La Grande Interview : Rayane Bouhanni

Pour être tout à fait honnête, on trouvait prématuré de plonger Rayane Bouhanni dans le grand bain de « La Grande Interview » sur DirectVelo.com Autant patienter jusqu'en 2015, saison de ses 19 ans, pour raconter la construction du Champion de France Junior, ses rêves, ses relations avec son père Karim (son entraîneur) ou avec son grand-frère Nacer (lui aussi Champion de France, en 2012, et futur sprinter en chef chez Cofidis). Le souci, c'est que Rayane n'a pas attendu, lui. De la réussite tout de suite, y-compris sur des épreuves internationales. Et surtout un contrat rare pour un Français de cet âge, conclu avec une équipe Continentale, réserve d'Etixx-Quick Step (le nouveau nom d'Omega Pharma) : AWT-GreenWay (ex-Etixx). La discussion s'imposait... Imprégnée du tempérament Bouhanni (on dépeint Rayane moins bouillant que Nacer, mais aussi moins rapide au sprint). Fougueux mais pas déraisonnable, le petit-frère. "Je vais prendre le temps de me construire", dit-il.

DirectVelo : Chaque hiver, les magazines ou la télé nous rappellent que ton frère fait de la boxe. Et toi, chausses-tu les gants pendant l'inter-saison ?
Rayane Bouhanni : Eh oui... Je participe au même stage hivernal que mon frère, à Charleville. Ce sport, je le pratique depuis que je suis jeune et il me plaît toujours beaucoup. En plus, il est utile pour la préparation de la saison cycliste, parce qu'on tape fort côté « cardio » !

Il paraît que c'est ton père qui t'a incité à commencer le vélo. Sans ses conseils, aurais-tu continué le foot ou le basket ?
Non, l'idée vient vraiment de moi. J'ai essayé le vélo une première fois en école de cyclisme, pendant une saison, mais j'ai préféré m'orienter vers le basket (un an) et vers le foot (pendant huit ans). C'était sympa de jouer avec les copains après l'école. J'avais le poste 11 (attaquant de pointe) mais la mentalité m'a un peu saoulé... Je me suis rendu compte qu'il me fallait un sport individuel. Mon père m'avait dit que j'avais certainement le potentiel pour faire un bon cycliste, mais ce qui a été l'élément déclencheur, c'est quand nous avons déménagé. Je ne pouvais plus me déplacer pour le foot. Alors, un jour, j'ai sorti le VTT...

« JE VOULAIS FAIRE DU VELO POUR ÊTRE FORT »

Qui t'accompagnait ? Ton père ? Ou bien ton frère ?
Je voulais rouler tout seul, pour assister à un cyclo-cross dans notre village. En chemin, je croise mon frère qui part s'entraîner. Je l'ai suivi. Il avait une sortie de récup' ce jour-là, nous avons fait 30 km pendant une heure environ. Le lendemain, j'ai remis ça, cette fois tout seul. Le vélo est ma passion. Il a remplacé le foot. Et je ne vois pas désormais quel sport pourra prendre la place du vélo dans ma vie... C'est beau tout ce qu'on peut découvrir avec le vélo : le matériel, la technique... Dans le foot, il fallait seulement apprendre une tactique avant de jouer. Je ne me lasse pas d'apprendre. Le vélo est un centre d'intérêt personnel. Mais il est certain que mon frère et mon père ont guidé ou conforté ce choix, à un moment ou à un autre, parce qu'ils parlaient beaucoup du sujet à la maison...

Pour rester en famille, c'est donc ton père qui t'entraîne ?
Oui, depuis le début. D'entrée, il m'a prévenu : « L'entraînement, c'est dur. Tu n'y vas pas quand tu veux... ».

Un coach sévère ?
Non, non, il s'adapte à la condition physique du moment. Il a eu raison de mettre les choses au clair : le cyclisme est un sport difficile. Au foot, quand il pleuvait, les entraînements étaient parfois annulés. Si tu ne veux pas traîner en queue de peloton le jour de la course, il faut te faire mal sur le vélo. Ça tombe bien, j'avais dit à mon père que je voulais faire ce sport « pour être fort ».

D'où les résultats qui sont venus de suite ?
Sur la première course, je termine 3e ; sur la deuxième, je gagne. J'ai progressé petit à petit, jusqu'à obtenir de bons résultats en 2014, au plan national ou international. La clé dans le sport, c'est la confiance. Depuis le début, j'ai toujours cru en moi.

« JE NE ME PRENDS PAS LA TÊTE »

Comment pouvais-tu croire en tes chances de briller sur des épreuves UCI Juniors, avant même de t'y essayer ?
Je voyais de quoi j'étais capable à l'entraînement. Je suivais les mêmes plans que Nacer, à l'époque où il a commencé à marcher au niveau international. En avril, je suis arrivé sur la Course de la Paix, la deuxième plus grosse épreuve pour les Juniors après les Championnats du Monde. C'était ma première épreuve par étapes depuis les Cadets, ma première sélection en Equipe de France... Mais j'y croyais ! Le troisième jour, je sors avec un coureur danois pour disputer un sprint intermédiaire, et nous avons pris de l'avance avant le col. Dans la montée, on a creusé l'écart. J'ai tout donné, au sprint je suis battu. Mais je me suis positionné ainsi au classement général. Finalement, je prends la deuxième place (lire ici). Pour un début, c'était super !

