La Grande Interview : Hugo Hofstetter

Selfies en plein milieu du peloton, blagues à ses adversaires... Le Champion de France Espoirs, Hugo Hofstetter détone parmi ses pairs. « Ça reste bon enfant, j'aime mettre un peu d'ambiance ! », dit-il. Parfois, ses familiarités surprennent ceux de sa génération qui ont suivi un cursus classique, une série de codes, de règles, dont la discrétion fait partie. Il n'est pas comme eux : sans entraîneur, sans victoire notable, sans sélection en Equipe de France jusqu'à ses 20 ans. Foncièrement patient et optimiste, Hofstetter s'est bien rattrapé depuis. Ce jeudi, à la veille de disputer le Mondial Espoirs à Richmond, aux Etats-Unis, le routier-sprinter du CC Etupes a pu annoncer en public la bonne nouvelle : il sera pro en 2016 chez Cofidis (lire ici). Rien ne dit qu'il continuera « la déconne » la saison prochaine, à 22 ans. En attendant, l'Alsacien continue de « rigoler ». Grande gueule, certes. Grand cœur aussi, comme quand il offre le champagne à ses copains de club pour fêter le maillot tricolore. Ou quand il se fait tatouer sur les bras, en chiffres romains, la date de naissance de ses parents ou de sa sœur, ceux qui lui ont donné des journées de vélo une image joyeuse.

DirectVelo : Ton premier exploit dans le cyclisme, ce n'est ni ton titre de Champion de France Espoirs ni ta 3e place sur Paris-Roubaix : il s'agit de tes selfies au milieu du peloton, l'an passé, sur le Tour de Lombardie Espoirs. Ces images étaient-elles préméditées ?
Hugo Hofstetter : C'est un concours de circonstance, qui a fait pas mal parler ! (rires) J'ai tout simplement oublié d'enlever mon téléphone portable de la poche arrière du maillot, après avoir pris un selfie au départ avec mes coéquipiers. Alors, je l'ai gardé ! J'ai d'abord pris une photo dans la zone de départ fictif, où les gars jouent le jeu et lèvent les bras. Puis j'ai recommencé après la mi-course, au Ghisallo, en profitant d'un temps mort. Je suis remonté en tête de peloton et j'ai pris de nouvelles photos. L'idée de faire une vidéo est venue comme ça aussi. J'ai commenté la course en direct et en pédalant ! (rires) Je risquais une amende, mais sur le coup, je n'ai pas réfléchi. C'était simplement pour la déconne... Et puis, nous sommes bien à l'époque des caméras embarquées sur le Tour de France !

Si ces caméras te filmaient dans le peloton, que verrions-nous de toi ?
Le plaisir que j'ai à m'amuser. Je fais du vélo pour les résultats mais aussi parce que j'aime m'éclater. Sur le Tour de Lombardie Espoirs, nous étions en fin de saison, c'était un super moment entre copains. La plupart du temps, j'aime bien lancer des petites piques ou des blagues.

« MON TRUC, C'EST LA DECONNE ! »

Tu nous donnes un extrait de ton répertoire ?
Souvent, je chambre. Aux Championnats de France, j'ai dit à Clément Barbeau (Team U Nantes Atlantique) que j'allais essuyer la poussière sur son vélo, vu qu'il n'avait pas beaucoup roulé à l'entraînement. A chaque tour de circuit, on passait devant le fan club de Benoît Cosnefroy (Chambéry CF) et, franchement, ça sentait fort le pastis ! (rires) J'ai dit à Benoît que je prendrais bien un p'tit verre et que j'allais rester à côté de lui, parce que les encouragements de ses proches me donnaient des ailes. J'ai aussi rigolé avec Franck Bonnamour (BIC 2000) en parlant bien fort : « Aujourd'hui, Franck a l'air exceptionnel, il a le coup de pédale aérien. Je vais rester dans sa roue, je suis sûr qu'il va faire quelque chose. » Bon, en fait, je ne suis pas resté dans sa roue ! (rires)

Apparemment, on t'a aussi entendu quand Marc Fournier (CC Nogent-sur-Oise) a attaqué : « Les gars, on ne va pas quand même pas se faire battre par un mec qui a une angine ! ».
Oui, j'ai crié assez fort ! (rires) Ce qui a d'ailleurs permis que les équipes de Rhône-Alpes et Bretagne nous aident à mener la poursuite. Là, je plaisantais, mais j'étais sérieux aussi. Marc avait dit qu'il était malade. Mais bon, on voyait bien qu'il était en grande forme. Son truc, c'était un moyen de s'enlever de la pression.

