La Grande Interview : Romain Bacon

Le maillot de Champion de France a relancé sa carrière. Voilà un an tout juste, Romain Bacon gagnait la médaille d'or du contre-la-montre Amateurs, sur le circuit du Futuroscope (lire ici). Son deuxième titre après celui des Juniors en 2008, acquis devant la terreur de l'époque, Johan Le Bon. « Ça m'a conforté dans l'idée que ma carrière est inachevée », confie l'ex-pro de BigMat-Aubervilliers 93, aujourd'hui 25 ans. Travailleur, discret, il se confie peu, limite le contact avec sa télé ou son portable. Le coureur du Team Vulco-VC Vaulx-en-Velin préfère se détendre avec quelques accords de sa guitare. Mais à une semaine de remettre en jeu son maillot tricolore, il accepte de se livrer à DirectVelo. Romain Bacon parle ainsi en détail de son esprit « blagueur » mais de son regard « sérieux » sur le métier. « Je me suis remis en question », dit-il. Afin de retrouver une place dans une équipe professionnelle, aux côtés des Thibaut Pinot et Romain Bardet qu'il a bien connus autrefois.

DirectVelo.com : Avec Romain Bardet, Thibaut Pinot ou encore Nacer Bouhanni et Johan Le Bon, tu as fait partie de la fameuse Equipe de France Juniors 2008. Il y a eu conjonction des astres pour que les coureurs français nés en 1990 soient appelés à de si beaux résultats ?
Romain Bacon : [Rires.] Je n'en sais rien. Je me rappelle avoir passé de très bons moments avec cette équipe. Avec Romain Bardet, j'ai fait au total 42 jours en chambre commune ! On doit rendre hommage à Pierre-Yves Chatelon [le sélectionneur des Juniors en 2008, devenu sélectionneur Espoirs, NDLR], parce qu'il a su détecter tous ces bons coureurs et leur donner leur chance.

Tu te doutais que les Pinot et Bardet rencontreraient plus tard une telle réussite ? Ou bien est-ce facile de leur imaginer un destin, maintenant, avec le recul ?
Nous ne pouvions pas nous projeter. Il y a sept ans, qui aurait pensé que des Français pourraient un jour remporter des étapes du Dauphiné ou monter sur le podium du Tour de France ? Franchement, le vélo est beaucoup plus propre aujourd'hui. Par le passé, jamais des coureurs comme Thibaut Pinot ou Jean-Christophe Péraud auraient été capables de terminer dans les trois premiers du Tour. Autrefois, les différences de niveau étaient plus nettes. Alors, on regardait les courses à la télé. Nous voulions tous passer pro. Mais de là à imaginer que certains d'entre nous seraient aussi performants... Non, c'était impossible à prédire.

« CHEZ BIGMAT, JE N'AI PAS TROUVE MA PLACE »

Tu as gardé contact avec tes anciens équipiers ?
Non. Parfois, on échange un tout petit mot sur les réseaux sociaux. C'est tout. Je n'ai pas envie de les gêner. Je les laisse faire leur course.

Nostalgique ?
L'Equipe de France de la génération 1990, c'est une belle aventure sportive mais le chapitre est refermé. J'ai beaucoup de respect pour Romain et Thibaut. Ils ont un beau parcours. Quant à moi, j'ai, disons... quelques regrets.

Parce que ta carrière chez les professionnels te laisse un goût d'inachevé ?
Je n'ai pas réussi à faire ma place. Pinot ou Bardet sont passés directement dans une équipe WorldTour où ils ont eu de bonnes conditions pour progresser. Quant à moi, j'ai rejoint BigMat-Aubervilliers 93, une équipe Continentale. J'ai dû tout à la fois travailler pour les autres, trouver un registre, gagner... C'est impossible pour un jeune et je pense qu'un coureur comme Dimitri Le Boulch [pilier de l'Equipe de France Junior en 2007, retraité des pelotons cet hiver, NDLR] a rencontré le même problème. Si, en plus, tu traverses une période de doutes ou de blessures, alors c'est fini. En 2012, je me fracture le scaphoïde et le poignet à deux mois d'intervalle, juste après avoir pris la 3e place sur Paris-Troyes. C'était un coup d'arrêt. J'ai eu du mal à revenir. J'ai douté. Fin 2013, j'ai quitté le peloton pro.

Et maintenant, tu te dis...
...que je voudrais redevenir professionnel.

Tu as trouvé ton meilleur registre ?
J'aimerais beaucoup emmener le peloton pour un sprinter. Vous me mettez à rouler en tête pendant plusieurs dizaines de kilomètres : je sais le faire. Vraiment, j'adorerais ça !

« DEFENDRE MON TITRE A LA REGULIERE »

Ton titre de Champion de France l'an passé t'a redonné de l'appétit ?
Il m'a conforté dans l'idée que ma carrière est inachevée. Je n'ai pas encore le droit d'arrêter ! C'est pour ça que j'espère réaliser une bonne performance fin juin, dans le Championnat de France contre-la-montre. L'an passé, le titre a mis en lumière mon club, le Team Vulco Vaulx-en-Velin, et j'ai compris a posteriori que c'était une vraie reconnaissance. Bien sûr, j'aimerais récidiver cette année. Mais, plus important encore que le maillot tricolore, il y a un bon classement au scratch. Je dois être au plus près des meilleurs pros.

Tu es en bonne voie dans ta préparation ?
Oui. En mai, j'ai été freiné par des allergies au pollen, comme chaque année. Mais je suis confiant. Ma forme va crescendo depuis les Boucles Guégonnaises, fin mars [Romain Bacon se classe 7e sur cette épreuve de Coupe de France Look DN1, NDLR]. Sur les Championnats, je pars avec une grosse envie de bien faire mais sans pression. Je me suis remis en question en améliorant ma position : j'ai baissé le guidon pour devenir plus efficace, quitte à perdre en confort. Je me suis également montré plus prudent en course.

