La Grande Interview : Simon Sellier

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Solide mais discret. Voilà peut-être comment décrire Simon Sellier en deux adjectifs. Le Vendéen, natif de La Roche-sur-Yon, ne fait pas énormément parler de lui malgré un véritable potentiel. Régulièrement appelé en Equipe de France - il vient de terminer 7e d'une étape du Tour La Provence (2.1) avec les Bleus et face aux pros -, pilier de la formation du Vendée U où il vient d'entamer sa quatrième saison de rang, Simon Sellier pourrait en effet être l'un des hommes forts de la saison 2017 chez les Amateurs. A condition de faire preuve, à désormais 22 ans, d'une plus grande régularité que par le passé, et de s'affirmer comme un véritable meneur d'hommes au sein d'un collectif du Vendée U très homogène.

DirectVelo : Cette belle semaine sur le Tour de la Provence, c'est la promesse d'une grande saison ?
Simon Sellier : Je l'espère. En tout cas c'était une bonne façon de débuter l'année. Le fait d'être pris en Equipe de France très tôt dans la saison était une bonne chose. Avoir la confiance de Pierre-Yves Chatelon est important. La condition était là et ça me permettait de parfaitement rentrer dans ma saison, bien sûr physiquement mais également mentalement.

T'attendais-tu à pouvoir rivaliser avec les professionnels, comme lors de cette 2ème étape où tu termines 7e et troisième du sprint du peloton ?
Je connaissais déjà cette course et ces routes pour y avoir pris part l'an dernier. On ne savait quand même pas trop où l'on allait puisqu’on avait moins de jours de course dans les jambes que la plupart des pros présents. Le plus gros point d'interrogation concernait le kilométrage car sur le Circuit des Plages Vendéennes, on roulait trois heures alors que là, il n'y avait que des étapes de 180 à 200 bornes. Ca représentait donc une bonne heure de course en plus, mais ça ne m'a pas trop posé problème. J’ai déjà disputé plusieurs courses pros en tant que stagiaire du Team Direct Energie durant deux saisons, alors ça allait. Et puis, la façon dont ça roule chez les pros me convient très bien, ça me plait.

« LES PROS, DES EFFORTS QUI ME CONVIENNENT MIEUX »

C'est-à-dire ?
J'aime le rythme des courses pros et le fait que ça roule tempo un bon moment avant une grosse accélération dans le final... Cela correspond à mes qualités et à mon physique. Je suis à l'aise sur ce type d'efforts. Je ne suis pas toujours super à l'aise quand ça part dans tous les sens chez les amateurs. Le "pif paf boum", ce n'est pas pour moi.

Il est pourtant plus à la mode actuellement de dire que l'on s'ennuie sur les courses professionnelles et que le "vélo plaisir" est chez les amateurs...
C'est sûr que les courses pros sont généralement plus quadrillées et stéréotypées, mais il ne faut pas faire de généralités non plus. Il n'y a qu'à regarder le Tour de la Provence justement : nous avons eu trois jours de course avec de la bagarre et c'était très intéressant. Je ne pense pas que l'on se soit ennuyé sur cette course. Mais je n'ai rien contre les courses amateurs et je trouve que c'est très sympa dans la façon de courir aussi. C'est simplement que ce sont des efforts qui me conviennent moins et ça, on ne le choisit pas.

Penses-tu que tes prestations en Provence puissent te permettre de t'affirmer comme un élément majeur de l'Équipe de France Espoirs cette saison ?
J'étais présent au stage de cohésion puis sur cette première course. Je serai également de la partie pour la Classic Loire-Atlantique et la Kattekoers. C'est encourageant d'autant qu'à cette période de l'année, j'avais vraiment envie de participer à ces courses avec les Bleus. J'ai réussi à me faire une place et maintenant il va falloir essayer de la garder, mais j'ai bien conscience que ce ne sera pas facile et qu'il y a du monde qui frappe à la porte. Il faut toujours rester prudent.

« IL FALLAIT RESTER REALISTE »

Cette prudence ne vient-elle pas de certaines non-sélections ces deux dernières saisons ?
Disons que ça permet de te rappeler que rien n'est jamais acquis, et je trouve ça parfaitement normal. J'ai toujours compris les décisions de Pierre-Yves Chatelon lorsqu'il décidait de ne pas m'emmener avec lui dans le groupe. Je n'ai pas toujours été régulier dans mes résultats et du coup, ça ne m'a jamais permis d'avoir une place à temps plein en équipe nationale. Si tu veux faire la saison avec les Bleus, il faut avoir des résultats et le mériter, c'est aussi simple que ça.

L'automne dernier, tu ne méritais donc pas ta place sur les Championnats du Monde ?
Il faut croire que non ! Ne pas aller au Qatar a été une grosse déception personnelle mais j'ai rapidement essayé de prendre du recul. Je n'ai jamais voulu m'arrêter sur des échecs. A ce moment-là, je m'étais simplement dit qu'il fallait rester réaliste et que je ne méritais pas d'y aller après la saison 2016 que j'avais réalisée. J'ai vite vu ça comme une façon de progresser, de se motiver à travailler encore plus et surtout, de chercher à apprendre de mes erreurs.