Ton meilleur moment de la saison ?
Non, il y a le titre de Champion de France – une grande fierté ! - et plus encore ma victoire au Tour de l'Abitibi (lire ici). Sans doute que le niveau est moins relevé qu'à la Course de la Paix, mais il dure sept jours. Ce que je retiens le plus, c'est une ambiance fabuleuse en Equipe de France. Nous n'avions pas l'impression d'être en compétition. On s'amusait et on faisait du vélo. On faisait du vélo et on gagnait ! Deux étapes et le classement général, c'est énorme ! Et quelle chance de pouvoir courir au Canada quand on a 18 ans seulement !

C'est vrai que tu engranges les succès assez jeune, tu files à l'étranger assez tôt également. Comment profites-tu de la situation sans te laisser griser ?
Je ne vais quand même pas me plaindre des résultats ! Je ne suis pas du tout le genre à me prendre la tête. Ce que je dois faire, c'est pédaler, seulement pédaler...

« LE PROGRAMME SERA ADAPTE »

L'an prochain, tu t'engages dans une équipe au statut Continental. T'es-tu fait à l'idée que tu seras professionnel ?
Je serai pro, mais pas dans le même monde que chez Cofidis, qui évolue un échelon au-dessus, en Continentale Pro. Beaucoup de gens me demandent si je n'ai pas peur de passer pro « trop tôt ». Mais non, je ne vais pas dans cette équipe à reculons ! Mon programme sera adapté à mon âge. Pour l'instant, tout se passe bien avec l'équipe. Nous avons eu trois rendez-vous : une prise de contact à Prague, des tests physiologiques à la Bakala Academy, en Belgique, et enfin un stage à Oliva, en Espagne, la semaine passée. Il s'agit d'une super équipe, avec un super staff. J'ai hâte d'être en 2015...

Pourquoi avoir décliné des offres françaises, notamment celle de l'Armée de Terre ?
Parce que l'Armée a mis beaucoup de temps à obtenir sa licence Continentale [la confirmation est intervenue le 12 décembre – lire ici, NDLR]. Ce qui m'intéressait le plus, c'était un programme Continental, un peu plus dur que dans une DN1 mais pas beaucoup plus. Par exemple, l'an prochain, je ferai soit le Tour de Normandie, soit le Tour de Belgique. C'est idéal pour progresser ! En plus, je ne m'engage pas dans n'importe quelle équipe : je vais chez AWT GreenWay, la réserve d'Omega Pharma-Quick Step (lire ici) ! Pour moi, la meilleure équipe du monde, ce n'est pas le Team Sky mais Omega ! La réserve me faisait déjà rêver il y a quelques années. Quand j'ai su que les dirigeants s'intéressaient à moi, je n'ai pas hésité à nouer contact.

La culture de cette formation, c'est aussi les classiques. Un registre que tu affectionnes ?
Je suis heureux à l'idée de découvrir Liège-Bastogne-Liège ou Paris-Roubaix Espoirs. Les pavés me font rêver. J'en ai eu un avant-goût sur des épreuves dans le nord de la France, mais les tronçons n'étaient pas très longs. Entre les classiques et les courses à étapes, le calendrier 2015 sera bien équilibré. Peut-être que ça m'aidera à mieux connaître mon profil.

« MOTIVE MAIS PAS IMPATIENT »

Jacques Decrion, l'entraîneur de ton grand-frère, estime que tu as les atouts d'un « grand rouleur ». Pourrais-tu te spécialiser en chrono ?
Pourquoi pas ? Jusqu'à présent, j'obtiens de bons résultats [Vice-Champion de France Juniors en 2014, etc. NDLR] sans m'entraîner spécifiquement pour ces objectifs. Disons que je suis polyvalent. J'aime bien aussi les côtes raides. Si j'ai un jour la possibilité d'être au départ, je voudrais me tester dans la Flèche Wallonne, avec cette arrivée bien raide, parfaite pour les puncheurs.

Dans combien de temps te verra-t-on dans le Mur de Huy ?
Je vais prendre le temps de me construire pour atteindre l'échelon supérieur. Je suis motivé mais pas impatient.

Tu vas courir dans la pépinière d'Etixx-Quick Step, ton frère évolue chez Cofidis... Tu vois venir la question ?
[Rires]. Ah oui ! Quelle sera ma prochaine destination ? On en rigole déjà avec mes nouveaux dirigeants. Il faut savoir que nous n'avons pas d'obligation. Ils ne me mettent pas de pression et ils ne me forceront pas à rejoindre Omega. Comme ils me l'ont dit, leur objectif est de me préparer au mieux pour rejoindre le niveau WorldTour.

Tu n'as que 18 ans et, déjà, on a l'imagination qui s'emballe : un rouleur comme toi, intégré au train de ton frère en vue de sprints...
Ce serait beau d'appartenir un jour à la rampe de lancement de mon frère, de donner mes coups de pédale pour qu'il gagne, de partager ses victoires... Mais ce n'est pas non plus une finalité absolue. J'ai besoin de garder des ambitions personnelles, peut-être sur une belle classique, peut-être sur un grand tour. Ce sera... dans un futur lointain.

Crédit photo : Directvelo.com
 

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