La Grande Interview : Romain Seigle

Crédit photo Julie Desanlis

Crédit photo Julie Desanlis

Tout va très vite pour Romain Seigle. Alors que l'Isérois n'a décidé de se consacrer au cyclisme sur route qu'en 2016 en rejoignant le CC Etupes, le natif de Vienne - qui vient de fêter ses 23 ans ce mercredi - a décroché son premier contrat professionnel. Il sera néo-pro au sein de la FDJ, qui le suivait depuis trois ans, pour les deux prochaines saisons. « En une seule année, j'ai été capable de faire un gros bond en avant alors c'est encourageant. Je peux encore beaucoup progresser », se réjouit celui qui se dit adepte de ski de fond et de trial durant la période hivernale. Champion d'Europe de VTT et vice-Champion de France de cyclo-cross dans la catégorie Juniors, Romain Seigle marche, peut-être, sur les traces de Jean-Christophe Péraud ou d'Alexis Vuillermoz, lesquels excellaient en cross-country avant de se faire une place de choix sur la route. « Maintenant, les équipes savent que les mecs qui marchent en VTT ont aussi des chances de marcher sur la route ». 

DirectVelo : Avec ce contrat professionnel de deux ans à la FDJ, on peut définitivement parler de toi comme d'un "vrai routier" ?
Romain Seigle : Oui, on peut le dire comme ça. C'est sûr qu'en passant pro, je deviens vraiment un coureur sur route et j'atteins mon objectif. Lorsque j’ai rejoint le CC Etupes, en 2016, je m'étais mis en tête d'essayer de passer professionnel sur la route, c'est chose faite. Je ne peux être que satisfait même si j’espère que l’histoire ne fait que commencer.

Jusqu'à peu pourtant, tu étais surtout un vététiste ou un crossman dans l'esprit des gens...
J'ai touché à tout depuis petit. J'ai quasiment toujours fait du VTT et de la route en même temps, avec aussi du cross l'hiver. C'est le cas depuis que j'ai attaqué le cyclisme en Benjamins, après avoir d'abord fait du rugby pendant une petite année. Au début, je marchais mieux en cyclo-cross (2e d'un Championnat de France Juniors, 3e d'un Championnat d'Europe derrière Mathieu Van der Poel et Quentin Jauregui ou encore 3e d'une Coupe de France Espoirs, NDLR). Puis j'ai commencé à bien marcher en VTT également (Champion d'Europe et vainqueur d'une manche de Coupe du Monde chez les Juniors, NDLR).

Beaucoup de "routiers" professionnels disent avoir pris plus de plaisir en cross ou en VTT que sur la route lorsqu'ils n'étaient encore qu'adolescents ou jeunes adultes...
Tu t'éclates plus en VTT et en cyclo-cross, c'est sûr. C'était également mon cas. Surtout, l'ambiance est différente et tu y es forcément sensible lorsque tu es gamin. Mes parents et moi préférions l'ambiance cross/VTT à celle de la route.

Pourquoi ?
Ce qui m'énervait un peu sur la route, c'était l'atmosphère qui régnait autour des courses. Tu te retrouves avec des parents qui sont à moitié cinglés et des “tensions” pour une simple histoire de vague dans un sprint ou de mec qui joue un peu trop des coudes. Certains pensent qu'ils sont sur des courses pros... On se retrouve avec des ambiances ridicules et à ce moment-là, ça m'avait un peu saoulé. Dans le même temps, c'était bon enfant en cross et en VTT. On rigolait beaucoup plus et c'est sans doute aussi la raison pour laquelle je me suis plutôt orienté sur ces disciplines-là.

« FAIRE CARRIÈRE EN VTT SEMBLAIT UN PEU PLUS RÉALISTE »

Tu as toujours la même image du cyclisme sur route aujourd'hui ?
Non, pas du tout. En fait, là je parle vraiment de l'atmosphère de certaines courses de jeunes, pour des Cadets ou Juniors, où certains ont l'impression qu'ils sont pros. Les parents avec. Je n’ai plus connu ça en Élites, même si chaque équipe reste un peu dans son coin et que ce n’est pas la même ambiance que le VTT, malgré tout. Mais je peux le comprendre. On arrive à un niveau élevé, avec des enjeux. Chacun est dans sa bulle avant la course. C'est moins joyeux... Cela dit, ça devient pratiquement un métier donc c'est sans doute normal aussi. Je parle de quelque chose de général car au sein de l'équipe, c'était top. On se retrouvait entre potes. On rigolait bien avant et après les courses, et même pendant, parfois ! Ce n'est pas horrible d'être coureur sur route (sourires).