Comment expliques-tu les périodes de creux que tu as pu connaître en 2016 ?
Je n'ai pas su répondre présent de fin mars jusqu'à mai-juin. Il y a eu plusieurs raisons à cela, à commencer par la disparition de Romain (Guyot). Même si on essaie toujours de cacher et de se cacher ce genre de choses, c'est là avec nous. Avec Romain, nous avions quand même passé trois saisons ensemble, tous les week-ends ou presque et c'est forcément très dur de perdre quelqu'un de proche. A la même période, j'ai aussi connu quelques petits soucis d'ordre sentimental qui ne m'ont pas forcément aidé. Avec tout ça, je n'étais pas au top niveau moral et quand tu n'es pas à 100% dans le sport de haut-niveau, tu le paies cash. Tu peux avoir les jambes que tu veux mais si la tête ne suit pas, c'est compliqué. 

« LA NOTION DE PLAISIR NE PEUT PAS SUFFIRE »

Penses-tu être un coureur fort mentalement ?
Pour être honnête, j'ai longtemps pensé ne pas l'être. Mais à force de me remettre en question et de ne jamais rien lâcher, j'ai réalisé que j'avais quand même un bon mental. En ce sens, je pense être fort mentalement, oui. Je ne baisse jamais les bras sur le vélo. Et quand j'y repense, je réalise que j'ai toujours été comme ça depuis gamin. J'ai toujours été un compétiteur, avec la rage de me battre et de faire du mieux possible.

Tu as toujours eu l'envie de gagner, depuis gamin ?
On peut le dire comme ça. Tout petit, je voulais faire du foot, comme les gamins de mon âge et puis surtout comme mon père. Mais il me disait que le foot, c'était plus une garderie qu'autre chose et il voulait me faire essayer un autre sport. Finalement, je me suis lancé dans le cyclisme, à six ans. Mon grand-père était passionné de vélo et avait toujours eu envie de voir l'un de ses fils en faire. Du coup, ça aura été pour son petit-fils (sourires). J'ai commencé chez les Poussins et je n'ai jamais décroché. Et depuis le début, j'étais là pour gagner les courses.

Avec quand même une notion de plaisir ?
Bien sûr. J'ai toujours adoré partir rouler en groupe, à l'entraînement ou plus  tard en stages. Je me souviens des journées avec ma bande de copains, lorsque l'on partait rouler des heures puis qu'on s'arrêtait manger des grillades le midi. C'était génial. Mais pour moi, la notion de plaisir ne peut pas suffire pour se faire mal sur le vélo. Je m'amusais énormément mais il m'a toujours fallu courir après des buts à atteindre.

« J'AI APPRIS A RELATIVISER »

Et tu gagnais donc beaucoup chez les jeunes ?
Je crois que j'avais gagné neuf fois chez les Minimes 2e année. Forcément, ça motive. Quand j'étais petit, j'ai vite grandi et j'avais un gabarit assez imposant par rapport à la plupart des gamins de mon âge. Je dois bien avouer que ça a été un bon avantage pour moi car j'ai rapidement eu de la force. J'ai ensuite continué ma progression chez les Juniors. A ce moment-là, tu commences à te faire des films et à te dire que tu vas peut-être pouvoir faire une carrière dans le cyclisme.

Tu t'es donc vite consacré très sérieusement à ta passion ?
Pas vraiment car il fallait bien que je fasse des études à côté. J'avais l'envie de marcher sur le vélo mais j'avais aussi l'école en parallèle. J'ai passé un Bac Pro Maçonnerie par apprentissage et du coup, j'ai rapidement travaillé avec ensuite un BTS de génie civil (travaux publics). Pendant ma seconde saison chez les Cadets puis ma première année Juniors, je bossais 40h par semaine. Autant dire qu'il ne me restait pas beaucoup de temps pour le vélo. Et pourtant, je faisais quand même des résultats. Surtout, je progressais beaucoup l'été, quand je ne travaillais plus à la période du Championnat de France. Je sentais que je m’améliorais vite et ça m'a toujours laissé penser qu'en me consacrant pleinement au vélo, il y avait la place pour faire quelque chose d'intéressant. Et j'ai bien senti la différence depuis puisque à partir de ma saison en Espoir 2, j'ai pu me consacrer à 100% au vélo et ça change tout.


