La Grande Interview : Pierre Bonnet

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

C’est bien connu : le mental est aussi important que le physique dans le sport de haut-niveau. Pierre Bonnet, coureur du Team Pro Immo-Nicolas Roux, le sait sans doute mieux que quiconque. Présent parmi les meilleurs coureurs du peloton dès les Juniors, régulier chez les Élites, celui qui est aujourd’hui agé de 27 ans ne sera jamais parvenu à passer dans les rangs professionnels. La faute à un manque de confiance dont il n’a jamais réussi à se débarrasser. “J'aurais sans doute eu la force, parfois, de faire de vrais gros résultats. J'en avais la capacité physique mais mentalement, ça n'a pas suivi”. Grâce à Nicolas Roux et sa formation de DN1, l’Auvergnat peut malgré tout vivre de sa passion, chez les amateurs. “Une vraie chance”, pour un coureur qui n’envisage cependant pas de continuer très longtemps, et qui a pour projet de reprendre la ferme familiale à moyen terme. 

DirectVelo : Tu disputes actuellement ta neuvième saison dans le peloton des Élites. Tu t'éclates toujours autant ?
Pierre Bonnet : Neuf ans déjà, ça passe vite ! Bien sûr que je prends toujours autant de plaisir sur les courses. Les objectifs ont changé au fil des années. Je ne suis plus le même coureur que lorsque je suis arrivé au CR4C Roanne en Espoir 1. A ce moment-là, je me battais comme tout le monde pour passer pro alors que depuis, j'ai fait une croix dessus. Mais j'aime toujours autant le vélo et la passion est intacte.

Depuis quand n'espères-tu plus devenir coureur professionnel ?
2015 et mon arrivée au Team Pro Immo-Nicolas Roux. A ce moment-là, j'ai su que c'était fini. Non pas parce que j'arrivais à Pro Immo mais le temps tournait et je savais que je n'allais plus avoir d'opportunités. Même dans mon esprit, je suis passé à autre chose à ce moment-là.

« CA AURAIT ETE A MES PARENTS DE M’AIDER ? HORS DE QUESTION »

Après quoi cours-tu aujourd'hui ?
Le plaisir, encore et toujours. Le vélo, c'est ma passion. Cela dit, je ne me prends pas trop la tête. En fait, je ne me pose même pas la question de savoir ce après quoi je cours. Ca me paraît simplement normal d'aller sur les courses. Je l'ai toujours fait. Et puis, allez, on va dire que je cours aussi pour la gloire locale (rires). Non, c'est une connerie ! Je m'éclate sur le vélo, avec les copains, c'est tout.

Même si tu es coureur amateur, tu en vis actuellement...
Dès les Juniors, je me suis toujours promis de ne faire du vélo que si je ne demandais rien à mes parents, financièrement parlant. Je voulais être autonome, ça a toujours été quelque chose d'extrêmement important pour moi. Il était impensable que je continue le vélo après les rangs Espoirs sans argent. Ca aurait été à mes parents de m'aider ? C'était hors de question.

Il est aujourd'hui possible de gagner sa vie en étant cycliste dit "amateur", en division nationale. C'est quelque chose que tu imaginais possible lorsque tu as débuté dans le milieu ?
Pas du tout. Je ne connaissais pas grand-chose au monde du vélo au début et dans ma tête, soit je passais pro après les Espoirs 4 maximum, soit j'arrêtais le vélo. Je ne me doutais pas une seconde que je pourrais être là, à 27 ans, à toucher un salaire en DN1. Ce n'est quand même pas la même situation qu'à la Cofidis ou au Team Direct Energie. Un mec qui serait remercié dans cette équipe aura deux ans de chômage pour rebondir. Là c'est plus compliqué.

