La Grande Interview : Dorian Godon

Crédit photo Nicolas Mabyle et Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Nicolas Mabyle et Freddy Guérin - DirectVelo

Depuis les rangs Juniors, Dorian Godon a sauté les marches trois par trois. Le temps d’adaptation ? Le coureur de 20 ans ne connaît pas. Encore coureur de deuxième catégorie au Team Vulco-VC Vaulx-en-Velin en 2015, il a rapidement enchaîné les réussites, faisant de chacune de ses découvertes une occasion de gravir les échelons. Malgré un certain détachement. "J’essaie simplement de ne pas me prendre la tête et de ne pas me poser trop de questions. Je n’ai jamais voulu me fixer d’objectifs". De sa première expérience en Coupe de France DN1 à sa découverte d’une Classe 2, en passant par sa première sélection en Equipe de France Espoirs, le Lyonnais en a toujours fait des succès et des moments marquants de sa jeune carrière. Au point de décrocher un premier contrat professionnel avec la formation Cofidis pour 2017. Et ce, malgré des études de médecine menées de front pendants les deux dernières années.

DirectVelo : Le récent stage de l’équipe Cofidis à Calpe (Espagne) n’a pas dû beaucoup te dépayser…
Dorian Godon : J’avais quand même cinq heures de voiture pour rentrer (sourires), mais c’est vrai que j’étais plus près de la maison que lorsque j’habitais dans la région lyonnaise. Mis à part les deux premiers jours, les conditions ont été idéales pendant ce stage. Un peu comme à la maison. Maintenant que je vis en Espagne, je peux m’entraîner en manches courtes jusqu’à fin novembre. C’est sympa de s’entraîner ici : parfois, tu ne croises pas une voiture pendant 30 kilomètres de sortie. Gérone est vraiment une ville sympa.

Pourquoi t’être installé à Gérone, en Catalogne ?
Pour les études. Je me suis inscrit dans une école de masso-kinésithérapie à la rentrée scolaire, en septembre (à l’école EUSES, NDLR). Pendant mes deux premières années post-bac, j’avais étudié la médecine en France mais le niveau des concours y était extrêmement élevé. J’ai d’ailleurs redoublé ma première année de médecine pour retenter ma chance, mais sans plus de succès la seconde fois. Il faut dire que dans ce milieu, les places sont très chères : il y a beaucoup de candidats mais très peu d’élus. Sur 2000 prétendants, seule une poignée est sélectionnée chaque année. De mon côté, j’avais dû finir au niveau de la 900e place, dans le milieu du panier. Sur le coup j’étais un peu dégoûté à la découverte des résultats. Mais depuis, j’ai donc trouvé cette autre solution en Espagne. C’est une école que l’on peut intégrer directement après le Bac, sans concours.

« LES ETUDES, J’EN AI TOUJOURS EU BESOIN »

Tu repars donc sur un cycle complet d’études malgré ton nouveau statut de coureur cycliste professionnel ?
Pour être honnête, je ne sais plus trop ce que je vais faire. Pour avoir un diplôme de kinésithérapie, il me faudrait étudier encore plusieurs années. Je sais ce que cela implique : notamment un stage de 1200h, par exemple, en fin d’études. Il va falloir réfléchir à tout ça car effectivement, je suis payé pour faire du vélo désormais. Je ferai un point après mes examens de janvier, mais il va sûrement falloir donner la priorité au cyclisme en 2017.

Tu as déjà fait beaucoup de compromis entre les cours et le vélo. N’as-tu jamais été tenté de faire une croix sur tes études auparavant ?
Jamais ! Les études, j’en ai toujours eu besoin pour mon équilibre. Sincèrement, pendant ces deux saisons au Team Vulco-VC Vaulx-en-Velin, je n’ai jamais vraiment imaginé arrêter mes études. Je crois que c’est aussi ce qui m’a permis d’avoir de bons résultats sur le vélo car dans ma tête, je me sentais bien.

