Le Rwanda, la nouvelle plaque tournante

Des pros venus du Rwanda et des pros qui viennent au Rwanda. C'est en substance le nouveau projet de ce pays où le cyclisme est passé, en cinq années, du presque rien à discipline numéro 1, un statut que va renforcer la victoire de Jean-Bosco Nsengimana, vainqueur ce midi de l'édition 2015 du Tour du Rwanda... devant quatre compatriotes (voir classements). Ce développement sportif fascinant n'est "que le début" du projet, selon Jock Boyer, le Directeur technique national. Mais jusqu'où peut aller le Rwanda ?

DES PROFESSIONNELS RWANDAIS

Que vaut Jean-Bosco Nsengimana, dominateur sur le Tour du Rwanda (victoire finale, deux étapes plus le prologue) ? "Il a le niveau pour passer pro", estime Jérémy Bescond, qui l'a observé dans le peloton cette semaine et a lui-même couru deux saisons chez Cofidis. Jock Boyer espère que trois à quatre Rwandais rejoignent les rangs pros en 2016. Sans donner les noms des athlètes ou des équipes concernés.
Selon nos informations, Bike Aid, la formation Continentale allemande tournée vers l'Afrique, pourrait être l'un de ces points de chute, elle qui accueille déjà des Erythréens et un Tanzanien. Les discussions achoppent pour le moment sur le nombre de recrues. Boyer voudrait en placer entre deux et quatre par effectif, afin de faciliter l'intégration des coureurs. Bike Aid voudrait se limiter à une embauche, estimant que le néo-pro rwandais s'intégrerait très facilement dans un noyau dur d'Africains de l'équipe, qui lui-même s'incorpore au reste du groupe.
A terme, le Rwanda souhaite qu'un des siens participe au Tour de France. Inspirés par les Erythreéns du Team MTN-Qhubeka, Daniel Teklehaimanot et Merhawi Kudus (deux ex-vainqueurs du Tour du Rwanda), qui ont découvert la Grande Boucle cet été, premiers noir-africains de l'histoire à y poser leurs roues.

UNE EQUIPE PRO

Projet phare. Depuis 2011 environ, Boyer planche sur une équipe Continentale avec des attaches au Rwanda. Il l'a d'abord conçue comme licenciée au pays, composée ainsi à majorité de Rwandais. Aujourd'hui, le premier Américain participant au Tour de France (1981) imagine plutôt une équipe panafricaine, rassemblant de multiples nationalités et basée en Italie, pour un programme à cheval sur deux à trois continents.
Il faut dire que l'essor du cyclisme rwandais donne des idées à Boyer. Sous son impulsion, un centre de développement a vu le jour en Ethiopie en 2013, sur le même modèle que celui du Rwanda, et un autre équipement du même type devrait voir le jour en Erythrée. L’ensemble de ces pays constitue un large vivier de coureurs. Le Rwanda devrait ainsi être au cœur d'un projet d'équipe Continentale. Reste à savoir dans quelles proportions. Et, naturellement, quel en est le calendrier précis.

UNE BASE EN BELGIQUE

De son côté, la Fédération cycliste du Rwanda (Ferwacy) veut que ses athlètes progressent en Europe. En Belgique, exactement. D'autres pays extérieurs au vieux-continent ont déjà fait le choix de s'implanter dans cette région : la Nouvelle-Zélande, le Canada... Le Président de la Ferwacy, Aimable Bayingana, doit rencontrer son homologue belge Tom Van Damme afin de parapher un accord qui entrerait en vigueur dès 2016. Il explique : "Nous allons envoyer nos coureurs en Belgique pour travailler sur les classiques, dans le vent, au sprint. Comme il s'agit d'un échange, les Belges sont attendus au Rwanda pour s’entraîner dans la montagne."

