée. Le gars qui gagnait Paris-Troyes ou Paris-Ezy passait pro", décrit Pascal Lino. "Et tu avais un papier dans L'Equipe le lendemain", renchérit Philippe Saudé qui précise la tactique de l'US Créteil sur ces courses : "il y avait beaucoup de bons coureurs, pas un seul leader. On faisait en fonction des qualités de chacun. Il y avait des coureurs protégés mais pas de leader unique comme sur les courses à étapes".

Cette émulation perpétuelle profite aux coureurs. "
Créteil m'a apporté la confrontation avec l'élite tous les week-ends avec un niveau très relevé. Cette période m'a aussi permis aussi de quitter le giron familial, de me prendre en mains. Tout ça m'a préparé à la vie dans une équipe pro", apprécie Pascal Lino. Dès son premier mois de compétition en 1989, le néo-pro de RMO, une classe folle sur le vélo, sort du peloton du Critérium International pour s'imposer en finisseur.

BRUNO ROUSSEL PENSE À L'APRÈS-CARRIÈRE

Le maire, Laurent Cathala ne s'arrête pas aux résultats de ses coureurs. Avec Bruno Roussel, ils pensent aussi à l'après-carrière. "
Je trouve que renvoyer "démuni" dans sa province un garçon de 24 ou 25 ans qui n'a pas réussi à devenir professionnel ne devrait plus exister. Il est de notre devoir de les aider à s'insérer dans la vie en leur donnant une chance", juge le directeur sportif en 1988. Ainsi, Claude Chérod effectue un stage de mécanicien en Suisse chez Helvetia et est aujourd'hui mécano de l'équipe de France sur piste. En 1989, la moitié de l'équipe s'engage à suivre une formation professionnelle.

Depuis sa création en 1938, la section cycliste de l'US Créteil a toujours connu des hauts et des bas. Il faut attendre 1943 pour voir le club émerger parmi la multitude de clubs parisiens. Grâce à Paul Husson et Maurice Diot, les prix d'équipes s'accumulent dans les interclubs. Marcel Mouton, le directeur sportif de l'Etoile Sportive du Parc Saint-Maur, la ville voisine, traverse la Marne et prend les rennes du club cristolien pendant vingt ans. Fin 1943, un coureur de l'AC 18e rejoint aussi l'US Créteil : c'est le père de Pierre Trentin qui rapportera des titres olympiques et des maillots arc-en-ciel à son club.


ARC-EN-CIEL SUR LA PISTE

Les maillots fluo et bleu quittent la division nationale à la fin de 2007, après une dernière saison en DN2. En revanche, le club continue d'être très actif sur la piste. Après Morelon et Trentin, Philippe Vernet, Fabrice Colas, Grégory Baugé, Michaël D'Almeida, Mathilde Gros ont rapporté des maillots arc-en-ciel dans la préfecture du Val-de-Marne.

A Créteil, Laurent Cathala sait récompenser ses coureurs. "
La ville de Créteil était jumelée avec une ville en Guadeloupe. Pour nous remercier de notre saison 1987, le maire de Créteil nous y a envoyés, pendant huit jours, avec 2 critériums au programme. En 1988, le Conseil Général du 94 a offert un voyage à Cuba à tous les Cristoliens  qui avaient participé aux JO", nous dit Pascal Lino.

LINO AU PAYS DE MITTERRAND

1988, c'est aussi une année d'élection présidentielle. Laurent Cathala, élu à Créteil dans la vague rose de 1977, soutient François Mitterrand. Le médaillé de bronze du Championnat du Monde de course aux points 87 raconte la suite : "Le maire nous a demandé d’être sur la liste de soutien de François Mitterrand. On s’en foutait un peu mais comme Créteil nous payait, on a dit oui. On est allé à une réunion sur Paris. Cathala nous a fait rencontrer Mitterrand. Il lui dit “Je suis venu avec mes cyclistes et il m’a présenté : “Pascal Lino, vainqueur du Tour Nivernais Morvan, vainqueur à Château-Chinon.” “Château-Chinon, mais c’est chez moi !” répond Mitterand (2). C’était vraiment une bonne époque..."

Pascal Lino reste très attaché à l'US Créteil. "
J'ai quitté le club il y a trente ans mais je reçois tous les mois le bulletin des associations de Créteil".

(1) En 1994, bien avant les équipes de troisième division de l'UCI, la Ligue de Cyclisme lance les équipes promotionnelles issues de clubs amateurs : Aubervilliers 93-Peugeot et Catavana-AS Corbeil Essonnes-Cedico.
(2) Ile-de-France cycliste du 23 décembre 1988
(3) François Mitterrand a été maire de Château-Chinon de 1959 à 1981. Pendant cette période, la ville a reçu deux fois le Championnat de France professionnel et des étapes de Paris-Nice.

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