La Grande Interview : Jérémy Maison

Révélation du peloton amateur 2014 dès que la route prend du pourcentage, Jérémy Maison est réputé pour son sérieux. A la fois parce qu'il fut le garde du corps appliqué de Pierre-Roger Latour, en Equipe de France, sur le récent Tour de l'Avenir, et parce qu'il poursuit des études à temps plein, en troisième année de kiné. “Aujourd’hui, au départ d’une course, je ne suis quasiment pas stressé et le plaisir prime sur tout le reste, dit-il. Sûrement parce que je connais la valeur du travail et des sacrifices.” Equilibré ? Oui, mais un brin maso aussi, comme il l'admet : “Je pense que les coureurs appartenant à la “caste” des grimpeurs se rapprochent du masochisme !” En course, le licencié fidèle du VC Toucy (depuis huit saisons) peut perdre son sens de la mesure et se montrer “chien fou”. Ce tempérament l'a poussé dans de longs raids en montagne ou sur terrains vallonnés. Avec quelques victoires à la clé : Tour de Côte d'Or, Tour du Lot-et-Garonne... En 2015, à 22 ans, Jérémy Maison pourrait continuer sa progression dans un club DN1 voire une équipe Continentale. Il se confie à DirectVelo.com.

DirectVelo : Sur le Tour de l’Avenir tu fus le dernier relais en montagne pour Pierre-Roger Latour. Te pensais-tu capable d'assurer une telle performance ?
Jérémy Maison : Je pensais à cette course depuis près d’un an, alors forcément j’étais extrêmement motivé ! Mieux, j’avais clairement annoncé à ma copine que je ne pourrais sûrement pas partir en vacances cette année. Je voulais être le plus performant possible durant l’été, en espérant être sélectionné pour le Tour de l'Avenir ! Lorsque Pierre-Yves (Chatelon) m’a annoncé ma sélection, je me suis alors dit que mon sacrifice portait ses fruits ! Je savais que Pierre-Roger Latour était un peu supérieur à moi dans la montagne, alors il était logique de me mettre à son service. J’ai la chance d’avoir de grosse faculté de récupération, ce qui me permettait de lui venir en aide à mesure que les jours passaient. Avec la chute et l'abandon de Pierre Gouault le premier jour, je suis devenu de fait le coureur de l'Equipe de France capable d'aller le plus loin possible dans la montagne, avec Pierre-Roger et Guillaume (Martin).
 
« MON ROLE SUR LE TOUR DE L’AVENIR : LIEUTENANT DE PIERRE-ROGER LATOUR »
 
Désigné équipier, tu n'en as pas pour autant abandonné toute ambition personnelle ?

C'est exact. Voilà pourquoi je me suis retrouvé en tête vendredi, dans la montée du Cormet de Roselend. Nous avions repéré l’étape en intégralité, lors du stage début août. J’étais persuadé qu’il y avait un coup à jouer, aussi bien individuellement que collectivement. En attaquant, je servais de point d’appui pour Pierre-Roger en cas d’offensive loin du but ! Lorsque j’étais seul dans le Cormet de Roselend, j’écoutais attentivement la radio à côté de moi, pour savoir s'il se passait quelque chose dans le groupe des leaders. J’ai vite compris que je basculerais seul en tête et que je jouerais ainsi ma carte personnelle, en attendant peut-être le retour de Pierre-Roger dans la montée finale vers la Rosière.

Tu t'attendais à être repris ?
J'étais plutôt confiant. Dans la descente du Cormet de Roselend, je me suis bien ravitaillé. Dans ma tête, j’avais les cannes pour aller au bout ! Malheureusement pour moi, les leaders se sont livré une véritable explication en vue du classement général et il était alors difficile de tenir tête aux tout meilleurs après tant de kilomètres échappé ! Mais je n’étais pas découragé pour autant. J’étais content d’avoir pris autant de plaisir.

Le lendemain, en direction de La Toussuire, tu étais encore à l’avant, à la lutte avec les meilleurs cette fois ci...
Oui, j’avais bien récupéré et à vrai dire, j’aurais peut-être dû tenter de suivre Louis Vervaeke, qui gagne l’étape. Lorsqu’il est parti, j’ai voulu l’accompagner car je savais qu’il marchait fort. Mais nous avions déjà deux coureurs à l’avant à ce moment de la course (Loïc Chetout et Guillaume Martin, NDLR). J'ai pensé à Pierre-Roger, qui se serait retrouvé esseulé si jamais j’accompagnais le Belge. J’ai alors décidé de tenir pleinement le rôle qui était celui que l’on m’avait confié au départ du Tour de l’Avenir : être son lieutenant. Pierre-Yves m’avait fait confiance, tout comme Pierre-Roger. Et puis, Vervaeke, tout de même, fait un sacré numéro. Je ne suis pas sur que j’aurais réussi à le suivre jusqu’au bout ! Donc, je n’ai pas de regret.
 
