La Grande Interview : Léo Vincent

Crédit photo Zoé Soullard / DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard / DirectVelo

« Je m'attends à souffrir, mais je suis prêt ». A l'heure d'achever la Grande Interview, Léo Vincent est confirmé néo-professionnel pour 2017 et 2018 dans l'équipe FDJ. Le grimpeur de 20 ans y rejoindra d'autres anciens coureurs du CC Etupes (Thibaut Pinot en tête), d'autres Franc-comtois comme lui (il est de Vesoul, la ville du Championnat de France 2016 ; pas de chance, il était malade le jour J). A la FDJ, le grimpeur sera dans un premier temps équipier. « Je sais faire ce boulot », dit-il, lui qui passe souvent pour un électron libre. Son aisance en montagne va compter. Vincent a d'abord remporté des étapes sur des épreuves UCI l'an passé, sur la Ronde de l'Isard ou le Tour des Pays de Savoie-Mont Blanc. Membre régulier de l'Equipe de France (il dispute actuellement le Tour de l'Ain avant d'aborder le Tour de l'Avenir), il a encore monté d'un cran cette saison, placé au classement général, vainqueur du Tour du Jura, 3e à l'Isard, 4e en Savoie... « Je n'ai jamais passé un gros cap d'un coup », rappelle-t-il. Une progression sportive qui reflète son caractère, toujours présent mais dans la discrétion.

DirectVelo : Il y a des jeunes coureurs qui éclatent aux yeux du grand public en quelques semaines mais pour ce qui te concerne, on a l'impression que tu as connu une progression très linéaire depuis tes plus jeunes années sur un vélo ?
Léo Vincent : Doucement mais surement. Et ça tombe bien, car c'est vraiment ma philosophie. Je n'ai jamais voulu sauter les étapes. J'aime faire les choses de façon progressive. J'ai fait mon petit bonhomme de chemin, course après course, mois après mois. Je n'ai pas explosé d'un coup. Personnellement, j'ai été surpris de voir, assez souvent, des gars doubler leur nombre de kilomètres à l'entrainement d'une saison à l'autre, dans les jeunes catégories. Je n'ai jamais fait ce genre de choses. Passer un gros cap d'un coup, comme on dit, ne m'est jamais arrivé. Je me suis contruit en faisant preuve de patience. Tout a commencé en Pupilles, lorsque j'ai décidé de suivre le chemin de mon père, qui était lui aussi passé par le circuit amateur. Au début, ma discipline de prédilection était le cyclo-cross (il a été Champion de France Cadets en 2011 puis vice-Champion de France Juniors en 2013, NDLR). Mais lorsque je suis arrivé au CC Etupes, on m'a demandé de faire mon choix entre la route et le cross. Entre temps, j'avais également découvert le plaisir de monter des cols. 

C'est ainsi que tu t'es, petit à petit, spécialisé dans la montagne ?
Je m'étais découvert des qualités de grimpeur dès les Juniors, sur le Tour du Pays de Vaud ou sur la Classique des Alpes (7e d'une édition remportée par Aurélien Paret-Peintre, en 2013, NDLR). Tout cela s'est confirmé à mon arrivée chez les Espoirs, puisque j'ai rapidement fait des résultats sur des épreuves d'importance comme le Tour des pays de Savoie ou la Ronde de l'Isard (vainqueur d'étape en 2015, NDLR).

« J'ETAIS TROP JEUNE, AVEC TROP PEU D'EXPERIENCE »

Et te voilà maintenant avec un contrat en poche à la FDJ pour 2017 (lire ici) ?
Oui, mais il y a d'abord eu le CC Etupes. C'est là que je me suis construit, pendant trois saisons. Maintenant, je vais rejoindre une équipe WorldTour pour 2017, et c'est quelque chose ! Je vais découvrir un nouveau vélo. Forcément, je m'attends à souffrir au début mais je me dis que j'aurai du temps pour m'adapter et prendre de la caisse. 

Tu as toujours su où tu voulais aller ?
Disons plutôt que j'ai su où je ne voulais pas aller. L'an dernier par exemple, je savais qu'il était encore trop tôt pour passer professionnel. Je ne m'attendais pas forcément à faire une saison 2015 comme celle-là, à savoir disputer le Tour de l'Avenir ou me retrouver stagiaire chez Roubaix Lille Métropole. Tout ça était nouveau et psychologiquement, je n'étais pas encore prêt à franchir le pas. Il me fallait une saison supplémentaire chez les amateurs. J'étais trop jeune, avec trop peu d'expérience du haut-niveau.

 
Tout semble maîtrisé et calculé, comme si tu avais suivi un plan à la lettre depuis plusieurs saisons ?
J'ai simplement tâché de progresser en prenant le temps d'analyser chacune de mes erreurs.

Par exemple ?
Je n'ai pas toujours fait attention à mon poids. De retour à l'entrainement, il m'arrivait d'en faire trop pour vite compenser. Ca faisait deux erreurs d'un coup. Même chose lorsque j'étais malade. Au lieu de me reposer, je partais quand même faire de longues sorties pour respecter à la lettre mon plan d'entrainement. Aujourd'hui, je suis plus serein et lorsque je ne suis pas à 100%, je prends le temps de me soigner, en faisant une petite séance au chaud à la maison, sur home-trainer. Ce ne sont pas des détails. Ne plus faire ces erreurs, c'est un vrai gain de performance.

