La Grande Interview : Corentin Ermenault

Crédit photo DirectVelo.com

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A 20 ans, Corentin Ermenault a déjà laissé sa trace dans le bois des vélodromes. 22 octobre 2016, finale de la poursuite individuelle au Championnat d'Europe. Devant le public de saint-Quentin-en-Yvelines (« mon corps était à la peine, mon esprit était léger »), le coureur picard ose un départ très rapide, se remplit les jambes d'acide lactique mais contient le retour de son adversaire Filippo Ganna, le Champion du monde à qui il inflige, donc, une défaite. Ermenault, fils d'un Champion olympique sur piste (en 1996 à Atlanta), c'est aussi deux titres de Champion d'Europe de poursuite par équipes. Et sur route, deux médailles au Championnat de France Espoirs et une 4e place au Championnat d'Europe contre-la-montre. Entre les deux disciplines, il refuse de choisir. C'est la raison pour laquelle il devrait s'engager ces prochains jours au Team Wiggins. « Coco » deviendrait ainsi « Cow-Cow », comme le surnomment déjà ses copains. Sur ce transfert, il ne dira rien encore. Mais, pour DirectVelo, Corentin Ermenault, le grand blond serein et déconneur parle passion, plaisir, pêche à la ligne et parmesan.

DirectVelo : A l'heure où tes collègues cyclistes sur route profitent de leurs vacances, toi tu es encore sur la brèche des compétitions, engagé sur une manche de la Coupe du Monde à Glasgow (Ecosse). Tu ne satures pas ?
Corentin Ermenault : Non, ça va. Bien sûr, l'enchaînement est lourd : depuis la fin août, j'ai dû rentrer seulement une semaine chez moi. Le reste du temps,  je suis avec l'Equipe de France route, l'Equipe de France piste, le CC Nogent-sur-Oise, en course ou en stage. Dès qu'une compétition est terminée, je pars le soir en bagnole sur mon prochain camp d'entraînement. Mais j'aime bien ce mode de vie pour le moment, cette idée de ne pas avoir du temps pour penser à moi. Et comme les résultats suivent, je suis motivé pour continuer encore un peu. D'une fois à l'autre, je m'épate. Alors je rempile sur la course d'après pour voir si je peux faire aussi bien.

C'est terrible, non, de dire que tu ne veux pas du temps pour penser à toi ?
Tout dépend du contexte. En ce moment j'ai très envie de faire du vélo. Comme j'ai été absent des pelotons deux mois et demi à cause d'une fracture au bras, je me sens une certaine fraîcheur. Mais je sais aussi me ménager.

« J'AIME BIEN ALLER A LA PÊCHE »

Comment t'y prends-tu ?
Pour sortir de mon hyperactivité, j'aime bien aller à la pêche. Cette saison, j'ai dû y aller quatre ou cinq fois, seul ou avec mon frère. Je me pose pendant trois heures au bord de l'étang et je fais le vide.

C'est important de garder ta petite bulle ?
Oui, j'aime bien cette tranquillité parfois. Le reste du temps, je ne suis pas du genre ultra-concentré. Avant une poursuite par équipes, je vois la plupart des gars déjà dans leur sujet, ils ont déjà enfilé leur casque, ils ne décrochent plus un mot. Moi, jusqu'au dernier moment, je déconne. C'est ma façon à moi d'évacuer la pression. Je reste connecté aux gens qui m'entourent. Avant de m'élancer pour la poursuite des Championnats d'Europe, j'étais avec les mécanos et les assistants. On s'amusait. Si je me souviens bien, je leur faisais un bruit de moto. Une façon de leur dire qu'on allait rouler très très vite ! [rires]

Tu es tête en l'air ?
Non, je ne crois pas.

« LE PELOTON N'ETAIT PLUS LA »

Qu'est-ce que c'est que cette histoire du Tour de Normandie cette saison, où tu rates le départ d'une étape ?
Je plaide non coupable ! Mon directeur sportif nous avait demandé de repérer le circuit final, qui était situé près du départ. Il nous avait dit que nous avions le temps. Alors j'ai pris le temps. Quand je suis revenu au départ, le peloton n'était plus là. Petit problème... [Il rit] J'ai chassé pendant un bon quart d'heure pour revenir. Finalement j'ai rejoint les gars. Après je ne pouvais plus faire grand chose, j'étais bien entamé. Mon Tour de Normandie a bien failli s'arrêter là.

