La Grande Interview : Antonin Marecaille

Rares sont les cyclistes français à s'incruster chaque week-end parmi les Mathieu Van Der Poel ou Sven Nys. Antonin Marecaille, lui, le fait. Le coureur picard, licencié à l'AVC Aix-en-Provence et flamand dans l'âme, écume les cyclo-cross belges depuis 2014. Ainsi, il passe la moitié de son hiver en camping-car, accompagné de ses trois vélos et de son père. Beaucoup s'interrogent sur ce qu'il fait là, au milieu des stars : ses adversaires du Nord de l'Europe, ses compatriotes de renom, John Gadret ou Steve Chainel... et parfois lui-même ! La réponse : « Tant que je ne m'endette pas, je me fais plaisir ». A 23 ans, d'un périple à l'autre, Marecaille aligne les bornes sur sa passion. « Je cours, dit-il. Simplement je cours... ».

DirectVelo : Ton voyage en camping-car débute chaque vendredi. Tu quittes la maison de tes grands-parents dans l'Oise, et tu mets le cap vers la Belgique pour trois jours. A chaque fois, une aventure ?
Antonin Marecaille : En hiver, c'est vrai que je passe la moitié de ma semaine sur les routes. Il y a beaucoup de petites histoires... Samedi dernier, nous étions bloqués en Belgique par un char de carnaval et nous roulions à 5km/h. D'habitude, on se gare le vendredi sur l'aire de cyclo-cross, je cours le lendemain, puis on part le soir en direction d'une autre épreuve. Une fois, j'ai croisé John Gadret et Steve Chainel dans un endroit improbable. Des « messieurs » dans le cyclo-cross ! Ils ont dû se demander ce que je foutais là ! Mais je cours, simplement je cours... Partout où je peux, quitte à faire des centaines de kilomètres chaque week-end. Au total, j'ai disputé plus de quarante cyclo-cross cet hiver, en France, en Suisse, au Luxembourg et bien sûr en Belgique.

« Bien sûr » en Belgique, parce que c'est la terre sacrée du cyclo-cross depuis quelques années ?
Le cyclo-cross est ma religion et la Belgique mon lieu de pèlerinage. Les grosses courses, comme les manches du Superprestige, sont l'équivalent d'une finale de Coupe du Monde de foot.

« LE PORTIQUE S'EST ECRASE 30 SECONDES AVANT LE DEPART »

Tu te souviens forcément de ta première participation à un cross organisé dans ce pays ?
Inoubliable mais pas spectaculaire. Ça remonte à 2010, quand j'avais 18 ans. Mon père disputait les Championnats du Monde Masters à Mol, et moi une épreuve régionale. Plus marquant, je découvre trois ans plus tard ma première grande course en Belgique : une manche du Trophée Banque Bpost, à Ronse. Le portique de départ ressemblait à ce qu'on utilise en Formule 1, avec des feux rouges qui tout à coup passent au vert. Malheureusement, il y avait une tempête. Le portique s'est écroulé devant les coureurs à trente secondes du départ... Les spectateurs étaient moins nombreux que d'habitude. Mais j'étais lancé dans une ambiance de folie. Cet hiver encore, j'ai pu courir une épreuve de la Coupe du Monde à Namur.

Pourquoi tu ne t'es pas davantage investi dans le cyclo-cross avant 2013 ?
Mon père, qui est prof, a été muté en Nouvelle-Calédonie. Sur l'île, c'est simple : tu as un peloton de quinze coureurs, il est difficile de progresser, à l'exception du Tour de Nouvelle-Calédonie, le grand rendez-vous de la saison, où je me suis toujours régalé. J'ai fini par arrêter le vélo et par me mettre au trail. J'ai vraiment perdu trois ans sur l'île. Jusqu'au jour où j'ai envoyé une lettre à un club belge. C'était ma bouteille à la mer...

Voilà pourquoi tu as vécu en Belgique en 2014, au cœur de cette culture que tu aimes tant ?
J'ai d'abord habité à Coxyde, à un kilomètre du circuit de cyclo-cross, puis au pied du Mont Noir, pas très loin du Mont Kemmel. J'étais licencié dans un club franco-belge, le CC Beuvry : basé en France, mais avec des Belges parmi les coureurs et les sponsors. Les dirigeants m'avaient prêté des livres pour apprendre le flamand. J'avais l'impression d'être l'un d'eux.

« IL ME FAUT DES CHAMPS DE PATATES »

Tu es connu en Belgique ?
Le public connaît tout le monde ! Un jour, un photographe me dit : « Tu marches beaucoup plus qu'il y a deux ans ! ». J'étais sur le cul ! Il se rappelait de moi. Peut-être parce que je suis le seul Français à couvrir une grosse partie du circuit en Belgique. Toujours est-il qu'il ne m'avait pas oublié. Parfois, les spectateurs m'encouragent aussi par mon nom.

Pas chauvin, le public belge ?
Il m'a toujours respecté. Les coureurs également. Si je salue Nys, il répond. Bon, je n'ose pas engager la discussion plus loin que ça... Avec moi, ça se passe bien. Par contre, j'ai lu que les spectateurs avaient chahuté les Néerlandais sur les Championnats du Monde, il y a deux semaines, à Zolder (lire ici). Il semble qu'une rivalité soit bien installée entre la Belgique et les Pays-Bas. Moi, je ne suis pas à la guerre face à leurs meilleurs coureurs. C'est peut-être pour ça qu'ils me laissent tranquille !

