La Grande Interview : Guillaume Thévenot

''On me prend pour le clown de service, mais cette année il y avait des moments de tristesse au fond de moi''. Cette soirée du 23 novembre, DirectVelo.com découvre Guillaume Thévenot au bord des larmes. Le grand rouleur du Vendée U, néo-professionnel au Team Europcar en 2015, connu pour sa gouaille et son franc-parler, n'a soudain plus le cœur à plaisanter. Il rentre du Cyclo-cross de Bessancourt (Val d'Oise), organisé en hommage à son ami Clément Le Bras, jeune talent mort des suites d'un accident de la route en mars 2012 (lire ici). Cet événement était aussi l'occasion de solder une saison 2014 délicate pour Thévenot, 21 ans, qui n'avait jamais révélé jusqu'ici l'étendue de ses problèmes de genou et son mental lézardé derrière le maquillage de clown. Du 11 au 19 décembre, en stage avec sa future équipe au soleil de Calpe (Espagne), le 3e des Championnats de France Espoirs entend se ''faire plaisir et repartir de zéro''. Car « la Tige », comme on le surnomme, n'est pas du genre à s'apitoyer sur son sort. ''Nous, les cyclistes, nous pouvons afficher un sourire en toute circonstance'', dit-il.

DirectVelo.com : Tu as fait l'aller-retour dimanche dernier entre la Vendée, où tu habites, et la région parisienne où tu as disputé le cyclo-cross de Bessancourt. Pour quelle raison tenais-tu absolument à participer ?
Guillaume Thévenot : La course est un hommage à Clément Le Bras. Je suis venu pour saluer la mémoire de ce grand ami et pour transmettre mon amitié à sa famille, qui est une grande famille de vélo et qui fait tant pour nous, les coureurs, en organisant de nombreuses épreuves en Ile-de-France. Il ne faut pas être triste, parce que Clément était un mec qui rigolait beaucoup. Mais ce dimanche était forcément chargé en émotions.

Cette épreuve était doublement importante pour toi parce qu'elle marquait ta reprise du vélo. Pourquoi cette coupure forcée, longue d'un mois et demi ?
Plus qu'une reprise, c'est un renouveau. Seuls quelques-uns le savent, mais j'ai failli arrêter le cyclisme en début de saison. Tout ceci à cause de soucis de santé. J'en souffre depuis presque deux ans. Heureusement, j'ai été opéré à la Clinique du genou, à Paris, le 6 octobre dernier. Depuis cette date, j'avais à peine fait deux ou trois entraînements légers. C'est dire si j'étais heureux d'être engagé sur ce cyclo-cross. David Menut me prend un tour (lire ici) mais ce n'est pas cher payé compte-tenu de ma période d'inactivité. A présent, j'ai envie de me faire plaisir et de repartir de zéro.

Pourquoi cette intervention chirurgicale ?
Tout remonte à mon adolescence : j'ai grandi trop vite et j'ai commis l'erreur de ne pas adapter les cotes de mon vélo. Mon pédalage en a été affecté. Avec un bassin désaxé, je tirais de la jambe droite et je poussais de la gauche. Une douleur s'est installée, de même qu'une sensation de malaise pendant l'effort. Un moment, nous avons pensé qu'il s'agissait d'un problème à l'artère iliaque, mais finalement, à partir de la fin avril, le diagnostic a été posé et j'ai planifié une opération au genou droit.

« EN 2014, J'ETAIS MAL DANS MA PEAU »

Ce handicap a-t-il pesé sur tes résultats ?
Oui, plus qu'on ne l'imagine. Parfois je m'interroge : si j'avais eu mes jambes à 100% de leur capacité, que ce serait-il passé au Championnat de France Espoirs dans le sprint final, ou quelques kilomètres plus tôt, quand j'ai été repris dans la descente ? Aurais-je fait mieux que ma 3e place (lire ici) ? La question se pose sur l'ensemble de ma saison. Mes problèmes de santé sont devenus plus aigus fin 2013, juste avant le Chrono des Herbiers, auquel j'ai dû renoncer, d'ailleurs. Si je m'étais davantage pris en main l'hiver dernier, sans doute que j'aurais moins galéré cette saison.

