La Grande Interview : Stéphane Poulhiès

Un sprinter au cœur tendre, Stéphane Poulhiès. Et "réglo", aussi. Plus le genre « Flipper le dauphin » que les « Dents de la Mer »... Ceux qui l'ont côtoyé en livrent une description unanime : "Trop gentil !". Peut-on avoir cette qualité en excès ? Apparemment, dans le cyclisme pro, c'est parfois possible. D'où le fait que le coureur d'Albi (Tarn), neuf saisons chez les professionnels, soit revenu chez les amateurs cet hiver. Chez lui, dans "le vrai vélo", comme il dit, dans sa région du Sud Ouest, à l'Occitane Cyclisme Formation. Auparavant, il a roulé pour AG2R La Mondiale ("la routine"), Saur-Sojasun ("la famille") et Cofidis ("marche ou crève !"). Triste sortie de route pour un « gentil ». Mais le sprinter, 29 ans, renoue avec ses fondamentaux. "En course ou à l'entraînement, je retrouve le plaisir", confie « Poupou » (le surnom dérive de son patronyme, pas de ses places d'honneur). Confidences.
 
DirectVelo.com : En tant qu'ex-coureur professionnel, comment juges-tu le niveau des épreuves amateurs depuis le début de saison ?
Stéphane Poulhiès : Elevé, en particulier sur les manches de Coupe de France DN1. D'ailleurs, j'aurais voulu remporter davantage de points pour le club. Mais ce qui me surprend le plus, c'est les tactiques. Par rapport aux courses pros, tout se fait à l'envers ! Chez les pros, soit la course est cadenassée en vue du sprint, soit les champions sortent au moment décisif. Chez les amateurs, il faut être en permanence attentif car l'échappée peut se dessiner tant au kilomètre 1 qu'au kilomètre 180. Nous n'avons eu droit à un sprint massif qu'une seule fois, sur Bordeaux-Saintes. J'ai l'impression que les épreuves amateurs sont encore plus débridées qu'il y a dix ans, avant que je passe professionnel. Parfois, tu penses que le bon coup est parti, mais la situation se retourne. Tu es dans l'échappée et, soudain, certains cessent de collaborer. Alors un groupe revient de l'arrière. C'est un peu ce qui s'est produit sur les manches de Coupe de France DN1 en Bretagne. Personne ne contrôle vraiment, et même les gros clubs semblent vouloir mettre du panache. C'est du vrai vélo !
 
Ce schéma convient bien à ton équipe ?
Certainement. A l'Occitane Cyclisme Formation, nous avons un bon groupe d'attaquants. Je dis toujours aux jeunes : « Priorité aux échappées ! ». C'est comme ça qu'on prend du plaisir.
 
Toi le sprinter, tu apprécies ces courses de mouvement ?
Je m'adapte. Bien sûr, j'aimerais parfois attendre dans le peloton pour préparer un sprint. Mais je prends les devants et j'essaie de montrer l'exemple aux gars du club, comme le week-end dernier sur le Tour du Jura. En quelque sorte, cette façon de courir me fait progresser.
 
« IL Y A L'ARTISANAL ET L'INDUSTRIEL »
 
Selon toi : pas d'échappée, pas de plaisir. Tu as dû t'ennuyer en neuf saisons chez les pros ?
C'est vrai, j'ai fini très dégoûté...
 
A cause de la mentalité « conformiste », telle que Thomas Rostollan nous la racontait ? (Relire « la Grande Interview » avec l'ex-membre du Team La Pomme Marseille)
Je n'ai pas une dent contre le cyclisme pro dans son ensemble. D'ailleurs, si une proposition se présente en fin d'année, je l'étudierai. Même s'il ne s'agit pas de ma priorité pour le moment : l'objectif reste de me faire plaisir et de partager mon expérience avec les coureurs du club. Je reste persuadé qu'on peut prendre du plaisir chez les pros. Je l'ai vécu chez Saur-Sojasun, qui était une vraie petite « famille ». Puis, j'ai rejoint Cofidis en 2013...
 
Le problème, c'est donc Cofidis ?
Malheureusement, oui. J'ai découvert une mentalité du vélo que je ne connaissais pas. C'était « marche ou crève ! ». Nous, les équipiers, étions comme des pions. Nous faisions notre travail pour certains leaders et nous n'avions jamais un mot de remerciement de la part des dirigeants. A la fin de l'année, comme on a tout donné pour le collectif, on manque de résultat personnel. Alors, notre contrat n'est pas renouvelé. J'ai été surpris et très déçu en août 2014 lorsque j'ai appris que je n'étais pas conservé dans l'effectif. Juste un « Au revoir ! ». Je ne crois pas avoir entendu « Merci ! ». On pourrait se dire que c'est notre métier, que nous sommes payés pour ça. Mais je pense qu'il faut prendre en compte l'approche mentale de l'individu. Chaque année, il y a la moitié du groupe qui est remanié. Du coup, peut-être que le problème de cette équipe ne vient pas des coureurs...
 
Dans le peloton pro, la norme est-elle une équipe comme Saur-Sojasun ou bien comme Cofidis ?
Je ne sais pas comment travaillent les autres équipes. Mais il est clair qu'il existe deux modèles : l'artisanal, qui produit de la qualité, comme Saur-Sojasun. Et l'industriel...
 
