La Grande Interview : Emilien Viennet

Crédit photo Jean-Michel Ruscitto - DirectVelo.com

Crédit photo Jean-Michel Ruscitto - DirectVelo.com

Qu'est-il arrivé à Emilien Viennet ? Des débuts fracassant, une sorte de trou noir et un sursaut cette saison. Chez les jeunes, le Franc-Comtois était l'un des meilleurs de sa génération : Champion de France Cadets (route et cyclo-cross), Champion d'Europe (cyclo-cross) et vice-Champion d'Europe (contre-la-montre) chez les Juniors... Puis un échec pendant son contrat pro à la FDJ, en 2013 et 2014 : à peine cinq petits jours de course en deux saisons. De retour au CC Etupes en 2016, Viennet, 24 ans, raconte le mal dont il a longtemps souffert : la dépression. « Quand tu as 20 ans, que tu dois aller chez le psy alors qu’on te raconte que tu as une 'vie de rêve', ça fait mal », dit-il. Aujourd'hui, alors que le Franc-comtois dit reprendre du « plaisir » sur un vélo, il accepte de se confier sur ses années difficiles.

DirectVelo : Content de pouvoir enfin t'inviter dans « la Grande Interview ». Tu passes en effet pour l’un des coureurs les plus mystérieux du peloton amateur...
Emilien Viennet : Ah bon ? « Mystérieux » ? Ce n’est pas forcément le mot que j’emploierais. « Discret », oui, mais c’est dans ma personnalité depuis toujours. Il faut également préciser que je ne viens pas du monde du vélo. J’ai rapidement pris beaucoup de recul par rapport à tout ce qui entoure ce sport.

Du recul ?
Oui. Je n’ai jamais ressenti le besoin d’étaler ma vie dans la presse. Donner mes impressions sur une course et mes ambitions pour la suivante : pas mon truc ! Je suis l'actualité du vélo d'assez loin. De temps en temps, je regarde les résultats des copains sur DirectVelo. C'est tout. D’ailleurs, je ne lis même pas vraiment les articles qui me concernent.

Tu prends tout de même le temps de savourer tes succès ?
Pas vraiment ! Je suis quelqu’un qui passe très vite à autre chose. Le lendemain du Tour de la Manche, ma petite amie m’a proposé d’aller boire un coup pour fêter ça : j’ai refusé. Pour moi, cette victoire était déjà du passé et il n’y avait plus rien à fêter.

« J'ESPERAIS REBONDIR EN DEVENANT PROFESSIONNEL »

Si les gens te trouvent mystérieux, c’est peut-­être parce que ton expérience a tourné court chez les professionnels...
C'est vrai. J’avais déjà quelques soucis personnels avant de passer pro. Tout a commencé lorsque j'étais au CC Etupes en 2012. J'ai passé une saison très moyenne [il termine 3e du Tour de Gex­-Valserine et 10e du Chrono de Vassivière, en Coupe de France DN1. Mais la FDJ l'a assuré de son passage chez les professionnels depuis sa saison 2011, NDLR]. Malgré la difficulté, je n’ai rien lâché. J’espérais rebondir l’année suivante en devenant professionnel.

Pourtant, une fois recruté par la FDJ, tu n’as toujours pas réussi à retrouver le moral ?
Je pensais que ce passage chez les pros allait me rendre heureux... Mais ça n’a pas du tout été le cas. Les problèmes ont commencé d’entrée de jeu. Je devais débuter en Australie, sur le Tour Down Under. A l’époque, partir là­-bas, c'était un petit rêve (lire ici). Et juste avant le départ, j’ai fait une crise d’angoisse. Aujourd’hui encore, je ne me comprends pas tellement pourquoi. J’étais mal, et tout a lâché à ce moment-­là. Entre l’angoisse, mes problèmes personnels et la fin d’une grosse préparation hivernale, je crois que mon corps a simplement lâché.