Mais tes vannes, elles te protègent également de la pression ? Ça pourrait même être de l'intimidation ?
Peut-être, mais involontairement alors. Ce n'est jamais méchant. Je le répète : mon truc, c'est la déconne.

« TOUJOURS MOTIVE, TOUJOURS DE BONNE HUMEUR »

Tu peux rire avec n'importe qui ?
Je rigole d'abord avec mes coéquipiers. Après, avec ceux qui ont de l'humour. Mais je peux faire des blagues à tout le monde, oui. En général, les mecs le prennent bien. Soit ils répondent, soit ils sourient. Parfois, ils restent concentrés. Mais ça reste bon enfant. Je mets simplement un peu d'ambiance !

Vous êtes nombreux à plaisanter dans le peloton ?
Nous ne sommes pas beaucoup. Je pense à Clément Barbeau ou à mon ancien coéquipier, Pierre Bonnet (Team Pro Immo Nicolas Roux). On a un peu les mêmes vieilles blagues, comme taper le cul d'un mec dans le peloton de l'autre côté, pour qu'il croit qu'on l'appelle. C'est aussi un beau comédien, Pierre...

Ce côté « grande gueule », c'est ta façon de t'affirmer, toi qui ne viens pas du sérail ?
J'ai gardé ma mentalité « vélo plaisir ». Les week-ends avec les copains du VC Altkirch, dès mes débuts à l'âge de quatre ans, la famille qui était avec nous puisque ma sœur Margot a pris une licence avant moi... Nous partions de 7h à 20h : c'était la joie. Comme j'ai eu une double licence FFC et FSGT jusqu'à mes 17 ans, il était possible de courir le samedi et aussi le dimanche. Je restais toujours motivé, toujours de bonne humeur.

« J'AI TOUJOURS UNE CHANCE D'Y ARRIVER »

« De bonne humeur » mais éloigné du sérieux ou des bons résultats des jeunes de ton âge, que tu retrouves aujourd'hui en Equipe de France. A tes 17 ans, t'imaginais-tu devenir pro chez Cofidis ?
J'ai toujours rêvé de passer pro. Tout est une histoire de suivi. Jusqu'à mes années Juniors, je n'avais pas d'entraîneur et le lycée me prenait pas mal de temps. Et à 18 ans, j'ai fait une rencontre importante : Philippe Hillenweck, un ostéo, qui est venu au club d'Altkirch. Il travaillait pour Cofidis. C'est lui qui a composé mes premiers plans d'entraînement et qui m'a montré comment se comporter en athlète de haut niveau. Grâce à lui, je suis entré en contact avec des membres du staff Cofidis : Jacky Maillot, le médecin, Jean-Eudes Demaret, l'entraîneur... Un an plus tard, pour ma première saison Espoirs, je fais une autre rencontre importante : Rémy Deutsch, l'entraîneur de l'Amicale Cycliste Bisontine. Il m'a pris en main, sans me donner des charges de travail trop importantes. Il a vite compris que je ne m'entraînais pas beaucoup lorsque j'étais Junior. A 19 ans, j'avais encore une grosse marge de progression.

C'est un cheminement tardif ?
Oui. Et c'est préférable à un jeune qui marche fort mais qui est à bloc ! J'avais quelques résultats quand même, en FSGT [deux titres de Champion national Cadet] et en FFC, où je gagne deux épreuves sur route du Trophée de France du Jeune Cycliste (TFJC). J'avais devancé Steve Arbault [actuel directeur sportif chez Sojasun espoir-ACNC] et Julien Palma [Champion du Monde Junior de keirin et vitesse par équipes, NDLR]. Chez les Juniors, j'ai disputé le Reggio Tour face aux meilleurs de ma génération qui préparaient les Mondiaux. Il y avait Caleb Ewan, qui gagne une étape. Signe encourageant, j'étais toujours là quand il n'y avait plus que trente mecs dans le peloton.

