Jean-Pierre Demenois : «Tout se mesure sauf la force d'âme»

Ancien CTR du CIF (comité d'Ile-de-France), Jean-Pierre Demenois est un spécialiste de la préparation des records de l'heure et plus... Il a entraîné Dominique Chignoli dans sa première tentative réussie contre le record du Monde amateur au niveau de la mer. Il a aussi aidé Jeannie Longo dans l'établissement de la meilleure performance mondiale Dames en 1996 sur le ciment de Mexico avec la position « Superman » (48,159 km).

Jean-Pierre Demenois a aussi tissé un lien très fort avec Hervé Boussard qu'il a préparé vers le record de France des 100 km (voir sa préparation ici)  et vers une tentative, avortée, contre le record de l'Heure à Mexico (notre photo). Il faut dire que l'entraîneur est un partisan des records en altitude et qu'il connaît bien l'effort contre l'horloge : Il a établi le record de l'heure des plus de 65 ans en 2011 à Mexico sur 42,614 km.

DirectVelo : En 1992, qui a eu l'idée du record de l'heure, Dominique Chignoli ou vous ?
Jean-Pierre Demenois : J'étais CTR d'Ile-de-France et avec l'équipe du comité nous avions couru le Tour de la Réunion. Dominique faisait partie de l'équipe et il a gagné ce Tour. A l'époque, j'étais aussi à l'INSEP où j'essayais de valider mes travaux sur la « zone rouge » et sur ma conception de l'aérobie. Nous avons alors évoqué le record de l'heure.

« DOMINIQUE VOULAIT SON NOM A LA UNE DE L'EQUIPE »

Pourquoi avoir choisi le vélodrome de Hyères et pas celui de Bordeaux-Lac à l'époque ?
Hyères était un vélodrome plein air à moins de 600 m d'altitude. Avec les règlements de l'époque, cela permettait à Dominique de s'attaquer au record du monde amateur d'Ercole Baldini (44,870 en 1954 au Vigorelli de Milan NDLR). Les jeunes ne connaissent plus Baldini mais c'était un très bon rouleur (voir son palmarès ici) . Le rêve de Dominique était d'avoir son nom en première page de L'Equipe. L'objectif n'était pas le record de France mais bien le record du Monde amateur.

Comment s'est passée la tentative ?
Le vélodrome de Hyères n'était pas encore couvert à l'époque. Il y avait du vent. Je lui ai demandé s'il voulait que je lui fasse un autre tableau de marche. Il n'a pas voulu changé. J'ai mis des colliers en rilsan sur une corde au niveau de la ligne des stayers. Le vent tourbillonnait sur les trois quarts du tour et dans le bon sens.

CADRE LIME

Quel vélo a-t-il utilisé ?
Le vélo Look de l'équipe de France du 100 km qui a remporté une médaille de bronze aux J.O. de Barcelone. Il avait été adapté pour la piste c'est tout. Pour l'anecdote, Hervé (Boussard, membre de l'équipe de France « bronzée » à Barcelone NDLR) m'avait raconté que pour faire passer la roue avant, ils ont été obligés de limer la grosse poutre oblique ainsi que la fourche.

Quels autres coureurs français étaient capables à l'époque d'une telle performance ?
Il y avait Hervé. Mais Dominique l'a réussi avant. Avec lui c'était une relation ponctuelle. Avec Hervé la relation était forte.

« DOMINIQUE CHIGNOLI C'ETAIT QUELQU'UN »

Avez-vous suivi Dominique Chignoli pour sa tentative à Colorado Springs  en 1993 ?
Colorado Springs avec ses 1900 m d'altitude était intéressant mais le groupe a explosé en cours de route. C'est quelqu'un de pas facile mais il a réalisé son record tout seul, c'est un grand monsieur, sportivement c'était quelqu'un.

Avec Hervé Boussard, vous vous êtes aussi attaqués au record.
Fin 1993, je fais les comptes au CIF. Il me reste trois francs six sous. J'appelle Hervé. Je lui dis « On part à Mexico » mais on a dû rajouter de l'argent. Nous sommes accompagnés par le Dr Didier Picard. Nous y allons en 1994. Nous nous sommes promenés de vélodrome en vélodrome car on se faisait racketter. Nous avons voulu faire trop bien et trop vite. Le jour de la tentative Hervé part sur les bases de 50 km/h mais il a coincé et s'est arrêté au bout de 35 minutes.

Avec Hervé nous avions aussi essayé d'accrocher le record de Bernard Darmet (46,255 km) en octobre 1988. Nous avions choisi le vélodrome de St Denis de l'Hôtel car sa famille est originaire du Loiret. Mais la piste de St Denis de l'Hôtel était moins performante que celle de St Denis (en Seine-St Denis) où il avait battu le record des 100 km en avril. Ce qui compte c'est la surface de frottement au sol. Hervé n'a pas réussi à battre le record de Darmet, il a dû faire 45 km, mais il a continué jusqu'aux 50 km. Il a ainsi battu son record.

RECORD MATHEMATIQUE

Quelles sont les qualités nécessaires pour s'attaquer au record de l'heure ?
Il faut un état d'esprit particulier. Il ne faut pas avoir peur de la solitude. Ce sont des records mathématiques. C'est aussi un record passion. Tout se calcule, tout se mesure mais la force d'âme ne se mesure pas.

Il faut aussi avoir une liberté pour mettre en œuvre un programme pour préparer le record. Les équipes pros n'ont pas toutes ces objectifs.

Peut-on mesurer l'avantage de l'altitude ?
Je suis étonné que les tentatives ne se fassent pas en altitude. Il y a les paramètres physiologiques, mécaniques, atmosphériques, hygrométriques, la pression atmosphérique, tout ça se chiffre. Avec Jeannie Longo nous avons fait des essais en soufflerie. À 50 km/h, 90% du travail est lié à l'aérodynamisme et 10% au frottement au sol.

Et l'inertie des roues ?
Pour les roues ce qui compte, c'est l'aérodynamisme. Quand Moser a battu son record en 1984 avec ses roues lenticulaires, j'imaginais plein de choses. Mais aujourd'hui les roues sont plus légères et l'inertie n'est pas déterminante à mon avis. Mais il y a débat.

Notre dossier record de l'heure :
Record de l'heure : Et le record de France ?
Record de l'heure : Des coureurs pas comme les autres
Les records oubliés

Crédit photo : DR

 

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