Ta carrière professionnelle commence avec un faux départ ?
Effectivement. Après ce départ raté, je suis rentré chez moi en Franche-­Comté, pour souffler. J'avais besoin de me ressourcer et faire le vide. Mais le mal était fait. Clairement, le fait de ne pas monter dans cet avion pour l’Australie a ruiné ma saison 2013. Et par extension ma carrière cycliste professionnelle. C’était un énorme échec... Moi qui croyais rebondir, je me suis encore plus enfoncé à ce moment précis. Surtout, j’avais bien conscience de ne pas faire mon job. Incapable de mettre un dossard, je ne respectais pas ma part du contrat. Je n’en avais pas la force mentale. Et ça, j’ai eu beaucoup de mal à l’encaisser pendant très longtemps.

« J'AVAIS DE PLUS EN PLUS DE MAL A M'EN SORTIR »

Finalement, tu ne porteras pas une seule fois le maillot de la FDJ de la saison...
C’est ce que l’on appelle une saison blanche, une vraie ! Après l’épisode de l’Australie, je suis tombé dans un cercle vicieux. Dans une dépression, tout simplement. Je n’ai pas de honte à le dire, j’ai commencé à me faire suivre par un psychologue, et cela a finalement duré deux longues années. Quand tu as 20 ans, que tu dois aller chez le psy alors qu’on te raconte que tu as une « vie de rêve », ça fait mal. Sincèrement, j’en ai vraiment chié.

Tu continuais de rouler durant cette saison blanche ?
Parfois, je roulais fort pendant plusieurs jours, plusieurs semaines. A d’autres moments, je posais le vélo au garage pour une période indéterminée. Je restais en famille. Il ne se passait rien de spécial.

Tu n’as jamais eu la force de reprendre la compétition ?
Si, plusieurs fois. J’ai tenté, mais c’était trop dur. J’étais trop mal dans ma tronche pour réussir à franchir le pas. Quand dans ta tête, tu te dis que tu es « faible » et que tu as fait le « con » [il fait de nouveau référence à son forfait pour le Tour Down Under, NDLR], ça n’aide pas à se remobiliser. Je me suis renfermé sur moi­-même et j’avais de plus en plus de mal à m'en sortir. C’était d’autant plus frustrant de ne pas courir que j’ai essayé de revenir.

« JE VOULAIS MONTRER QU'IL NE FALLAIT PAS M'ENTERRER »

De quelle façon ?
J’ai fait des stages en montagne. J’avais envie de montrer que ma place était dans le peloton professionnel et que j’avais le niveau. Au fond de moi, je croyais en un retour. Mais c’était trop dur. 

Il a fallu attendre le début de ta deuxième saison pro pour que tu raccroches un dossard...
Oui, c’était au GP La Marseillaise. A ce moment-­là, j’espérais une nouvelle fois que tous mes problèmes seraient derrière moi (lire ici). Je comptais repartir sur quelque chose de neuf avec l’équipe. Bien sûr, je n’avais pas disputé la moindre course depuis très longtemps, mais je voulais simplement retrouver le plaisir de courir – ou du moins essayer.

Et à la surprise générale, tu réalises une performance solide sur le Tour du Haut­-Var (2.1), fin février, qui n’était que ta deuxième course depuis près d’un an et demi ?
Je voulais montrer qu’il ne fallait pas m’enterrer, que j’existais. J’avais ce mental et cette hargne peut­-être supérieurs à la normale, après tout ce qu’il m’était arrivé. Je me savais capable de réaliser de bonnes performances. Mais je dois bien avouer que j’étais le premier surpris par ce résultat [il termine 3e à Draguignan en lâchant notamment Cadel Evans dans la dernière ascension, pour finalement prendre la 8e place du classement général final, remporté par Carlos Betancur, NDLR]. C’était aussi une réponse à tous ceux qui avaient dit que je n’étais pas fait pour le vélo et que je n’avais pas le mental. 