Ton père a toujours été soucieux de te ménager. Il te freine encore ?
Il me dit toujours : « Je ne veux pas que tu ailles trop au charbon ». Mais, depuis le début, je n'ai pas l'impression d'en faire trop. Sauf peut-être dans ma première année Junior : je m'étais laissé emporter par les propositions de sélections en Equipe de France. Là, ça m'avait cramé.

Ton père Philippe, médaillé d'or de poursuite aux Jeux olympiques en 1996, t'a empêché de faire du vélo avant tes 14 ans. Tu rongeais ton frein ?
Je faisais du foot et j'étais heureux. Je jouais au RC Salomel depuis mes quatre ans. J'aimais bien le vélo, je regardais les courses à la télé avec mon cousin mais il ne me tardait pas plus que ça de m'y mettre. Je savais que le jour arriverait. Si ça n'avait tenu qu'à moi, j'aurais peut-être attaqué vers mes onze ans. Mais le foot m'occupait bien comme il faut. Et mon père était inquiet de voir certains jeunes commencer le vélo trop tôt. A 17 ou 19 ans, certains arrêtaient le vélo parce qu'ils en avaient déjà marre, d'autres étaient déjà cramés physiquement.

« LE VELO C'EST NATUREL »

Plusieurs techniciens soulignent ta position impeccable sur un vélo. C'est naturel ?
Pour moi, le vélo est naturel. Je n'ai quasiment pas changé ma position depuis mes débuts. Pareil pour le cyclisme sur piste en général. Quand j'étais Cadet première année, le CTR de Picardie, Herman Terryn, nous a proposé de faire la Journée de l'Américaine à la Cipale. Pour nous préparer, nous sommes allés sur le vélodrome de Senlis. Dès que je suis monté sur mon vélo, je me suis senti bien. Je me suis rappelé les cassettes vidéo de mon père que je regardais de temps en temps. L'impression de vitesse, je la vivais enfin.

La piste, c'est aussi une ambiance ?
Voilà le plus important à mes yeux. Aux Championnats d'Europe, il y a quinze jours, je n'aurais jamais pu gagner la poursuite individuelle sans le public. J'ai décidé de partir à bloc mais ensuite, il fallait tenir. Une nouvelle fois, j'étais connecté aux gens dans les tribunes. Il y avait des amis, des membres de ma famille, une quinzaine de personnes venues exprès pour moi, plus des supporters, des passionnés de vélo... A la mi-effort, je souffrais terriblement, j'avais les jambes qui brûlaient, j'étais obligé d'ouvrir grand la bouche parce que je n'arrivais plus à ventiler. C'est le public qui m'a aidé à finir. J'entendais du monde non pas sur la ligne opposée mais tout autour de l'anneau. C'était une émotion incroyable. Mon corps était à la peine mais mon esprit était léger grâce à cette énergie. Ça, c'est la force de la piste.

Comme dans un stade de foot ?
J'aime toujours le foot, certainement pour cette raison. Nous avons parfois droit à des publics incroyables. Il y a deux ans, à la Coupe du Monde en Colombie, à Cali, le public était complètement fou. Tellement nombreux que les gens devaient s'asseoir sur les marches des escaliers. Quand la bagarre était lancée, ils s'affolaient. Il y avait de la musique à fond, un air de film à suspense avant le départ puis quelque chose d'intense et rapide pendant qu'on courait.

« JE NE JOUE PAS LA COMEDIE »

Au milieu, vous êtes comme des acteurs ?
Non, je ne me vois que comme un sportif,  je ne joue pas la comédie. Mais il est vrai que la piste est un spectacle. En Colombie, le speaker sait mettre l'ambiance. Principalement quand des Colombiens étaient en lice pour une médaille, mais il nous respectait aussi, nous les coureurs français.

La France est-elle une grande nation de piste, selon toi ?
Je pense que oui. Il y a eu un creux dans les résultats après la génération de mon père. Mais nous sommes repartis ! A titre personnel, je n'ai jamais eu l'impression d'un vide, bien au contraire, je m'inscris dans une dynamique. Chez les Juniors, nous avons fait un gros travail avec Hervé Dagorne et maintenant, chez les Espoirs je collabore avec Steven Henry. Le groupe d'athlète se met en place en même temps que les entraîneurs arrivent en fonction. Les résultats sont encourageants aussi ! Aux Championnats d'Europe, nous avons battu en poursuite par équipes le groupe d'Italiens qui termine 6e des Jeux olympiques cet été [derrière la Grande-Bretagne, l'Australie et le Danemark, NDLR]. L'enjeu était différent, mais nous montrons notre potentiel.