Ton épreuve préférée est belge, forcément ?
Eh non ! J'aime beaucoup le cyclo-cross de Pétange, au Luxembourg. Le premier de l'année : il se déroule le 1er janvier. La veille, pas de réveillon. A minuit, je suis couché depuis un bon moment déjà. Ce que j'apprécie le plus, c'est le terrain. Il y a beaucoup de passages pour la course à pied. C'est ambiance « gros bourbiers ». Moi, ce qu'il me faut, c'est des champs de patates !

Mais c'est le contraire des parcours belges !
Paradoxalement, je n'aime pas la façon dont sont tracés la plupart des cyclo-cross belges ! Des trucs tout modernes, où tu freines tous les dix mètres, où tu relances sans arrêt. A la moindre faute technique, tu es mort !

« JE BOUSILLERAIS MON VELO DANS LE SUD »

Tu t'entraînes parfois en cyclo-cross dans le Sud de la France ?
Jamais ! Je suis licencié à l'AVC Aix-en-Provence depuis 2015. C'est marrant, la première fois, j'ai signé ma licence en urgence, en deux jours, parce qu'il fallait remplacer un coureur blessé sur le Tour du Jura (lire ici). Je voudrais rester en deuxième catégorie, ça me suffit. La route n'est pas ma discipline de cœur, je la trouve trop aléatoire, même si l'AVC Aix m'a permis de découvrir de vivre de belles expériences. Quand je suis dans le Sud, je ne roule que sur la route. Sinon, je bousillerais mon vélo sur les caillettes. Le cyclo-cross reste un truc du Nord ! (rires)

Pourquoi cours-tu à un niveau international, où tes chances de victoires ne sont pas très élevées ?
Parce que je me fais plaisir ! Sur la ligne de départ, je retrouve les coureurs que je vénérais dans mon adolescence. Quand tu es placé près d'un Sven Nys pendant l'appel, un champion qui a déjà gagné un million de courses, c'est vrai que tu te demandes ce que tu fais là... Tu es content si tu ne te prends pas un tour ! A Namur, j'ai réussi à me glisser dans le Top 20 : j'étais très content ! Le lendemain d'une épreuve relevée, je peux disputer un cyclo-cross moins difficile, avec des chances de monter sur le podium. Sur une saison, je parviens à trouver un équilibre dans mes résultats.

Tu peux encore progresser ?
J'ai le temps. Bien entendu, je n'arriverai jamais  la hauteur d'un Sven Nys, mais il est toujours présent à 40 ans. J'ai potentiellement plus de dix ans pour rester à un niveau correct. Et on dit que c'est à 28-30 ans qu'on possède le plus de force. Donc, j'ai encore un peu de temps...

« VIVRE A LA DURE NE ME DEPLAIT PAS »

Tu vas continuer longtemps à faire des tournées de cyclo-cross ?
Aussi longtemps que j'en aurai les moyens. Je m'en sors avec les frais de déplacements que nous versent les organisateurs et au soutien matériel de mes partenaires (les Cycles Polo à Martigues, les roues Spiderbike). Et puis j'ai énormément de chance d'être accompagné par mon père. Il s'occupait autrefois de Sébastien Da Silva, 3e d'un Championnat de France de cyclo-cross, ou de John Lopez, qui a été médaillé lui aussi. C'est mon assistant, mon mécano... S'il arrête demain, j'arrête aussi.

Vous faites toujours les déplacements à deux ?
Oui, on s'organise. Les Belges ont trois mécanos, moi j'en ai un seul. C'est pour ça que mon père joue un rôle irremplaçable ! Il a du mérite. Le soir, il lave les vélos pendant que je prépare la bouffe. On gare notre camping-car au milieu d'une trentaine d'autres. Les semi-remorques des champions sont reconnaissables : ils sont quatre fois plus grands que nous.

Vous roulez en quoi, vous ?
En truc d'occasion. C'est pas le luxe, mais à deux, on s'en sort. On case les trois vélos à l'intérieur et nous voilà partis. C'est mieux que le fourgon tôlé qu'on avait l'an dernier, un Mercedes Splinter un peu aménagé. On dormait sur des matelas à l'arrière du véhicule. Heureusement, il n'a pas fait trop froid. Mais je suis content comme ça. Ma passion se vit à ce prix. Et vivre à la dure ne me déplaît pas.

« ENCORE QUELQUES AVENTURES »

Entre coureurs, vous discutez ou bien chacun reste concentré avec son mini-encadrement ?
On parle de la « famille » du cyclo-cross et c'est une réalité. On ne s'invite quand même pas d'un camping-car à l'autre, mais on se retrouve à l'extérieur, au moment du lavage des vélos ou pendant qu'on repère les circuits.

Après le cyclisme, il y aura quoi ?
Encore du cyclisme. J'aimerais bien être entraîneur. En tout cas, je ne me vois pas rester assis derrière un bureau... Mais avant ça, j'ai encore quelques aventures à vivre.

Qu'est-ce qui te reste à essayer ?
Je pense beaucoup aux Etats-Unis. J'en ai parlé récemment à un Américain qui va me donner des contacts. Passer une saison de l'autre côté de l'Atlantique, comme Caroline Mani, ce serait super. Ça me permettrait de voir autre chose...

Crédit photo : Gwen Garot - www.photosdegwen.fr
 

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