« LE DECLIC : UN CLIMAT DE CONFIANCE »
 
On dit parfois de toi que tu es « trop gentil ». Est-ce que cette mentalité t'a causé du tort dans ton métier ?
Sur la fin, oui. Tout dépend de l'environnement dans lequel tu évolues. Dans certaines équipes, il faut être un vrai requin. 
 
C'est-à-dire ?
Ne penser qu'à sa gueule ! Mais ce n'est pas du tout ma conception du vélo, ni de la vie en général.
 
A contrario, tu parles de Saur-Sojasun comme d'une « famille ». Est-il possible d'être ami avec ses coéquipiers ?
Oui. Nous sommes d'ailleurs restés très proches entre anciens de cette équipe. Il y avait beaucoup de confiance entre nous, à la fois sur le vélo et en-dehors. Ce qui nous incitait à nous donner à 300% pour les autres. La chance tournait : nous pouvions tous avoir un statut protégé, selon les occasions. C'est également chez Saur-Sojasun que je me suis découvert sprinter.
 
Depuis les rangs amateurs, tu étais pourtant déjà considéré comme tel ?
Oui, mais je n'ai pas eu beaucoup l'opportunité de sprinter pendant mes quatre premières saisons, chez AG2R La Mondiale. Je roulais parfois au service de Jean-Patrick Nazon et j'étais envoyé sur le front des classiques. On peut dire que j'étais tombé dans une routine. Chez Saur, ce fut le déclic : j'ai été pris en main par Lylian Lebreton et Nicolas Guillé [les directeur sportifs, NDLR]. Ils m'ont encouragé et ils m'ont aidé à trouver ma place dans le peloton. Grâce à ce climat de confiance, j'ai commencé à gagner des sprints massifs : sur le Tour de l'Ain (2010), sur l'Etoile de Bessèges (2011 et 2013), sur la Route du Sud (2012).
 
« PAS BESOIN D'ENTOURLOUPES »
 
Et avec des adversaires, est-il possible d'être ami ?
Je suis tellement gentil que je n'ai pas d'adversaires. J'ai couru contre des amis qui étaient censés être mes « adversaires ».
 
On dit qu'un sprinter doit être particulièrement « requin »...
Aujourd'hui, les sprints sont de plus en plus réglos parce que les sprinters disposent d'un train. C'est le plus rapide qui gagne. Pas besoin d'entourloupes.
 
Tu n'as jamais tiré le maillot d'un concurrent ?
Ça va pas ? Je n'aimerais pas qu'on me le fasse, donc je ne le fais pas aux autres. Les mains restent sur le guidon. On doit gagner avec ses jambes, pas avec ses mains.
 
Et tasser un autre coureur ?
Ça m'est arrivé involontairement, une fois, sur les Quatre Jours de Dunkerque, en 2012. Je me suis accroché avec Adrien Petit, qui n'était pas encore mon coéquipier. Il m'a soufflé dans les oreilles. Et voilà comment nous sommes devenus amis !
 
« ON EST TOUS HEUREUX DE SE RETROUVER »
 
Est-ce qu'avec ton retour dans les rangs amateurs, tu as diminué tes charges d'entraînement ?
Tout est différent. Maintenant, je fais de la « balade » : je pars de chez moi et je découvre de nouvelles routes. J'habite à Albi depuis toujours mais il m'arrive encore de trouver des lieux inexplorés. Récemment, j'ai roulé à la frontière entre le Tarn et l'Aveyron, du côté de Saint-Affrique. C'était magnifique !
 
Quel est le meilleur mode d'entraînement d'après toi : la « balade » ou le programme à base de fichiers SRM ?
Pour la progression, l'option SRM. Mais je me sens plus fort avec mon entraînement actuel.
 
Physiquement ou mentalement ?
Les deux. Si tu pars en course ou à l'entraînement sans plaisir, les réflexes en compétition ne suivent pas. Si tu es heureux de partir rouler le matin, les bons résultats suivent.
 
Nul besoin d'être un « requin » dans le peloton amateur ?
La mentalité est différente. Il y a des gars qui ont un travail, d'autres qui font du vélo à temps plein. On est tous heureux de se retrouver. Qui plus est, chacun possède sa chance. Même quand on court pour un petit club, on peut entrevoir la victoire. Chez les pros, il vaut mieux que tu fasses partie d'une grosse équipe.
 
Ta victoire sur le Grand Prix d'ouverture à Albi, début mars (voir classement), avait valeur de délivrance ?
Oh oui ! J'ai gagné à trois kilomètres de la maison, ce qui est rare. Ma victoire d'étape sur la Route du Sud avait eu lieu à Albi également. Ma famille était sur le parcours, notamment mon fils de quatre ans, qui a une petite sœur depuis le 17 avril ! Je suis un papa comblé. Que ce soit à la maison ou lorsque je pars en course, je suis épanoui. Saur-Sojasun a été un déclencheur dans ma carrière. L'Occitane joue presque ce rôle-là aujourd'hui, même si j'en suis plutôt déjà à préparer ma reconversion. Le vélo tel que je le pratique, chez les amateurs, restera toujours une passion. Dans ces conditions, je pense que je pourrai continuer la compétition pendant encore plusieurs années !

Crédit photo : Gwen Garot - www.photosdegwen.fr
 

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