T'es-tu imaginé faire carrière en cross ou en VTT ?
Pendant longtemps, je n'y ai pas vraiment pensé. Ce n'était que du plaisir. Même quand je marchais chez les Juniors ou en Espoirs, je ne me prenais pas trop la tête. Je faisais mes résultats et c'est tout. Je ne cherchais pas à passer pro.

Quand as-tu commencé à l'envisager ?
En Espoirs 3. Lors de mes deux premières années dans la catégorie, j'avais eu de gros problèmes de dos. En VTT, je finissais les courses difficilement... J'avais même du mal à descendre du vélo à cause de la douleur. Ca m'a pourri deux saisons. C'était notamment dû à la croissance et ces problèmes sont derrière moi désormais. Puis en cross, je n'ai pas beaucoup couru mais à chaque fois que j’épinglais un dossard, ça se passait super bien. Quand je comparais les temps que je réalisais avec ceux des coureurs Élites, en étant donc Espoirs 3 en VTT, je trouvais ça plutôt intéressant. Et je commençais à me dire qu'il y avait peut-être la possibilité de faire quelque chose. En plus, j'étais au Pôle France à Besançon et le niveau de performance y était vraiment élevé. Il y avait un discours basé sur la préparation des Jeux Olympiques, donc c'était du sérieux et j’envisageais un avenir en VTT.

Finalement, fin 2015, tu as quitté l’AC Bisontine pour t’engager avec le CC Etupes en décidant de consacrer beaucoup plus de temps et d'énergie au cyclisme sur route...
Je me suis d'abord mis à la route avec la volonté de progresser en VTT. J'avais également été suivi par la Fondation FDJ dès 2015  alors je commençais à penser aux deux disciplines. Disons que faire carrière dans le VTT semblait être un objectif un petit peu plus réaliste, alors que la route, c'était un rêve. Mais au fil du temps, j'ai eu envie de changer et de tenter le tout pour le tout sur la route. J'attendais d'avoir une opportunité. Le fait que la FDJ me contacte... je l'ai pris comme un signe et ça m'a donné envie de tenter ma chance. Je sentais que c'était possible.

« JE NE ME SUIS INSPIRÉ DE PERSONNE »

Surtout que tu as très vite marché...
J'ai commencé à faire de bons résultats alors que je n'avais pas forcément la caisse et la préparation pour enchaîner les courses sur route. On a senti qu'il y avait quelque chose. A la fin de la saison 2016, je me suis dit qu'il fallait que je fonce pour ne pas avoir de regrets. J’ai décidé de définitivement me consacrer à la route à 100% en septembre 2016. Autrement dit, très tard. Et puis la semaine suivante, j'ai gagné le Tour de Moselle ! C'était génial et ça m'a convaincu que j'avais fait le bon choix. A ce moment-là, je me suis vraiment mis en tête de passer pro sur la route.

La FDJ t'avait contacté une première fois dès 2015, lorsque tu n'étais encore qu'à l'AC Bisontine, pour participer à un stage de pré-saison avec l’équipe professionnelle…
Ça m'a fait quelque chose ! Quand on m'a annoncé qu'ils voulaient me suivre, je ne m'y attendais pas du tout. En fait, c'est Nicolas Boisson qui avait proposé à l'équipe de me suivre. De mémoire, il voulait tester un vététiste qui faisait de la route pour voir ce que ça donnait. Je dois beaucoup à Nico car c'est donc lui qui m'a fait rentrer dans la fondation et c'est lui qui a insisté pour que je rejoigne l'équipe en 2018. Ca fait plaisir, il a fait du bon boulot pour moi.

Tu suis les traces d'un certain Alexis Vuillermoz, ancien adepte du VTT qui était ensuite passé par le CC Etupes avant de passer pro sur la route...
Il y a plusieurs vététistes qui ont marché sur la route, assez vite après avoir décidé de faire la bascule. A vrai dire, je ne me suis inspiré de personne mais psychologiquement, ça aide de savoir que des coureurs ont réussi à le faire avant toi. Et puis, quand je vois que l'équipe de la FDJ a voulu me tester quand je marchais "seulement" en VTT, je me dis que l'exemple d'un Alexis Vuillermoz les a aidés à me faire confiance. Maintenant, les équipes savent que les mecs qui marchent en VTT ont aussi des chances de marcher sur la route.

Tu sembles avoir passé un autre gros palier entre 2016 et 2017 ?
Oui c'est une évidence ! La course qui m'a le plus marqué, c'est le Circuit des Ardennes, à chacune de mes deux participations. L'année dernière, j'essayais de suivre mais je sentais qu'il me manquait quelque chose pour jouer avec les meilleurs. Sur l'édition 2017 par contre, je me suis rendu compte que c'était vraiment possible et j'étais à la bagarre avec les coureurs les plus forts (il termine 3e d'une étape remportée par Maxime Vantomme, NDLR). Ca m'a fait du bien. Surtout, l'équipe m'avait mis sur de belles courses toute l’année, en Coupe de France ou en Classe 2. Ca m'a vite mis dans le bain et ça m'a permis de bien me préparer cet hiver. Il fallait que je progresse sur le physique, l'endurance. Je n'avais pas la distance en 2016 et c'est ce que j'ai travaillé en priorité cette saison.