 Au départ de l’épreuve, tu étais celui qui comptait le moins d’expérience en Equipe de France. Comment t'es-tu adapté ?

Je me suis très bien intégré. Même si j’ai moins d’expérience que la plupart des coureurs que j’accompagnais, je les côtoie depuis de nombreuses années, en tant qu'adversaire. Et puis, il y a eu le stage de préparation et le Tour des Pays de Savoie, ma première sélection tricolore. Je n’étais donc pas complètement novice ! J’avais même participé à un stage Equipe de France lorsque j’étais Junior avec certains du groupe. Sur le Tour de l'Avenir, le seul décalage que j'ai pu ressentir, c'est peut-être une histoire de mentalité.

« JE PEUX PARFOIS PASSER POUR UNE ATTRACTION OU UNE ANOMALIE DANS LE PELOTON »

Tu dis ça parce que tu es encore étudiant en kiné ?
Oui, je peux parfois passer pour une attraction ou une anomalie dans le peloton. Je suis encore un des rares coureurs à partager mon temps entre école à plein temps et cyclisme de haut niveau. Forcément, avec mes copains de l'Equipe de France, nous n’avons pas le même rythme de vie ni les mêmes centres d’intérêt. Les autres gars du groupe ont plus de temps libre pour faire autre chose que du vélo, ils passent beaucoup de temps sur internet ou les réseaux sociaux. Moi, je n’ai pas le temps pour ça, avec mes 30h de cours hebdomadaire. Mais je ne me plains pas, je suis vraiment passionné par la kiné, la physiologie et tout ce qui a trait au corps humain en général, alors je prends beaucoup de plaisir dans mes études. Même si cela a sûrement été un gros frein au début de mes années Espoirs.

Tes études t'ont pris un temps considérable ?
J'ai dû valider ma première année de médecine pour intégrer mon école actuelle. Cette année-là, c'était une vraie galère, honnêtement ! Du point de vue de mon parcours cycliste, c’est une année perdue. Je n’ai pas pu progresser car le rythme des études était tel qu’il m’était impossible de m’entraîner convenablement et être frais psychologiquement au départ des courses. C’était une compétition permanente, j'ai vécu sous pression non stop.

Mais c'est une bonne chose, cette année de médecine ?
Oui, tout à fait. Si c’était à refaire, je pense que je referai le même choix, même si c’est très contraignant et éprouvant ! Cela demande beaucoup d’organisation et une volonté à toute épreuve. Mais au final, je pense que c’était un mal pour un bien. Assurément, cette année est utile du point de vue psychologique : elle m’a permis de mieux gérer la pression. Aujourd’hui, au départ d’une course, je ne suis quasiment pas stressé et le plaisir prime sur tout le reste. Sûrement parce que je connais la valeur du travail et des sacrifices.
 
Quel domaine privilèges tu : le vélo ou les études ?
J’ai d’abord donné la priorité aux études, puisque j’ai pris le risque de faire médecine. Maintenant, j’arrive bientôt à la fin de ma scolarité et je pourrai me consacrer au vélo. J’aurais aimer bénéficier d’horaires aménagés pour 2015, mais je n’ai pas eu l’accord de mon école. Pour eux, je suis un élève comme les autres, je n’ai donc pas de passe droit. Je vais quand même avoir un emploi du temps moins lourd, ce qui n’est pas négligeable dans la perspective d’une belle saison l’année prochaine. Je pourrai revenir dans le milieu médical un peu plus tard, en étant pourquoi pas kiné d’une équipe cycliste. J’ai beaucoup échangé a ce sujet avec ceux qui travaillent en Equipe de France. Leur expérience me motive pour mon après-carrière. Voir l’autre côté de la barrière, ça doit être intéressant !
 
« J’AIME ME FAIRE MAL, C’EST DANS MA NATURE »

Finalement, malgré ton emploi du temps chargé, tu te distingues sur chaque épreuve majeure de ton programme...
Oui, j’ai toujours répondu présent, ou presque. Le Tour des Pays de Savoie n’était pas une franche réussite, j’étais un peu déçu. J’étais en pleine période de partiels et dans ces moments-là, que l’on soit organisé ou pas, c’est toujours très compliqué ! J’étais frais physiquement... mais peut-être un peu trop, justement ! La condition me faisait quelques peu défaut. Dès la deuxième journée, j’ai senti qu’il me serait difficile d’enchaîner toutes les étapes à mon meilleur niveau. Pour le reste de la saison, c’est vrai que mon entraîneur, David Han, m'aide à arriver bien en forme sur mes objectifs, en utilisant parfois des méthodes de travail différentes.
 