« JE NE M’OCCUPE PLUS TROP DE CE QUI SE DIT... »

Tu t'imagines continuer longtemps dans cette situation si tu en as la possibilité ?
Pas vraiment. Je ne sais pas encore combien de temps je vais continuer mais ce ne sera pas quatre ou cinq ans. On verra bien ce que me propose le club mais dans tous les cas, les déplacements finiront par me peser. C'est usant au bout d'un moment. Et puis, il y aura sûrement de la lassitude aussi. De toute façon, j'ai toujours eu envie de reprendre la ferme familiale, alors c'est pour bientôt ! En tout cas, j'en profite pour remercier Nicolas Roux qui permet à des coureurs comme moi de poursuivre notre passion quelques années supplémentaires.

Y'a-t-il beaucoup de coureurs dans ton cas dans le peloton amateur ?
Avec un "vrai" salaire suffisant pour vivre, pas tant que ça. Par contre, je pense que pratiquement tous les coureurs qui sont en DN1 touchent au minimum 200 ou 300 euros. Mais là, ça inclut tout le monde dont les jeunes qui arrivent des rangs Juniors et qui visent une équipe pro. Par contre, des mecs de plus de 25 ans dans mon cas, il n'y en a pas des dizaines. Il faut trouver un contrat et ce n'est pas si simple... Les équipes préfèrent miser sur les jeunes, c'est normal. A 25 ans, tu es presque un vieux dans ce monde-là. Et le système des manches de Coupe de France DN1, avec seulement deux "vieux" autorisés par équipe, n'aide pas les coureurs comme moi. C'est dommage car à mon âge, tu es loin d'être fini.


Ces différentes situations salariales dans le peloton amateur créent-elles des tensions ou de la jalousie ?
Ah ça, c'est sûr ! J'ai déjà entendu des réflexions mais pour être honnête, j'ai moi-même été de l'autre côté, à pester et me dire que ce n'était pas normal que tel ou tel mec gagne autant pour faire ce qu'il fait... C'est le jeu. Mais à mon âge, je ne m'occupe plus trop de ce qui se dit et je me fous pas mal de la situation des autres. Enfin, puisque la question est posée : il y a des aberrations, c'est clair. Tu vois certains mecs toucher de gros salaires, et tu te demandes bien pourquoi. Alors forcément, ça parle...

« SI C’EST POUR SE FAIRE TAPER DESSUS TOUTE L’ANNEE... »

Quelles seraient tes définitions d'un coureur amateur et d'un coureur professionnel ?
C'est hyper difficile de répondre à cette question ! Maintenant que l'on n'a vu que ce n'était pas qu'une question financière... Déjà, pour moi, il y a deux sortes de pros. Si tu cours en WorldTour ou en Continental, ce n'est pas la même chose. Et puis, moi, je me considère comme un pro en quelque sorte. Pas du tout en terme de niveau, mais je veux dire au niveau de ma situation... J'ai les mêmes facilités pour faire du vélo que certains pros, en Conti. Pour le reste, en fait, je suis incapable de répondre à cette question et c'est vrai qu'il n'y a pas un fossé énorme entre un pro et un amateur, parfois.

Donc, pour des démarches administratives, tu te présentes comme un coureur cycliste professionnel : si tu vas faire un prêt à ta banque par exemple ?
Oui, c'est ça. De toute façon, le "grand public" ne cherche pas vraiment à comprendre. Je fais du vélo et je suis payé pour ça. A partir de là... Mais c'est plus quand j'ai besoin de justifier une situation professionnelle, pas pour le reste. Je ne vais pas crier partout que je suis pro car ce n'est pas le cas. Je ne vais jamais faire le Tour ! Il faut rester à sa place.

Tu dis toujours autant d'éclater sur le vélo : finalement, tu es peut-être plus heureux à Pro Immo que si tu étais en Continental ?
Je ne sais pas comment ça se passe chez les pros mais peut-être que les relations humaines ne sont pas les mêmes. En tout cas, c'est les échos que l'on a parfois. Mais bon, si on m'avait proposé un contrat en Conti, je l'aurais sûrement signé. Le calendrier n'est quand même pas le même, ça aurait été une superbe expérience. Et puis, tu laisses tomber les petites camionnettes et tu as les gros bus. J'aurais pu voir ce que je valais à un autre niveau. D'un autre côté, si c'est pour se faire taper dessus toute l'année...