MOTIVER TOUTE L'AFRIQUE DE L'EST

Le Rwanda, pays modèle dans le vélo. La Ferwacy rêve que son tour international fasse étape dans les pays voisins. En Ouganda ? C'est la proposition de Paul Sherwen, ex-coureur britannique et commentateur télé qui réside dans cette région de l'Afrique. Mais encore faut-il que Kampala commence à développer son cyclisme... Au Burundi ? La Fewacy voulait y aller, avant que le pays frère sombre dans la guerre civile. Si bien qu'à court terme, le Tour du Rwanda explorera surtout de nouvelles routes... au Rwanda. Notamment dans le Sud, vers Cyangugu, où les axes d'accès devraient être bitumés l'an prochain.
L'ouverture à l'Afrique de l'Est devrait plutôt passer par le Africa Cycling Rising Centre (« le centre de développement du cyclisme africain »). Ce complexe inauguré en 2013 à Musanze, au centre du pays, accueille non seulement l'équipe nationale du Rwanda. Mais aussi des stages ponctuels du Burundi, d'Ouganda, d'Ethiopie, d'Erythrée et même du Gabon et d'Afrique du Sud.
"Nous avons la chance d'avoir des infrastructures que n'ont pas les autres pays et nous sommes donc heureux de les aider à développer leur cyclisme", déclare Aimable Bayingana. Le Centre en question comprend seize bungalows pour l'hébergement, un restaurant, un atelier mécanique et des salles de cours, une piste de BMX ou encore un jardin biologique. Offert par le gouvernement rwandais à la Ferwacy, il emploie quinze à vingt personnes.

ATTIRER DES EQUIPES PRO AU RWANDA

Au lieu des Canaries, du Colorado ou de la Côte d'Azur, des stages d'équipes pros au Rwanda ? "Nous attendons ces équipes dans un futur proche, annonce Bayingana. Nous avons tout pour les recevoir : un pays accueillant, un très beau centre, des routes idéales pour l’entraînement, les effets de l'altitude...". Jock Boyer ajoute : "Pour les convaincre de venir, nous devons encore peaufiner quelques détails, mais nous serons bientôt en mesure de proposer un projet d'hébergement et de travail absolument parfait."
En attendant que Contador ou Boonen viennent se préparer quelques semaines parmi les « milles collines », le Centre veut séduire des cyclosportifs. Musanze est un lieu très touristique et l'offre pourrait séduire les vacanciers : une journée au Parc National pour rencontrer les gorilles, une autre sur le vélo (route ou VTT). La formule permettrait d'améliorer la rentabilité du Centre et de donner du travail aux athlètes rwandais en voie de reconversion.

CHANGER LA TACTIQUE

Le mauvais point du Tour du Rwanda 2015 : une entente manifeste des trois équipes nationales. C'était déjà le cas en 2014. "Disons que nos coureurs s'apprécient entre eux et se rendent service", assure un cadre de la Ferwacy. Ce genre de coups de main est en vigueur dans d'autres pays, comme l'Erythrée : là-bas, les trois sélections nationales roulent de concert pour contenir l'opposition étrangère...
Il n'empêche que la couse rwandaise a été bloquée pendant une semaine. Au risque d'insupporter les autres participants, le Rwanda sera bientôt contraint de revoir ses plans. Par exemple en invitant des clubs régionaux rwandais, réellement concurrents. Ou en renforçant le poids d'autres nations, avec pourquoi pas une seconde équipe érythréenne. Ou encore en faisant venir des Américains très forts (les Novo Nordisk Development, tous éliminés depuis jeudi soir, n'étaient pas dans le coup), voire plus d'Européens de premier plan.
Ce rééquilibrage permettra d'apprécier à sa juste valeur le succès des Rwandais. Car Jean-Bosco Nsengimana aurait sans doute pu gagner avec moins de soutiens : tous ses adversaires s'accordent à dire qu'il était individuellement le plus fort de l'édition 2015.

RENFORCER LA FEDERATION

"Notre but est que les Rwandais puissent se débrouiller eux-mêmes." Boyer réitère son envie de passer le flambeau. De fait, il forme du personnel local parmi ses anciens coureurs : il existe déjà un mécanicien (Rafiki) et un soigneur rwandais (Obed) à temps plein, un directeur sportif vacataire (Felix)... De même, Aimable Bayingana souhaite "développer la Ferwacy", qui compte seulement 65 licenciés. Il appelle à plus de participants dans les épreuves locales, plus d'éducateurs dans les clubs, plus de commissaires...
Pour le moment, le Rwanda apprend des Américains de Jock Boyer (équipe nationale) et des Français de GSO (qui organisent le Tour du Rwanda). Pour ce qui concerne l'équipe nationale, "l'heure de la passation se rapproche", confie Jock Boyer. Qui s'intéresse de plus en plus à un nouveau pays d'Afrique, déjà très en vue mais capable de faire mieux encore, selon lui : l'Erythrée. Du côté d'Asmara, le faiseur de miracles au Rwanda a déjà repéré une centaine de Juniors très performants. Une autre aventure.

Photo : Moment de recueillement comme tous les matins pour le Team Rwanda avant la course / Crédit : Tour of Rwanda - DR
 

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