« A LA FOIS COOL ET SÉRIEUX : LE MEILLEUR COMPROMIS »

Cette année, tu as marché sur tous types de profils, sur les courses d'un jour comme sur les courses par étapes montagneuses...
C'était l'objectif que je m'étais fixé en début de saison. J'avais travaillé pour être régulier et pour marcher partout. J'ai travaillé le contre-la-montre pour prendre de la force. J'ai beaucoup travaillé sur le plat aussi, tout en continuant de bosser dans les ascensions, où j'étais déjà plus à l'aise. Mais j'aurais pu faire mieux. Je me suis fait avoir plusieurs fois lorsque j'avais l'occasion de jouer la gagne mais là aussi, c'était nouveau pour moi. Il a fallu que j'apprenne à la jouer fine sur les derniers kilomètres. J'ai fait des fautes et c'est pour ça que je n'ai qu'une seule victoire (une étape de la SportBreizh, en Coupe de France DN1, NDLR). Mais je sais que j'aurais pu gagner plus souvent. J'étais devant pratiquement tous les week-ends jusqu’en juillet (il a ensuite été stagiaire avec la FDJ, NDLR). C'est encourageant pour la suite.

On t'a souvent vu offensif cette saison : tu ressens le besoin de faire la course ?
Je me suis surpris sur plusieurs courses. Je n'ai pas eu de complexes, même sur des Classe 2, comme aux Ardennes justement. Sur l'étape la plus difficile, j'ai planté dans tous les sens, je n'ai pas compté mes efforts. J'aime bien attaquer. C'est d'ailleurs ce qui m'a coûté quelques résultats l'an dernier car j'attaquais trop. J'étais incapable de me canaliser. Cette année, j'ai appris à en garder sous le pied pendant les 130 ou 150 premiers kilomètres pour tout mettre sur le final. C'est là que ça marche le mieux. Mais c'est sûr que j'ai un tempérament d'attaquant. J'aime bouger lorsque c'est la guerre !

Tu complètes la liste des coureurs qui vont porter le maillot de la FDJ après avoir été formés au CC Etupes. Que t'a apporté la formation franc-comtoise ?
Il y aurait tellement de choses à dire ! C'est le club qui m'a donné envie de m'investir dans le cyclisme sur route. J'ai découvert beaucoup de choses avec eux. Le staff, les coureurs, notre calendrier... Ce n'était que du plaisir ! Je suis très heureux d'avoir couru là-bas. Je ne sais pas du tout si ça aurait donné la même chose avec une autre équipe. C'était à la fois cool et sérieux : le meilleur compromis que l'on peut avoir à ce niveau-là. Il y avait de la performance et de l'ambition mais ça reste un club amateur. On n'était pas là pour se prendre la tête.

Comment imagines-tu tes débuts chez les pros ?
Il va falloir que je m'adapte et que je passe un nouveau gros palier. Je vais sûrement beaucoup travailler pour l'équipe. J’aimerais prouver que j'ai la possibilité de jouer ma carte mais ça ne se fait pas comme ça ! Peut-être que ça viendra un jour, je l'espère. Ce serait bien de pouvoir exprimer mes qualités de puncheur-grimpeur même si parfois, notre profil de coureur peut aussi évoluer en arrivant chez les pros. Je serai bientôt fixé, même si j’ai déjà eu une petite idée de ce que ça pourrait donner avec l’expérience de Léo Vincent, que je connais bien et qui est passé du CC Etupes à la FDJ l’hiver dernier. Il m'a expliqué que ce n'était pas forcément facile au début mais il a quand même pris du plaisir avec les pros. Bien sûr, il m'a confirmé que la marche à franchir était haute. La première épreuve WorldTour, "c'est un truc de fou", m’a-t-il dit... (sourires). On verra bien !

Penses-tu avoir une grosse marge de progression ?
Le plus intéressant, c’est que je considère ne pas avoir retrouvé, en 2017, le niveau qui était le mien lorsque j’étais au top du top en VTT. Je peux donc faire bien mieux, c’est sûr. Par rapport à ce que je connais déjà, et encore plus par rapport à ce que je n’ai pas encore exploré ! En une seule année, j'ai été capable de faire un gros bond en avant alors c'est encourageant. Il n'y a plus qu'à refaire la même chose l'année prochaine.

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