En quoi ta préparation est-elle originale ?
J'observe de longues périodes d'entraînement. Par exemple, il m'est arrivé de ne pas courir trois pendant week-ends de suite, avant de me présenter au départ d’une manche de Coupe de France, à Arbent-Bourg-Arbent. Le manque de compétition ne m’a pas empêché de faire toute la course devant et de terminer 6e. Je préfère m’entraîner en vue d’un objectif précis plutôt qu’enchaîner les courses. Depuis mes débuts dans le vélo, j’ai toujours travaillé énormément en spécifique, accumulant des petites sorties très intenses. J’aime me faire mal, c’est dans ma nature !
 
Dit comme ça, ça frôle le masochisme (rires)...

Je pense que les coureurs appartenant à la “caste” des grimpeurs se rapprochent du masochisme ! Nous adorons nous dépasser, seuls contre la pente, contre les autres et nous concentrer dans l’effort. J'ai de suite saisi le caractère violent de l'effort cycliste, dès mes débuts en 2007. A l'époque, je faisais du foot et puis, un jour, après une sortie de VTT avec un copain, j'ai décidé de m'inscrire au club qui n'était pas loin de chez nous - au VC Toucy donc ! Ce sport m’a tout de suite plu par l’effort extrême qu'il demande, même si nos premiers tours de roues ressemblaient plus à des séances photos qu’a de véritables entraînements !

Donc, tu t'accomplis dans la douleur de l'effort ?
Oui. Aujourd’hui encore, lorsque je repense à certains moments où j’étais échappé en solitaire sur le Tour de l’Avenir, je ressens l’adrénaline qui te transcende. Idem quand je me remémore ma victoire à Paris-Auxerre. J’étais accompagné de deux coureurs du CC Etupes, Erwan Téguel et Edouard Lauber. Dans la dernière ascension, j’ai réussi à les faire sauter et à résister à leur retour. Ce sentiment de franchir la ligne en vainqueur, alors que j’étais attendu mais dans une situation peu favorable, c’est une grande fierté !

« J’AI TENDANCE A ETRE UN CHIEN FOU ET PETER UN CABLE »


Cette année, tu es tantôt équipier en Equipe de France, tantôt leader, au VC Toucy. Ces deux registres te conviennent bien ?
Au VC Toucy, j’ai souvent été protégé, en raison de ma régularité : à chaque course à étape j’étais en lice pour la victoire finale ou presque. Mais à contrario il m’est aussi arrivé de me sacrifier, comme a Dijon-Auxonne-Dijon, où j’ai beaucoup travaillé pour Benoît Drujon. A l’arrivée, il s’impose. C’était une journée superbe pour lui, pour moi et pour l’équipe, une vrai satisfaction à tout les niveaux ! En retour, les frères Drujon m’aident beaucoup. Notamment en me canalisant, car j’ai tendance à être un chien fou et à péter un câble ! (rires)
 
Tu disjonctes en course ? On t'imagine pourtant réfléchi...

Ça dépend ! Quelquefois, je suis calme et attends le final pour tenter de l’emporter. A contrario, il m’arrive de vouloir attaquer dès le départ. J’explique ça par le stress que peuvent engendrer mes études. Parfois, j'arrive au départ d’une course sans vouloir « réfléchir » et je suis même assez motivé pour dépenser sans compter ! Au départ de la 3e étape du Tour de Côte d’Or, par exemple, j’étais deuxième du classement général, mais j’ai tenté de faire le départ (alors que tout le monde m’avait prévenu que je serais trop surveillé). L’expérience de nos deux capitaines de route m’apporte beaucoup dans ces moments-là ! Elle m’évite de faire des erreurs de débutant !

En 2015, justement, tu comptes rester en DN2 au VC Toucy ?
Je ne sais pas encore. D'un côté, il semble évident que je dois trouver une structure supérieure. De l'autre, nous n’avons rien a envier à la plupart des équipes de DN1. Je suis particulièrement attaché au club, mais je sais très bien que si je veux voir plus haut je ne pourrai pas rester éternellement à Toucy ! Les bénévoles chez nous font un travail formidable. J'espère que les sponsors vont permettre à l’équipe de continuer d’exister et de progresser.

Courir dans un club de DN2 pourrait-il être un frein à un éventuel passage chez les pros ?
Peut-être, et c’est pour çà que je suis en pleine réflexion ! Mais je trouve cela dommage que l’on fixe des barrières sur le critère d’un simple label, qui s’attribue plus sur le domaine financier que sur le pur sportif ! Honnêtement, lorsque l’on voit ce que fait Julien Loubet (au GSC Blagnac Vélo Sport 31), pour ne citer que lui, est ce que les meilleurs coureurs sont vraiment tous en DN1 ? Non, évidemment ! Je me demande même parfois si il n’y a pas plus de niveau en DN2 qu’en DN1 (rires). Regardez la saison du VC Toucy : nous avons disputé un super calendrier de courses avec notamment le Tour Nivernais Morvan, le Circuit du Saône-et-Loire ou encore le Tour de Côte d’Or. C’est déjà pas mal ! Si l’on ajoute les manches de Coupe de France, le programme est déjà intéressant...

Crédit photo : Alexanne Bonnier
 

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Jérémy MAISON