Au bord de la Corée du Nord, une course cycliste

Crédit photo DR

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C'est un des endroits les plus dangereux de la planète, et pourtant un des plus beaux coins de nature, et un lieu symbolique pour la paix. La « DMZ », la « Zone démilitarisée » entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, est une frontière ultra-étanche, avec son million de mines antipersonnel et autant de militaires placés en état d'alerte... C'est aussi le théâtre d'une nouvelle épreuve cycliste Juniors, à laquelle une équipe française a participé de vendredi à mardi passés.

"On n'avait pas idée qu'une telle zone existait jusqu'à ce qu'on arrive sur place", raconte Frank Cannella, l'entraîneur, à DirectVelo.

A l'origine, il s'agissait essentiellement de disputer une épreuve inédite en Corée du Sud, le « Tour de DMZ », 338 km découpés en cinq étapes. Deux Juniors français sont sélectionnés, Louis Aubert (VC Saint-Antoine-la-Gavotte) et Lucas Largo (UC Pays de Gap), mais aussi un Espagnol, Ivan Martell, et deux Britanniques : Tomos Owen et le Champion national sur route en titre, Jacob Vaughan.

MITRAILLEUSES ET CHAMPS DE MINES

L'effectif se construit non sans mal, entre les passeports pas toujours faciles à obtenir, la rentrée scolaire qui se profile, la préparation aux Championnats d'Europe à Plumelec... Finalement, les billets d'avion sont reçus la veille du départ. Et le petit groupe fait connaissance à l'aéroport de Munich, en Allemagne. La barrière de la langue les freine un peu - mais cette frontière-ci n'a pas de barbelés.

En apparence, il s'agit d'un voyage comme d'autres. A cet indice-près que la fédération sud-coréenne voulait célébrer les 130 ans de relations diplomatiques bilatérales entre la France et la Corée. Et surtout, comme le proclame le ministre de l'Intérieur dans le programme officiel du « Tour de DMZ », proposer "un festival international du sport", destiné à "unifier les peuples par-delà les générations, les idéologies, les frontières nationales dans une aspiration à la paix mondiale".

Arrivé sur place, le Team Café du Cycliste-France (son nom officiel) est happé par une ambiance à la fois oppressante et grouillante de vie. Le départ de la première étape est donné devant des spectateurs enthousiastes, un parterre d'officiels et une fanfare qui donne d'emblée un ton solennel. Le premier rassemblement se tient à Goseang, à l'est du pays, au bord de la mer. En réalité, un poste d'observation militaire : de l'autre côté des miradors et des champs de mines, la Corée du Nord, le pays le plus fermé de la planète, une effroyable dictature.

ECHANGES

"Nous avons vu des soldats partout jusqu'à la fin de notre séjour, raconte Frank Cannella. Nous croisions des chars, des check-points sur l'autoroute, des mitrailleuses dissimulées derrière des sacs de sable. On pouvait aussi apercevoir des canons de la Corée du Nord pointés sur le Sud... La menace était vraiment palpable !". La peur, refoulée ou par pics, forme d'ailleurs le quotidien de ce même peuple coupé en deux depuis 1953. Mardi, le régime de Pyongyang (Nord) tirait encore des missiles en Mer de Chine pour intimider le Sud (sous protection des Occidentaux) et se rappeler au bon souvenir des grands de ce monde, réunis au même moment au G20 de Pékin.

S'il y a la guerre (froide), il y a aussi la paix. Des monuments appellent à la réunification des deux Corée le long de la « DMZ », au minimum à la fin des provocations guerrières. La nouvelle course cycliste est de ces événements que le gouvernement de Seoul (Sud) veut utiliser pour attirer l'attention sur le conflit et conforter son appel à la paix.

La paix ? Ce que les dirigeants politiques ne peuvent pas faire, les coureurs Juniors l'ont entrepris à leur façon. "Le peloton était très international et nous échangions entre nous, dit Cannella. Les jeunes discutaient et se prenaient en photo. Notre mécano est allé donner un coup de main aux autres pays. Chacun était très très heureux de participer, de se découvrir, de partager un moment unique dans une ambiance hors-du commun". Outre le team « français » (et espagnol/britannique), le plateau rassemblait des Thaïlandais, Japonais, Mongols, Ouzbeks, des Sud-Coréens formés dans des sections sport-études – mais pas de Nord-Coréens.

TOUT DONNER

"Il y avait quelque chose de très stimulant dans l'organisation, poursuit l'entraîneur français. Nous avons été traités avec beaucoup de soin et nous avons découvert une autre culture du sport, avec des départs donnés d'installations sportives flambant neuves, des stades ou des pistes d'athlétisme qui montrent l'investissement du gouvernement sud-coréen. On voyait aussi que beaucoup de coureurs étaient là pour tout donner...".

Visiblement inspirés, les deux Juniors venus du Sud de la France se sont transcendés au fil de l'épreuve. Permettant à leur collègue Vaughan de remporter deux fois le sprint du peloton, tantôt pour la 5e place de l'étape, tantôt pour la 6e.

Mardi soir, les images se brouillaient dans les esprits au moment de regagner l'hôtel. Les cérémonies au son de la fanfare, les soldats en tenue de combat, la beauté de cette zone démilitarisée où la nature a pris ses droits, et donc une course cycliste au milieu de tout ça, un voyage que chacun espère renouveler à travers ce « Team » éphémère pour éprouver le contact physique du sentiment de paix.

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