Comment donc ?
Je suis moins tombé que les autres années parce que j'ai pris moins de risques en course. Je veux être sûr de pouvoir défendre mon titre à la régulière. Si je devais perdre, c'est parce que je serais tombé sur plus fort que moi, pas parce que j'aurais dû déclarer forfait sur chute !

« JE NE PEUX PAS RESTER 2 HEURES DEVANT LA TELE »

Tu as tâté beaucoup de sports. Par exemple le ski de fond. Tu aurais pu insister dans cette direction ?
J'adore le ski ! C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ai quitté la région parisienne pour Aix-les-Bains, le 5 mai 2012 exactement. L'an dernier, j'ai disputé une compétition en ski, la Savoyarde. Je boucle les 73 km en 3h30, malgré un lot de malchances. L'ennui, c'est que les épreuves pour les non-licenciés ont lieu en janvier ou février, pile quand reprend la saison cycliste. Alors, je fais un choix. Le ski constitue un bon entraînement. Une carrière à part entière dans ce sport, c'est difficile à imaginer, parce que je suis trop avancé dans le vélo.

Il était plus aisé de passer du tennis au cyclisme, lorsque tu avais 14 ans ?
Oui. Il y a d'abord eu le foot (j'étais en section sport-étude au collège) puis le tennis, où je me débrouillais pas mal. Ensuite, je me suis mis au vélo, le sport que mes parents avaient pratiqué. J'ai toujours aimé les sports de raquette. Au lycée, j'avais battu mes profs en tennis de table ! [rires]

Les aptitudes sont pourtant un peu différentes du vélo ?
Il y a une constante : j'adore gagner... C'est ce qui me motive, quel que soit le sport.

Ces derniers jours, tu étais vissé devant Roland Garros ?
Pas vraiment. J'ai regardé quelques matches mais je ne peux pas passer deux heures devant la télé. Ce n'est pas mon truc. Sauf pour le foot et pour « Plus Belle la Vie ». Hé, j'ai une excuse ! Même Thibaut Pinot est fan de la série... [rires]

« TU DOIS TE MONTRER CREATIF »

Tu vois d'autres points communs entre le tennis et le vélo ?
La part tactique. Elle existe quasiment dans tous les sports. Dès lors que tu défies un adversaire, tu es obligé de le surprendre. En tennis, tu tapes trois fois à droite et, soudain, tu surprends ton adversaire en tapant à gauche, au moment où il s'y attend le moins. En cyclisme, tu dois également te montrer créatif. Romain Bardet qui attaque dans la descente du Col d'Allos pour remporter son étape du Dauphiné, ça m'a plu !

Et toi ? Tu aimes élaborer des stratégies sur ton vélo ?
Je ne suis pas le plus fin tacticien du peloton, mais je m'en sors pas trop mal. L'an passé, sur les Quatre Jours des As, je contre-attaque dans une descente pour revenir sur une échappée. Le moment idéal, c'est celui où la majorité des coureurs se relâchent. Si tout le monde a l'intention d'attaquer dans la même bosse, ton coup est voué à l'échec. Il faut trouver le moment propice, soit avant, soit après.

Ton domaine d'excellence, le contre-la-montre, se gagne-t-il sur le physique seulement ? Ou bien faut-il un peu de sens tactique aussi ?
C'est le mental qui fait la différence. D'où le fait que je travaille avec un coach depuis 2013, un pilote d'essai de F1. Grâce à notre collaboration, je pars plus vite dans les contre-la-montres.

En quoi consiste votre méthode ?
La préparation mentale, ça doit rester un peu confidentiel, non ? [rires]

Soit ! Alors, il reste, en toile de fond, ton envie de gagner. Est-ce ton moteur ?
Oui, certainement. Le jour où j'arrêterai la compétition, je cesserai du même coup de m'entraîner, ou alors je réduirai beaucoup les sorties pour me consacrer au foot avec les copains, ou à d'autres disciplines.

« LE VELO RESTE UN SPORT SERIEUX »

Tu es à l'opposé des coureurs qui parlent aujourd'hui de « vélo plaisir » ?
Le plaisir, c'est une notion importante. J'aime partager des bons moments avec mes coéquipiers le week-end. J'aime blaguer, faire des vidéos drôles sur Snapchat, sortir de ma bulle pour décompresser... Mais mettre en avant ce plaisir-là me dérange. Ça fait nonchalant, comme si tu étais du genre à baisser les bras. Pour moi, le vélo reste un sport sérieux.

Sérieux ?
Je suis rigoureux dans mes entraînements. Si j'ai 4 heures au programme, je suis capable de faire un dernier tour du pâté de maisons, pour ne pas en rester à 3h55. S'il pleut, je n'ai pas peur de sortir. J'aime recréer à l'entraînement les difficultés que l'on rencontre en course : souffrir sur un chrono, descendre à bloc sur une route mouillée...

Parmi les « défis » que tu souhaites accomplir, pourrais-tu t'attaquer au record de France de l'heure, comme celui que ton coéquipier François Lamiraud a battu le 11 avril dernier (lire ici) ?
L'idée me plaît. Ce type d'effort me plairait sans doute beaucoup. Mais je ne considère pas ce projet très franchement, parce que je n'ai pas les moyens de réunir le budget nécessaire à la préparation. Alors, je me concentre sur les épreuves sur route. Il y a déjà tellement à faire...

Crédit photo : Jean-Baptiste Enes - www.flickr.com/photos/j-b45
 

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