Il paraît que tu es très intéressé par le cyclisme sur piste britannique également. Qu'est-ce qui te séduit ?
Les moyens qu'ils se donnent. On ne connaît pas tous les détails de leur préparation, chaque pays aime garder sa part de secrets. Mais on s'inspire de ce qu'ils font quand on le peut. Par exemple, nous avons décidé de prendre des relais plus longs dans la poursuite par équipes. Ça, c'est un truc anglais. Ce que j'aime bien, c'est la place importante qu'ils donnent à la piste. Chez eux, un cycliste peut se consacrer à la piste à 100 % s'il le veut car il y a des structures pour l'encadrer et pour lui permettre d'en vivre. S'il veut faire de grosses séances de muscu, c'est possible. Nous, on ne peut pas passer autant de temps qu'eux en salle parce qu'on doit s'entraîner pour la route. Car c'est la route qui fait vivre la piste en France.


ROUTE ET PISTE

Si tu avais le choix de cesser la route, est-ce que tu deviendrais pistard professionnel ?
Non, je ne crois pas. La route occupe une place majeure pour moi. Je tire mon équilibre des deux disciplines. Je voudrais vraiment faire carrière dans les deux. On parle de moi plutôt comme d'un pistard. Mais si on enlève mes résultats sur piste, j'ai quand même quelques références sur route cette saison.

En effet, tu termines 3e du Tour des Flandres et 4e du Championnat d'Europe du contre-la-montre Espoirs, mais c'est moins remarquable que des titres de Champion d'Europe. Comment te définirais-tu sur route ?
J'aime beaucoup les classiques. C'est l'autre côté du cyclisme qui me tient à cœur, avec la piste. J'ai découvert ces courses proprement dit avec Paris-Roubaix Junior. J'aimerais réussir dans ce registre... Pour l'instant, il y a les chronos, bien sûr, qui m'apportent le plus de résultats.

Comment grimpes-tu ?
Pas comme un pur spécialiste mais pas comme un mec de 80 kilos non plus. Mon poids idéal se situe à 70,8 kg. Je n'ai pas encore eu l'opportunité de me battre sur des courses de montagne et puis, pour vous dire la vérité, quand j'arrive dans un col, j'ai la flemme de me faire mal face aux meilleurs [rires] ! Mais je n'ai pas dit mon dernier mot. Si je perds ne serait-ce qu'un kilo, je pourrais monter beaucoup mieux qu'aujourd'hui : pas avec les grimpeurs mais dans le groupe juste derrière.

Tu travailles à cette transformation, pour progresser dans les courses à étapes ?
Pour le moment, non. Je suis encore jeune. Je ne veux pas me prendre la tête.

AVANTAGE AUX JEUX

Qu'est-ce qui est le plus important à tes yeux, le Tour de France ou les Jeux olympiques ?
[Il hésite]. Les deux événements sont importants, je ne vois pas pourquoi les opposer.

Parce que ça nous dirait vraiment de quel côté de la balance du cyclisme tu penches ?
Mais j'espère découvrir le Tour et les Jeux un jour ! Bon, si je réfléchis bien, je vais quand même donner un avantage aux Jeux. Tu te bats pour un titre olympique et il n'y a aucun objectif plus élevé dans le sport. Je dis peut-être ça en raison de mon histoire familiale mais c'est sincèrement ce en quoi je crois. D'ailleurs, j'aurais beaucoup aimé être au départ à Rio. Malheureusement, l'équipe ne s'est pas qualifiée pour la poursuite (lire ici). J'ai donc Tokyo 2020 en tête. Et un programme sur route également.

On termine par une question gastronomique. Il paraît que tu crées des recettes délirantes ?
[Il éclate de rire]. Mais qui vous a dit ça ? Bon, j'adore le parmesan, j'ai tendance à en mettre partout. Ca tombe bien, j'adore les mélanges. Comme je dis, une bonne chose plus une bonne chose, ça fait un résultat encore meilleur !

Ta dernière création ?
Du parmesan dans ma compote. Et vous savez quoi ? C'était effectivement meilleur !

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