« DES PERSONNES EN QUI J'AVAIS CONFIANCE M'ONT LAISSE TOMBER »

C’était faux ?
Bien sûr. J’ai eu des soucis personnels, oui, mais sur le vélo, j’ai toujours su me faire mal. Sinon – et je le dis très modestement –, je n’aurais pas eu les résultats que j’ai pu obtenir pendant plusieurs années. Pour ma première saison Espoirs, je comptais parmi les dix meilleurs amateurs français.

Sauf qu’après ce sursaut dans le Haut-­Var, tu as de nouveau disparu des écrans radar...
J’ai simplement fait une rechute, et une nouvelle fois, je n’ai plus éprouvé l’envie de courir pour différentes raisons [il se présentera en mai au GP de Plumelec et aux Boucles de l’Aulne, avec deux abandons à la clef, NDLR). Je n’ai pas forcément été soutenu comme j’aurais pu l’espérer, et je pense que je n’ai pas forcément rencontré les bonnes personnes aux bons moments. Mais j’admets avoir ma part de responsabilités. Je ne jette pas la pierre à la FDJ. Cette équipe m’a donné une opportunité chez les pros.

Y avait-­il quand même des gens, dans ton équipe, pour te soutenir ?
Marc (Madiot) a toujours été là pour moi, il a essayé de m’aider. A l’inverse, d’autres n’ont rien fait, ils n’ont pas cherché à savoir comment j’allais. Le pire, c’est que des personnes en qui j’avais confiance m’ont laissé tomber. C’était vraiment blessant. Heureusement, je pouvais compter sur mon entourage ou sur une personne comme Jacky Maillot [son médecin, devenu médecin des Equipes de France et de la FDJ, NDLR].

« JE ME SUIS INSCRIT A POLE-EMPLOI »

Après ce passage chez les pros, te voilà de retour chez les amateurs en 2015...
Mon contrat s’est terminé fin 2014, mais je me suis malgré tout relevé un peu plus vite que d’habitude. J’avais besoin de voir autre chose, alors j’ai signé ma licence à l’AVC Aix­-en-Provence. Hélas, une nouvelle fois, j’ai craqué... Finalement, je n’ai jamais couru avec le club. A la place, je me suis inscrit à Pôle Emploi et l’après­-midi même, je commençais un travail de manutentionnaire à l’usine.

Tu te plaisais loin du vélo ?
Je n’ai pas fait le moindre kilomètre entre janvier et juillet, et ça ne m’a pas manqué. Enfin si ! Je prenais le vélo pour faire le petit kilomètre entre la maison et mon lieu de travail (sourires).

Tu semblais avoir trouvé ton équilibre dans le monde du travail : pourquoi as-­tu choisi de revenir dans le peloton en 2016 au CC Etupes ? Beaucoup t’imaginaient arrêter pour de bon... 
C’était d’abord l’opportunité de retrouver du plaisir sur le vélo, dans cette équipe qui me tient à cœur et dans laquelle je gardais d’excellents souvenirs. J’apprécie beaucoup le Président Robert Orioli ainsi que Jérôme Gannat [manager général, NDLR]. Ce sont des personnes en qui j’ai confiance et avec lesquelles je me sens bien. Ici, je suis apaisé et je peux me faire plaisir sans stress ni pression.

Et tu cours à nouveau avec des ambitions sportives ?
Je reste un compétiteur. Je ne veux surtout pas paraître prétentieux mais depuis quelques mois, j’ai pris conscience que j’avais un vrai potentiel. En témoignent toutes ces fois où j’ai rapidement pu retrouver un bon niveau, après de longues coupures.

Tu pourrais faire une nouvelle tentative chez les pros ?
En fait, je ne me ferme aucune porte. C’est simplement que je ne veux plus m’impliquer à 200 % et uniquement dans le cyclisme : j’aurais trop peur d’être déçu. Mais si demain on me propose un contrat, je serais prêt à le signer.

Car tu te sens mieux dans ta tête ?
Oui. Aujourd'hui, je suis heureux et j’ai trouvé un équilibre dans ma vie...

Crédit photos : Philippe Pradier et André Quentin - www.ggfotovelo.fr

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