De sorte que tu as toujours cru en toi ?
Oui. Je savais qu'il me manquait juste le petit déclic. Il faut toujours croire en toi. Sinon, tu n'y arrives pas. Mon point fort reste le mental. Je me dis que j'ai toujours une chance d'y arriver.

« IL FAUT PENSER POSITIF »

Au départ de chaque course, tu penses pouvoir gagner ?
Quand je veux vraiment gagner, je me dis que c'est possible. L'an passé, c'était le cas. Cette année, je cible mieux mes objectifs, donc je ne suis pas toujours dans cet état d'esprit. Le vélo n'est pas une science exacte, donc tu ne sais jamais si tu vas effectivement gagner. Mais je me mets mes objectifs en tête de telle façon qu'il est rare que je me loupe complètement le jour J.

C'est une autre de tes particularités : tu es capable de dire que tu veux être Champion du Monde Espoirs...
Oui, parce que c'est un objectif ultime. Les Mondiaux sont une de mes courses préférées, avec Paris-Roubaix. Je voudrais viser la victoire un jour.

La barre est haute !
Alors, j'y vais étape par étape. Avant Paris-Roubaix version professionnelle, il y a la course Espoirs, où j'ai terminé 3e. Je ne veux pas me brûler les ailes. Je vous ai dit qu'il faut penser positif ! Je me rappelle d'un petit stage l'an passé avec Pierre Bonnet et Erwan Téguel. Ils me disaient que je n'avais aucune chance d'aller un jour en Equipe de France ou de passer stagiaire professionnel. Je leur avais répondu : « Vous verrez, avec de la volonté, je vais y arriver... ».

Dans ce milieu, énoncer ses objectifs à voix haute, c'est tabou ?
Pas grand monde n'en parle alors que nous sommes nombreux à avoir de l'ambition. Moi, je ne m'étale pas trop en public, plutôt en petit comité. La veille d'une course, je ne dirai jamais sur les réseaux sociaux : « Demain, je gagne. » Mais si on me pose la question, je suis assez transparent.

« J'AI DOUTE DANS LA DERNIERE LIGNE DROITE »

Le Championnat de France Espoirs, tu sentais que tu pouvais le remporter ?
Oui. J'étais resté sur la déception des Championnats d'Europe, quand un coureur m'a foncé dans la roue et cassé trois rayons à 5 km de l'arrivée. Je n'ai pas pu disputer mes chances ce jour-là alors que j'avais de super jambes. Je voulais me rattraper sur les Championnats de France. J'y croyais... Sauf quand je me suis retrouvé échappé seul, dans la dernière ligne droite. Je me demandais s'il n'y avait pas un mec devant moi. Tout à coup, je doutais. J'ai compris que c'était bon lorsque le speaker a annoncé mon nom et que le public s'est mis à taper sur mes rambardes [revoir le classement]. Ce titre me suivra tout au long de ma carrière cycliste et peut-être même de ma vie.

Et ta prestation fin mai dans Paris-Roubaix Espoirs ?
Là, je ne m'y attendais pas forcément. Je sortais d'une période très dure, au cours de laquelle je n'avais plus trop le temps de rouler, à cause d'un stage. J'ai craqué en passant la ligne [revoir son interview vidéo]. J'avais entendu tellement de critiques depuis le début de l'année, tellement de sous-entendus : « T'es collé ! », « T'as eu quoi comme résultats ? ». Ma saison 2015 a démarré à Roubaix.

Peut-être que les autres te chambraient comme tu aimes bien le faire ?
Pas sûr que c'était toujours fait avec une intention sympa... Quoi qu'il en soit, j'ai montré ce jour-là que j'avais eu raison de croire en moi.

Crédit photo : Freddy Guérin - www.directvelo.com
 

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