« LES MANCHES DE LA COUPE DE FRANCE DN1, CE SONT LES PLUS CHIANTES »

Si on regarde ton début de saison 2017, on s'aperçoit que tu en es à treize Top 10. Tu n'aurais peut-être pas les mêmes résultats en Conti...
Ah c'est même certain ! Peut-être pas un seul. Au mieux, j'aurais eu quatre ou cinq échappées au compteur (rires). En plus, j'ai l'impression que c'est de plus en plus difficile de marcher chez les pros. Il n'y a qu'à voir le niveau des épreuves de Classe 2. Cette année, tu as des équipes comme Wanty ou Androni qui viennent un peu partout. Ce sont des équipes de niveau mondial. Il faut s'arracher pour aller faire des résultats même sur ces courses-là.

Et en Elites, tu te sens compétitif tous les week-ends ?
Tu sens qu'il y a souvent moyen d'espérer quelque chose en tout cas. J'aime les courses où ça pète de partout. Je suis content quand il y a de la course... Les costauds sont devant, le panache est récompensé, c'est top.

C'est toujours le cas ?
Pas du tout ! Les manches de Coupe de France DN1 par exemple, ce sont les plus chiantes ! Et encore, ça va mieux depuis que nous ne sommes plus que six par équipe. Mais ce sont souvent des courses de suiveurs où il faut essayer d'en garder le plus possible jusqu'au dernier kilomètre. Moi, ça me gonfle. En plus, je n'arrive jamais à lire ces courses-là, je n'y comprends rien ! Je pense qu'il y aurait mieux à faire. Si je pouvais choisir, je ne mettrais des points qu'aux dix ou quinze premiers. Je sais que certains me répondront qu'on pourrait se retrouver avec des équipes à 0 point à la fin de l'année mais on s'en fout ! Prime à la victoire. Il y en a marre des mecs qui courent pour faire 25e.

« J’AI UN GROS MANQUE DE CONFIANCE EN MOI »

Mais tu comprends que des coureurs ou des équipes puissent avoir des intérêts à courir de façon attentiste ?
Je suis toujours passé par des clubs d'attaquants, à Roanne, Etupes et Pro Immo. On n'a jamais compté nos coups de pédales et on essayait de décanter les courses. Mais c'est aussi parce que nous n'avions pas forcément de grands sprinteurs. Donc je peux comprendre, mais je trouverais quand même triste de tout miser sur l'attente au briefing le matin. Il faut se faire plaisir.


Tu as toujours eu de bons résultats et ce dès les rangs Juniors avec ta deuxième place sur le Championnat de France 2008 derrière Kenny Elissonde notamment : pourquoi n'as-tu jamais eu ta chance chez les pros ?
J'ai vraiment un gros manque de confiance en moi, depuis toujours. J'ai du mal à me dire que je peux être l'un des plus forts sur une course, ou que ça va sortir quand je l'aurai décidé. J'aurais sans doute eu la force, parfois, de faire de vrais gros résultats. J'en avais la capacité physique mais mentalement, ça n'a pas suivi. Bon, parfois, sur des 1-2-3, je peux me sentir fort, mais jamais en Elites.

Pourtant, tu as parfois semblé être l'un des plus forts si ce n'est le plus fort. Tu n'as jamais eu ce sentiment-là après une course ?
Si, ça m'arrive après coup de me dire que j'ai fait mal à la gueule des mecs. Mais c'est très rare. Le meilleur exemple, c'est sûrement Blangy. D'ailleurs, c'est marrant parce que c'est arrivé deux fois là-bas. Je me sentais super fort, mais ça ne sert à rien puisque la fois suivante, je me remets à douter.