Pourtant, tu as souvent connu des difficultés pour concilier les deux…
A force, on en prend l’habitude. C’est vite devenu la normalité pour moi. Mais c’est vrai qu’il faut toujours jongler entre les deux. Dernier exemple en date : j’avais un exposé à présenter avec des collègues de classe ce jeudi alors que je rentrais tout juste du stage de la Cofidis, la veille. Ça me fait un bon emploi du temps, mais sincèrement, ça me convient.

« JE PRENAIS MON DEJEUNER SUR LE HOME-TRAINER »

Mais ça n’a aucune influence sur tes performances sportives ?
Ça a pu arriver, si. L’an passé, j’ai fait mes débuts chez les Espoirs en deuxième catégorie. Je n’ai pu enchaîner les courses que pendant l’été, après avoir terminé tous mes examens. Avant, j’ai limité mes sorties d’entraînement et mon nombre de jours de course. Le pire, c’était de devoir jongler sans cesse entre les deux. Je repense notamment au Rhône-Alpes Isère Tour. La veille de la 1ère étape, j’avais eu des examens toute la journée. Et même le matin de la course, j’en avais eu encore un. Je suis arrivé cramé sur l’épreuve.

Où trouvais-tu le temps de t’entraîner ?
A certaines périodes de l’année, c’était un peu n’importe quoi. Il m’arrivait régulièrement de m’entraîner deux heures pendant la pause déjeuner, entre les cours. C’était vraiment à l’arrache, sur home-trainer. Parfois, je prenais même mon déjeuner sur le home-trainer. Au niveau des voyages aussi, c’est souvent exigeant. Même encore récemment, j’ai dû me taper des trajets de quatre ou cinq heures juste après un examen pour aller sur une course, au dernier moment.


La formation Cofidis est-elle favorable à ce type de situation ?

Les dirigeants sont conciliants et très à l’écoute. Ils sont favorables au fait que je continue mes études. Cela dit, il est évident qu’il ne faudra pas abuser. Le but n’est pas d’arriver cramé sur les courses non plus.

« J’AIME LE CHANGEMENT, LA NOUVEAUTE »

Fin 2015, tu avais fait parler de toi lors de la dernière manche de la Coupe de France DN1, la Classique Champagne-Ardenne, en sauvant le Team Vulco-VC Vaulx-en-Velin de la relégation pour un point…
Tout le monde s’est emballé avec cette histoire, en expliquant que j’avais sauvé le club, mais il faut y aller doucement. Ce n’était qu’une placette, rien de plus (28e). Le club s’est maintenu, tant mieux. Mais je n’avais rien fait de fou.

Tu as pris l’habitude de performer sur tes "premières" : Après cette découverte de la Coupe de France, tu as marqué les esprits en mai dernier, pour ton baptême en Classe 2, le Rhône-Alpes Isère Tour, puis lors de tes débuts en Équipe de France Espoirs ?
Malgré les apparences, j’ai bien galéré sur le “RAIT”. Dès la première étape, j’ai perdu toute chance pour le classement général. J’avais vraiment explosé en fin de course, sans doute à cause de ces fameux examens juste avant. Mentalement, ça m’avait épuisé. J’ai aussi été victime d’une chute le troisième jour. Et pourtant, c’est vrai que je me sentais de mieux en mieux au fil des étapes et j’avais pu être à la bagarre (15e du général final, NDLR). Quant au Trofeo Almar avec les Bleus, c’était encore autre chose. J’étais vraiment parti dans l’optique de voir un Français gagner, que ce soit moi ou un équipier. Et finalement j’ai terminé deuxième, seulement battu pour quelques centimètres.

Un peu plus tard encore, tu marqueras une nouvelle fois les esprits pour ta première apparition sous le maillot de la Cofidis, au Tour du Poitou-Charentes. Comment expliques-tu le fait de réussir toutes tes "premières" ?
Je ne sais pas trop. A vrai dire, je n’avais jamais fait attention à cette histoire de réussite sur mes “premières”, même si avec le recul, c’est vrai qu’il y a quelque chose d’intéressant derrière tout ça (sourires). Je crois que j’aime le changement. Finalement, à chaque fois, il s’agit de nouveautés. Ce sont des environnements qui changent et de nouveaux défis. Du coup, je suis encore plus motivé lors de ces événements.