Donc, tu as failli arrêter au printemps ?
Oui, je me suis posé beaucoup de questions jusqu'au Tour de Bretagne. Il y a une poignée de coéquipiers qui sont au courant, quelques membres du staff au Vendée U, quelques amis proches. Je ne le cache pas mais je ne veux pas non plus m'étendre sur mes états d'âme. Souvent, on me prend pour le clown de service. Mais cette année, il y avait des moments de tristesse au fond de moi. Sans parler de dépression, disons que j'étais mal dans ma peau. Je m'en suis sorti avec l'aide d'une psychologue, comme ça avait déjà été le cas chez les Juniors, au Pôle de La Roche-sur-Yon, les deux fois où je m'étais fracturé la clavicule. Ma copine, ma famille, mes amis m'ont aidé aussi. Je pense à Kévin Lebreton, de l'Armée de Terre et à d'autres encore que je ne peux pas tous citer. Si je suis là maintenant, c'est grâce à eux tous.

Le paradoxe, c'est que tu passes professionnel au terme de cette saison mouvementée...
Il y a des jours où je me dis que je ne le mérite pas tout à fait. Le Team Europcar m'a fait un très beau cadeau et je le lui rendrai cent fois. Jean-René [Bernaudeau] m'a soutenu, tout comme le Dr Hubert Long, qui m'a bien conseillé pour régler mes problèmes de santé. L'équipe a pris en charge mes frais médicaux. C'est le signe qu'elle croit en moi. C'est la seule équipe encore capable d'agir ainsi. La plupart recherchent la gloire ou les points UCI. Le Team Europcar reste populaire : proche des gens, respectueuse des individus... Je n'ai pas le palmarès de Yann Guyot (voir ici) mais les dirigeants de Vendée U et du Team Europcar m'ont quand même donné la chance de passer professionnel.

« IL FAUT S'ACCROCHER »

Sais-tu pour quelle raison tu as été recruté ?
Certainement parce que je suis capable de me sacrifier. Celui qui emmène Thomas Boudat au sprint, celui qui roule en tête de peloton à 70km de l'arrivée sans que les directeurs sportifs ne le demandent, parce qu'il sent que la course va être perdue, c'est moi. Cette saison, nous sommes au moins deux dans ce cas-là, qui passons du Vendée U au Team Europcar sans de très grands résultats sur route : Julien Morice (lire ici) et moi. Autrefois, il y a eu Kévin Reza, qui ne s'est pas forgé un grand palmarès chez les amateurs mais qui s'est affirmé chez les professionnels. On a trop tendance à regarder le palmarès. Moi, je n'ai gagné qu'une épreuve cette saison [les Boucles du Val d'Oust et de Lanvaux, NDLR – lire ici]. Mais il y a tout le reste, qui ne se voit pas de l'extérieur ! Aux Championnats de France Amateurs, j'ai préféré emmener le sprint à Romain Cardis pour la 4e place (lire ici) plutôt que d'essayer de faire un top 15 personnel. Au fond, je ne fais que rendre ce que les gars m'ont offert dans ma première année Espoirs, en me faisant gagner deux courses (lire ici). Comme le dit Jean-René : « Il faut donner mille fois pour espérer recevoir une seule fois ».

Plus jeune, tu n'avais pas non plus un palmarès volumineux.
C'est la preuve qu'il faut s'accrocher ! Longtemps, j'étais du genre à me prendre des tôles tous les week-ends... J'ai commencé le cyclisme en Minime 2e année et je ne suis parvenu à terminer dans le peloton que la saison suivante. Ma première victoire à la pédale est survenue encore un an plus tard. Je me rappelle que ma mère priait pour que je ne me mette pas au vélo, car son père avait créé le club cycliste de Bayeux - avec le grand-père de Guillaume Malle  [professionnel en 2012 au Véranda Rideau-Super U, NDLR] - et elle passait ses dimanches sur les courses de boulangers... Mais elle a respecté ma décision et elle a consenti des efforts phénoménaux pour moi. Ma mère m'emmenait sur des manches du Challenge Madiot alors que je n'avais pas le niveau. Puis, afin que je progresse, elle m'a encouragé à rejoindre le Pôle de La Roche-sur-Yon à 17 ans, tout en sachant qu'elle allait me « perdre ». Mes parents ont cru en moi...