Qu'a pu apporter le fait d'avoir travaillé 40h par semaine pendant une bonne partie de ton adolescence au coureur cycliste que tu es devenu aujourd'hui ?
Cela m'a fait réaliser beaucoup de choses, à commencer par le fait que pouvoir éventuellement vivre de sa passion est quelque chose de magnifique. Faire du vélo, ce n'est que du bonheur. J'ai aussi appris à relativiser. Parfois, ce n'est pas très marrant d'aller faire du vélo cinq ou six heures sous la pluie mais je me dis que c'est toujours mieux que d'aller à l'usine pendant huit heures. Je pense que mentalement, c'est un plus d'avoir travaillé. Et beaucoup de coureurs qui ont vécu ma situation le diront également, j'en suis sûr. Physiquement aussi, ça m'a apporté dans le sens où j'ai pu travailler des parties du corps que l'on ne travaille pas toujours sur le vélo, comme le haut du corps. Ça m'a permis d'être un grand solide (sourires).

« LE TEMPS PASSE TRES VITE, C'EST IMPRESSIONNANT »

Et que mange un "grand solide" ?
Ah ça ! J'aime bien la nourriture... enfin, je ne vais pas au Mc Do mais disons que je suis un gourmand et que j'aime bien me faire plaisir. J'essaie de me préparer de bons petits plats dès que je peux. Ma spécialité, c'est le hamburger maison. Forcément, il est beaucoup plus diététique que celui des fast-food. J'aime aussi beaucoup la viande rouge... un bon steak accompagné d'un petit gratin de légumes et de riz ou pâtes, c'est le top.

Tu viens d'entamer ta quatrième saison au Vendée U, ta dernière dans les rangs Espoirs. C'est l'année ou jamais pour passer pro ?
En tout cas c'est une année cruciale. Je me donne tous les moyens de réussir en travaillant dur mais au bout d'un moment, je me dis que je ne pourrai pas faire beaucoup mieux pour que ça marche. C'est d'abord pour ça que je ne veux pas me prendre la tête et continuer de faire le job comme je l'ai toujours fait. Je me dis que si ça doit payer, ça paiera.

Depuis trois ans, tu as vu le groupe du Vendée U beaucoup tourner... que te manque-t-il encore pour à ton tour rejoindre le monde professionnel ?  
On ne s'en rend pas toujours compte mais le temps passe très vite, c'est impressionnant ! A mon avis, il m'a surtout manqué de la régularité, notamment avec cette fameuse période creuse l'an dernier. Le fait de voir des mecs passer pros tous les ans met de la pression car tu te dis qu'il va bien falloir que ce soit à ton tour à un moment ou un autre. Voir les copains passer au-dessus, ça donne envie. Mais je crois qu'il faut laisser le temps au temps. On évolue tous à notre rythme. Il y a des mecs précoces et personnellement, j'ai peut-être eu besoin de plus de temps que d'autres.

« QUAND CA M'ENERVE, JE SUIS CAPABLE DE L'OUVRIR »

Sur quels points penses-tu avoir évolué ces dernières saisons ?
J'ai réussi à me canaliser, à être plus calme en course. Avant, j'en faisais toujours trop. C'est l'erreur classique qui te fait perdre des courses. Et puis surtout, je suis naturellement devenu un élément important de l'équipe, avec l'âge et l'expérience. Aujourd'hui, je suis capable de porter sur mes épaules le poids d'une course ou de prendre des décisions pour l'ensemble de l'équipe suivant le scénario d'un final. J'ai appris à prendre mes responsabilités.

Et tu te sens à l'aise dans ce rôle-là ?
C'est toujours délicat car tu sais que si ça foire, c'est - au moins partiellement - de ta faute. Pour moi, ce n'est pas toujours facile de donner des ordres ou de me faire entendre, surtout quand tu n'es pas forcément le plus fort ce jour-là. Mais il faut prendre sur soi et savoir s'affirmer car je sais que ça va beaucoup m'apporter et que c'est ce que l'on attend de moi, entre autre, dans l'équipe. Être l'un des capitaines de route du Vendée U, quand tu es Espoirs 4, c'est dans la logique des choses. Je me sens légitime dans ce rôle car je connais très bien la maison du Vendée U. Et finalement, j'aime ça !

Après une course, tu as tendance à tout intérioriser ou à taper du poing sur la table ?
Quand ça m'énerve, je suis capable de l'ouvrir. Mais généralement, je suis plus du genre à discuter, à venir voir chaque coureur un par un pour échanger et avoir son point de vue. J'aime bien parler alors de ce point de vue là, ce n'est pas un souci pour moi. Je ne vais pas rester seul dans mon coin sans rien dire.

On dit de toi que tu es très dur avec toi-même ?
Je le suis en effet. Le cyclisme est un sport particulier où tu gagnes une fois sur 100 mais pour moi, tu ne peux quand même jamais être pleinement satisfait de terminer 2e ou 3e d'une course. A partir de là, il y a très souvent à redire. Il m'arrive de ressasser parfois plusieurs heures une place d'honneur en me refaisant la course et en me demandant ce qu'il aurait fallu faire différemment. Mais je sais qu'il ne faut jamais rester trop longtemps sur des échecs et vite penser aux challenges suivants. Et cette année, des challenges, je ne vais pas en manquer.

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