« PILE JE VOLE, FACE JE SUIS A LA RUE »

C'est pour ça que tu as toujours eu du mal à enchaîner les grosses performances ?
Oui, entre autres. J'ai un problème de confiance mais aussi de régularité. Et là encore, c'est depuis toujours. J'ai vraiment du mal d'un week-end à l'autre. Je n'ai jamais réussi à l'expliquer mais c'est sûrement ce qu'il m'a également manqué pour qu'une équipe pro me fasse confiance. C'est dingue à dire mais de toute ma carrière, je n'ai jamais réussi à programmer un pic de forme. Même quand je travaillais avec Julien (Pinot) à Etupes, on ne savait pas quoi faire. Je passe de tout à rien, ou l'inverse. Parfois, il m'arrive de faire un gros résultat, d'avoir des jambes de feu puis de me battre avec le vélo dès le fictif trois jours plus tard.

Mentalement, ça ne doit pas t'aider...
Ca a longtemps été difficile à accepter car je sais que physiquement, je fais le travail nécessaire à l'entraînement. J'ai toujours été sérieux et régulier dans ma préparation. Aujourd'hui, j'ai fait l'essentiel de ma carrière et je préfère relativiser. Il m'arrive même d'en rigoler avec les copains au départ des courses. Moi, quand je me pose sur une ligne de départ, je jette une pièce. Pile, je vole. Face, je suis à la rue.

Autrement dit, tu ne coches pas de courses sur ton calendrier ?
Il y a forcément des courses qui me font plus envie que d'autres mais ce n'est pas la peine que j'axe ma préparation sur une Classique, une manche de la Coupe de France ou un Championnat, c'est clair.

« CERTAINS DOIVENT CROIRE QU’ON EN FAIT TROP »

Entre ton manque de confiance et ton irrégularité, tu n'as donc jamais eu le temps d'espérer passer pro ?
Jamais ! Et c'est dommage car je pense que j'avais le niveau physique. Parfois, quand je pars rouler dans certains cols que le Tour de France emprunte, et que je vois partout sur l'asphalte écrit "Allez Bardet, Alaphilippe, Barguil...", je me dis qu'il m'a manqué un petit truc et que c'est bien dommage. Romain Bardet, j'étais plus fort que lui en Cadets. Alors bien sûr, ça ne veut pas tout dire, j'étais peut-être plus en avance à cet âge-là et il a sûrement été plus sérieux que moi. De toute façon, on ne peut pas être plus sérieux que Romain Bardet ! Mais en tout cas, je vois plein de mecs passer tous les ans alors que je me sentais aussi fort qu'eux sur certaines courses Elites. C'est la vie.

Tu n'as jamais envisagé de faire appel à un préparateur mental ?
A un moment donné, j'y ai pensé mais je n'ai jamais franchi le pas. C'était peut-être une erreur de ma part. Je ne sais même pas trop pourquoi je ne l'ai pas fait. Je n’ai sans doute pas osé, tout simplement. On ne saura jamais ce que ça aurait donné. Toujours est-il qu'aujourd'hui je suis chez les amateurs et que je m'amuse, sans pression.

Cette absence de pression, c'est aussi l'explication au fait que tu sembles toujours détendu et souriant au départ des courses ?
Je ne fais pas le clown non plus mais c'est vrai que j'essaie de toujours propager la bonne humeur (rires). J'ai la chance d'avoir fréquenté des coureurs et des équipes où l'on a toujours bien rigolé. Parfois, il arrive qu'on reste à table pour discuter une heure après avoir fini de manger. J'aime ça, on est tous ensemble sans prise de tête. C'est bien d'être sérieux et rigoureux mais il ne faut pas exagérer non plus. Certains doivent croire qu'on en fait trop, qu'on est dans l'excès à raconter des conneries tout le temps mais je ne considère pas perdre de l'énergie à faire ça. Au contraire, ça soude l'équipe. Je me ferai toujours plus mal aux pattes pour un copain qui me fait rire que pour un mec qui reste dans son coin et qui a le casque sur les oreilles après une course. Et puis pour ceux qui pensent que c'est exagéré, qu'ils viennent à l'entraînement avec nous.

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