« UNE DE MES GRANDES FORCES : TOUJOURS RELATIVISER »

Tu n’as jamais d’appréhension ou de pression avant ces grands sauts dans l’inconnu ?
J’essaie simplement de ne pas me prendre la tête et de ne pas me poser trop de questions. Je prends toujours sur moi pour être le moins stressé possible. Une de mes grandes forces, c’est de relativiser en toutes circonstances. Après tout, ça sert à quoi de stresser ? Je fais toujours le vide avant une course importante. J’essaie juste de faire du mieux possible. Et visiblement, ça a l’air de bien marcher.

Il y a quand même bien des moments où tu es pris par l’émotion ?
Bon, c’est vrai que ça m’arrive quand même parfois. Le meilleur exemple, c’était sur le dernier Championnat de France Espoirs. Je venais de faire une première grosse moitié de saison, avec cette deuxième place à Buxerolles en Coupe de France (derrière Erwann Corbel, NDLR) et plein d’autres places d’honneur (il totalisera treize Top 10 en fin de saison). Du coup, j’étais devenu l’un des outsiders pour ce Championnat national. Et là, je dois avouer m’être un peu mis la pression. J’étais stressé au départ. Finalement, on connaît la suite : je suis passé à côté de mon Championnat de France Espoirs (32e). Ça m’a encore plus conforté dans l’idée qu’il fallait que je contrôle au maximum mes émotions.


La déception du Championnat de France a été vite oubliée avec ce stage chez Cofidis…

Suite à cet échec, je me posais des questions mais j’ai pu me rassurer dès le premier jour du Tour du Poitou-Charentes. J’ai réalisé après coup que j’avais impressionné pas mal de monde sur cette course-là et à vrai dire, moi aussi, je me suis impressionné.

« JE N’AI JAMAIS VOULU ME FIXER D’OBJECTIFS »

Notamment lors de cette 1ère étape, par 39°C à l’ombre…
Il faisait une chaleur de folie et j’ai mené des bouts droits pendant plusieurs heures pour favoriser une arrivée au sprint. Je me souviens avoir eu un problème avec mes vitesses dans le final et j’ai dû faire les 40 derniers kilomètres sur le 11 dents. Ce qui ne m’a pas empêché de rouler encore une demi-heure en tête de peloton, dans ces conditions. Par contre, quand je me suis écarté, ça piquait pas mal (sourires).

Beaucoup de ceux qui t’ont côtoyé par le passé disent de toi que tu as un "gros moteur". Quand en as-tu toi-même pris conscience ?
A Vaulx-en-Velin, on m’a souvent dit que j’avais du potentiel. Au fond de moi, je crois que je l’ai toujours su car je marchais déjà bien en Juniors (4e d’un Championnat de France, NDLR). Mais je n’ai jamais voulu me fixer d’objectifs à moyen ou long terme. Je me suis toujours dit : “si ça marche, tant mieux, sinon tant pis”. Pendant longtemps, je n’ai pas cherché à analyser ma progression. Peut-être aussi parce que j’ai toujours eu d’autres objectifs en parallèle avec mes études de médecine.

Au printemps 2015, tu étais encore en deuxième catégorie. Un an et demi plus tard, te voilà professionnel…
Si au mois de mars dernier, on m’avait dit que j’allais être professionnel en 2017, j’aurais vraiment rigolé. Cela dit, mentalement, je me suis toujours adapté pour voir plus haut. Quand tu as de bons résultats, tu en veux toujours plus.

Tu n’as jamais eu peur que tout aille trop vite pour toi ?
C’est vrai que tout a été super vite. J’en ai été le premier surpris. Je me suis posé des questions, notamment pour savoir s’il n’était pas plus sage de ne passer pro qu’en 2018. Mais d’un autre côté, on ne sait jamais ce qu’il peut se passer dans le sport de haut-niveau. Si j’étais resté chez les amateurs une année de plus et que j’avais passé la moitié de la saison sur la touche à cause d’une chute ? J’avais une opportunité de passer pro, il fallait la saisir. Il faut prendre ce qu’il y a à prendre.

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