« PAS QUELQU'UN D'INDIVIDUALISTE »

Lundi dernier, tu as disputé la victoire à ton équipier Fabien Doubey dans la dernière ligne droite du Prix d'Authoison, alors que l'on s'attendait à vous voir franchir la ligne d'arrivée main dans la main...
L'arrivée était à seulement 10 kilomètres de la maison, alors ça me tenait à coeur de lever les bras. Et puis, Fabien avait lui aussi déjà gagné plusieurs fois cette saison, alors je ne voyais pas de raison particulière de le laisser gagner. On s'est joué la gagne à la régulière, sans malentendu. Sur d'autres courses, il arrive que des coureurs d'une même équipe se fassent le sprint. C'est le vélo.

Certains pourraient penser qu'il s'agit d'un geste individualiste...
Je ne suis pas quelqu'un d'individualiste. En mars dernier par exemple, j'ai laissé Emilien (Viennet) gagner sur le Critérium du Printemps, et je l'ai fait avec plaisir. Nous avons coupé la ligne d'arrivée main dans la main, cette fois-ci. Mais il faut bien aussi gagner, de temps en temps. Nous sommes dans un sport où il y a des individualités fortes, et il faut réussir à prendre sa part du gâteau.

Et toi alors, tu fais partie de ces "individualités fortes" ?
Je ne sais pas. Certains diront que oui, et d'autres que non. C'est difficile de s'auto-évaluer sur des sujets liés au caractère ou à la personnalité. Je suis quand même relativement discret.

« JE PREFERE RESTER EN RETRAIT »

Quelle est ta définition d'un coureur à forte individualité ?
Il s'agit d'un coureur qui pousse une équipe vers le haut, qui sait prendre des décisions et les assumer. C'est un gars qui n'a pas peur de dire : "Toi, tu fais ça" en pleine course. Dans toutes les équipes, il y a ce type de coureurs. Au moins un. Généralement, on parle de "guide" ou de "capitaine de route". Emilien (Viennet) a fait ça très bien au CC Etupes, pour donner un exemple. Quand il fallait pousser un petit coup de gueule, il savait le faire.

Et toi ?
Je n'aime pas ça du tout. Je ne suis pas à l'aise avec l'idée de m'imposer dans un groupe. Je préfère rester en retrait. Je n'ai pas envie de devoir demander quelque chose à un équipier, alors j'évite au maximum de le faire.

Parce que tu ne veux pas avoir de comptes à rendre après l'arrivée ?
Non. C'est plutôt que quand des coureurs se sacrifient pour moi durant une course, j'ai toujours peur de ne pas assurer derrière. Du coup, je fais tout pour éviter qu'ils en fassent de trop.

« JE NE VEUX PAS QUE LES MECS TRAVAILLENT POUR RIEN »

En fait, tu demandes à tes équipiers de ne pas t'aider lorsque tu es le leader de l'équipe ?
Je ne veux pas que les mecs travaillent pour rien, alors je leur dis d'en garder aussi sous la pédale pour jouer leur carte personnelle si je n'ai pas les jambes. Juste au cas où. C'était d'ailleurs le cas très récemment en Italie (sur le Trofeo Almar, en Coupe des Nations Espoirs, NDLR). Pierre-Yves (Chatelon, sélectionneur de l'Equipe de France) m'avait dit : "On va mettre toutes les chances de ton côté pour le sprint final". Les gars devaient travailler pour moi. Mais je suis allé voir Dorian (Godon) et je lui ai dit qu'il fallait qu'il joue sa carte si je me loupais ou qu'il m'arrivait quoi que ce soit. Et heureusement que je l'ai fait, car j'ai rencontré un soucis mécanique dans le final et je n'ai pas pu aller faire le sprint. Au final, Dorian a terminé 2e. Nous n'avons pas tout perdu.

Si tu veux briller sur les courses par étapes, il va certainement falloir que tu deviennes un leader plus affirmé...
J'en ai bien conscience et j'essaie déjà d'y travailler. Je m'améliore doucement.

Chez les pros, tu devrais de toute façon redevenir équipier, non ?
Oui, tout coureur doit être amené, à un moment ou un autre, à travailler pour un équipier, et c'est déjà le cas chez les amateurs. Il y a un principe qui me plait bien au CC Etupes : on peut être leader sur une course et équipier sur la suivante. En 2014, sur le Tour de Franche-Comté, Jérôme Gannat (directeur sportif du CC Etupes) m'avait clairement dit : "On te prend dans l'équipe, mais tu devras à 100% aider Guillaume" (Martin, finalement 2e du général). C'est ce que j'ai fait. Même chose plus récemment sur la Course de la Paix Espoirs, cette saison. J'ai tout donné pour David Gaudu le dernier jour.

« UN SIMPLE "MERCI" PEUT FAIRE TOUTE LA DIFFERENCE »

Dans ces cas-là, c'est un travail d'équipier à part entière ?
Oui, surtout qu'il restait 20 kilomètres quand je me suis relevé. C'est le jeu de mettre parfois de côté ton ambition personnelle. Il y a des consignes qui sont données par les dirigeants au club, ou par le sélectionneur en Equipe de France. A partir de là, il faut les respecter. Et puis parfois, ça se joue aussi à la pédale. Par exemple, sur la Course de la Paix, j'étais co-leader avec David Gaudu mais il a été meilleur que moi sur la première arrivée difficile. Alors il était normal que je me mette à son service. Il est quand même plus agréable d'avoir un remerciement à la fin.

C'est-à-dire ?
Sur cette même Course de la Paix, David nous a tous remerciés à la fin de la course. Un simple "merci" peut faire toute la différence. Le travail d'équipe et la reconnaissance sont des choses essentielles en cyclisme. Inconsciemment, quand on travaille pour quelqu'un, on attend toujours un petit retour. Et généralement, cela doit se faire naturellement. Il n'y a qu'à voir comment ça se passe au Chambéry CF ou au Vendée U. Les mecs partent en vacances ensemble à l'intersaison. Ca, c'est quelque chose qui me plaît. 

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