C'est le Pôle Espoirs de la Roche qui t'a taillé en athlète de haut niveau ?
Oui. Nous avions un entourage digne d'une équipe pro, avec deux entraîneurs, une diététicienne, une psychologue... Je n'avais pas les moyens de me payer le vélo plus les études. Le Pôle l'a fait pour moi comme pour d'autres. Il faut lui rendre hommage pour son travail de formation. En 22 ans, il a sorti 22 professionnels. C'est pourquoi je suis très fier et ému d'être le parrain de la promotion 2014-2015. Voilà ce que je vais recommander aux jeunes : prendre du plaisir, ne jamais baisser les bras, s'inspirer de ce que les autres font de meilleurs.

« JE ME FENDS LA GUEULE DANS LE PELOTON ! »

Qu'as-tu emprunté aux autres coureurs ?
J'ai essayé de copier la façon de rouler de Thomas Voeckler, le pédalage de Bryan Nauleau ou celui de Romain Guyot. En cyclo-cross, j'étais épaté par Arnaud Jouffroy, Arnaud Labbe et Clément Le Bras, qui nous vendait du rêve, par sa technique ou son style impeccable ! Je suis un vrai caméléon ! (rires). Mais j'ai aussi beaucoup écouté de conseils, de gens de mon équipe ou d'ailleurs. Si David Le Lay, du BIC 2000, me dit qu'il faut remonter dans le peloton, je le fais.

Tu as la réputation d'être un équipier appliqué mais aussi, comme tu le reconnais, celle du « clown de service ». En quoi consiste ce rôle ?
Je suis assez extraverti, c'est ma façon d'être. Certains aiment, d'autres pas, parce qu'il se peut que je les saoule. En course, je blague avec tout le monde, comme si j'étais dans un café avec des potes, en train de boire un coup. Par exemple, avec Pierre Latour (Chambéry CF), je me fends la gueule dans le peloton. Idem avec Thibault Nuns (Océane Top 16) et bien d'autres coureurs encore. Mais il faut se méfier : derrière la carapace du clown, je n'ai pas toujours rigolé cette année, avec mes soucis de santé. Et puis, je sais aussi être sérieux quand il le faut. En vue d'un objectif, je travaille énormément. Avant les Championnats de France Espoirs, j'avais annoncé que je serais sur le podium et j'ai tenu parole.

Le vélo est-il un sport drôle ?
Oui, si on en a envie. Nous, les cyclistes, nous pouvons afficher un sourire en toute circonstance : quand on s'entraîne avec un ami, quand on s'aligne au départ d'une course ou quand on la finit... Certains s'ennuient, qu'ils aillent rouler 2h ou 6h. Pourtant c'est le bonheur ! Une sortie de 6h nous conduit dans des lieux où l'on est encore jamais allé, c'est un truc de fou ! Et même sur une durée de 2h, on s'aère l'esprit. Le plaisir est omniprésent. Pourquoi les vététistes s'amusent-ils avec leur vélo alors qu'ils se cassent la gueule les trois-quarts du temps ? Pourquoi trouve-t-on des gens qui ont plus de cent ans et qui roulent encore ? Le jour où ils arrêtent, on peut craindre qu'ils ne soient plus là... Le vélo, c'est un moteur.

« J'AI TROUVE LE BONHEUR GRACE AU VELO »

Chez les professionnels, est-il possible de prendre autant de plaisir ?
Je verrai bien l'année prochaine, mais je pense que oui. La seule nouveauté, c'est qu'on ne peut pas se rater. Chez les pros, il faut faire son travail à 100%, sinon on ne se fait pas plaisir. En 2015, je n'entends rien changer à ma façon de faire : je continuerai d'aller vers les gens et de m'amuser. Si je venais à perdre cet état d'esprit un jour, je quitterais le cyclisme.

Parce que c'est une passion en plus de ton métier ?
Le vélo m'a tout donné. Grâce à lui, j'ai pu trouver le bonheur, rencontrer des copains et des amis, apporter de la fierté à ma famille, trouver un emploi... Si ça se trouve, sans le vélo, je ne saurais pas quoi faire de ma vie. Je serais à Paris, au pied d'une tour, en train de fumer des clopes ! Mais j'avais fait une promesse et je me devais de la respecter...

Quelle promesse ? Et à qui ?
A Clément Le Bras. Le jour de son enterrement, je lui ai dit que je donnerais tout pour passer professionnel et que mon premier maillot serait pour ses parents, parce que ce serait la récompense d'un rêve commun.

Crédit photo : Eric Coué - www.photosdecyclisme.fr
 

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Guillaume THÉVENOT